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Collectif pour la défense du droit des étrangers malades, particulièrement ceux souffrant de graves troubles psychiques

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Billet de blog 26 janvier 2023

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Histoire de patient·es #2 et #3. Madame A et Monsieur B

Des membres du collectif Dasem Psy racontent les histoires de personnes étrangères accompagnées psychiquement. Elles constituent une mémoire des empêchements à s'installer en France et de leurs effets psychologiques délétères. Elles rendent aussi hommage aux formes de résistances à l'écrasement, au courage et à la ténacité des étranger·es ayant subi des traumatismes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Comme les histoires tristes des avis négatifs des évaluations du service médical de l’OFII sont trop nombreuses, tristes car ces avis ont des effets destructeurs, je voudrais témoigner de deux histoires. comme deviennent tristes la plupart des demandes qui sont refusées par nos confrères de l’OFII. Ceci nous engage à dénoncer les évaluations du service médical de l’OFII qui font obstacle à nos soins et à l’amélioration des états psychique des exilé·es.

Première histoire :

Madame A., venant d’un pays d’Afrique australe, atterrit par hasard en France, alors qu’elle souhaitait atteindre l’Angleterre. Elle indique qu’elle fuit une situation de risques : ses parents ont été assassinés, son père ayant appartenu à un des deux groupes armés rivaux depuis l’obtention de l’indépendance. Sa sœur encore mineure, et son très jeune fils ont été enlevés pour qu’elle fournisse des documents de son père. Un oncle maternel qui a une double nationalité dont la nationalité anglaise reste au pays pour retrouver ces enfants enlevés.

Effondrée, elle est déboutée du droit d’asile, ce qui occasionne une tentative de suicide, mais la restauration psychique se fait avec la psychothérapie axée sur la reprise de l’héritage de l’histoire de ses parents, sur ce qu’elle en a fait, et sur les formes de son indépendance en faisant des études, pour obtenir un poste dans une banque, et en rencontrant un amoureux, même si le père de l’enfant s’en va dès que Madame est enceinte.

Précisons que les psychothérapies proposées ici aux personnes exilées qui sont obligées de quitter leurs pays pour des raisons de violences graves ou de tortures, sont des psychothérapies psychodynamiques d’inspiration analytique, adaptées aux situations transculturelles et aux effondrements narcissiques dus ici aux psycho-traumas, aggravés par leurs conditions d’insécurités.

Il s’agit alors, par l’empathie, et par la co-construction du sens des souffrances et symptômes, mais aussi du sens des besoins de destructivité des personnes ou systèmes auteurs de négation de l’autre, de restaurer la vie pensée et affective des sujets qui ont rencontré les blessures de la négation d’eux-mêmes. La reconnaissance de l’autre en altérité et en veillant à ce que les séances soient des rencontres bonnes, permet alors à ce que l’objectif de ces psychothérapies soit de s’efforcer d’aider les sujets à se retrouver plus eux-mêmes, plus humains. On peut dire alors que l’objectif de ces psychothérapies est, par effet, de rendre les sujets traumatisés, mieux et meilleurs.

La psychothérapie accompagne le fait de pouvoir faire venir son fils en France, qui a été abandonné dans une ville de son pays après quatre mois d’enfermement, puis sa sœur un an après, alors qu’elle était jusqu’alors dans une maison de prostitution forcée d’Afrique du Sud.

Cette sœur âgée de 16 ans, est protégée par le juge pour en étant mise sous tutelle de Madame A. Elle met longtemps à être soignée, d’abord physiquement des maltraitances sexuelles, et à sortir d’un mutisme complet. Elle est suivie par une psychologue du centre d’hébergement. La demande « étranger malade » de Mme A. est refusée, mais le TA annule son OQTF, en reconnaissant plusieurs nécessités, dont celle de sa santé, pour décider d’un droit à une régularisation.

Mme A. commence une formation d’auxiliaire de vie, car, dit-elle, elle veut changer de métier, puis elle me demande de recevoir sa sœur pour, dit-elle, que je lui parle comme je lui parle à elle.

Je reçois donc sa sœur qui m’indique qu’elle avait le projet d’être médecin depuis qu’elle avait 10 ans, mais qu’avec ce qui lui est arrivé et comme elle est dans un collège où elle ne fait pas de SVT, elle n’a pas la possibilité de faire des études pour être médecin ou infirmière. Je lui indique qu’au contraire, ce qui lui est arrivé la rend plus mobilisée pour mieux soigner et protéger les personnes, et qu’elle a surement les capacités intellectuelles pour rattraper les connaissances qui lui manquent en SVT, et pour rentrer en lycée professionnel dans une section qui lui permettrait d’accéder à des études d’infirmière. Je ne reçois cette adolescente que deux fois. Elle obtient le droit d’asile par réexamen de sa demande à la Cour Nationale du Droit d’Asile.

Je continue à recevoir Mme A. qui est très contente et reconnaissante des consultations avec sa sœur, qui rentre alors en effet en lycée professionnel en section carrières sanitaires et sociales, et Mme A. commence à travailler comme auxiliaire de vie. Au bout de trois ans encore de ce travail psychothérapeutique, Mme A. m’indique avec bonheur que sa sœur vient de réussir le concours d’entrée en école d’infirmières, et qu’elle pense possible peut-être ensuite de faire des études de médecine, et qu’elle-même a le projet de faire des études d’aide-soignante, mais de ne pas aller plus loin.   

Cette longue histoire d’accompagnement psychothérapeutique, prenant en compte le transfert et le contre transfert d’endurance, a permis de sauver une patiente d’un destin malheureux, ainsi que son fils qui ne voulait pas consulter, mais qui a souvent été parlé lors de ces entretiens, et ainsi que sa sœur, même si pour celle-ci, de fortes terreurs demeurent actives et inhibent ses disponibilités relationnelles.    

Deuxième histoire :

Monsieur B., sujet de 30 ans, de nationalité congolaise m’est adressé en 2011 car, débouté de sa demande d’asile depuis plus de deux ans, il erre dans des circuits divers à travers la France. Il atterrit à X, où il est dans un état profond de désocialisation, de précarité, d’abandon et d’alcoolisme. L’accueil psychothérapeutique le remet en lien avec son histoire et son appartenance familiale, et révèle une pathologie post traumatique due à une jeunesse entrecoupée de participations à différents mouvements armés ou de manifestations qui l’ont conduit en prison où il a été torturé. Comme cela existe au Congo, il est sorti de prison par l’intervention d’un oncle officier.

Avec l’obtention d’un titre de séjour en 2013 en tant qu’étranger malade pour un état de stress post traumatique complexe avec dépression, son inscription sociale peut se réaliser. Il trouve différents postes de travail, et la psychothérapie, avec une médication, lui permet de retrouver une identité, une place sociale en France et une place dans sa famille au Congo, où il soutient sa mère démunie et paye les possibilités de scolarisation d’une sœur et d’un frère bien plus jeunes que lui. Il retrouve sens à sa vie en prenant une position critique envers son histoire, mais aussi l’histoire de son père qui, en étant militaire, a eu des enfants de trois ou quatre femmes, dont certains non connus. Il se différencie de beaucoup de ses compatriotes qui lui conseillent de faire comme eux, un enfant à une femme française pour être reconnu comme père d’un enfant français. Il travaille en intérim puis il fait une formation et obtient la reconnaissance de maçon. En 2017, c’est le service médical de l’OFII qui évalue son droit au titre d’étranger malade, et qui lui refuse.

Monsieur B. se retrouve sans papiers, sans travail, et ses angoisses traumatiques reprennent. Il arrive à trouver du travail non déclaré, est alors logé, souvent avec des conflits, par des compatriotes. Il reprend son alcoolisme, travaille quelques fois avec le document d’autorisation de travailler d’un compatriote. Il ne peut plus aider sa famille au Congo, ce qui serait encore plus nécessaire après le décès de son père, et le détournement de l’héritage par la fratrie de son père. Le travail psychothérapeutique est désinvesti, et mon patient n’attend plus que la réponse du recours au TA

Peu de temps après la réponse négative du TA, Monsieur B. m’annonce qu’il a mis enceinte une femme française qui a déjà deux enfants de deux pères différents, qui est aidée par une mesure éducative, et qui accepte de garder l’enfant. À la naissance de celui-ci, il se débrouille pour prouver qu’il s’occupe de l’enfant, et il obtient une carte de séjour.

Alors, les séances de psychothérapie sont désinvesties et irrégulières, il indique son inquiétude quant aux conditions éducatives et des retards de développement de son enfant. Il abandonne les consultations lorsque son enfant d’un an et demi est placé par l’ASE pour carences éducatives graves. Monsieur B. m’indique qu’il doit maintenant obtenir le droit de visite et le maintien de ses droits en tant que père d’un enfant français.

Il préfère soigner sa vie avec des combines, de l’alcool et des anxiolytiques. Tous les acquis des longues années d’accompagnement psychothérapeutiques sont défaits, et Monsieur B. rentre dans une pathologie d’auto-exclusion et de mort sociale.      

Ces deux comptes rendus témoignent de la rigueur, de la valeur, et de l’efficacité structurale des psychothérapies psycho-dynamiques lorsqu’elles restaurent la reconnaissance des sujets dans leurs situations cliniques singulières et contextuelles, historiques et transculturelles, et lorsqu’il y a protection sociale. Le service médical de l’OFII refuse de valider et la nécessité de soins spécifiques, et ces indications de psychothérapies. Et le service médical de l’OFII accepte alors les effets destructeurs de l’abandon social, et de l’évolution asociale des exilé.e.s.

C’est ce que nous, avec la clinique, et avec l’éthique, nous ne pouvons accepter.

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