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Billet de blog 13 août 2025

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Archéologie : un modèle public sous la pression des droites parlementaires

Entre coupes budgétaires, dérogations légales et attaques institutionnelles, le service public de l’archéologie préventive vacille.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis son inscription dans la loi en 2001, l’archéologie préventive s’est imposée comme l’un des piliers de la politique patrimoniale française. Elle repose sur un principe simple : détecter et sauvegarder les éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d’être affectés et détruits par les travaux d’aménagement publics ou privés, à l'image des opérations archéologiques sur la ligne de TGV Bretagne-Pays de la Loire par exemple ou encore sur les aménagements des Zone d'activité commerciale (ZAC) partout en France.

Ce dispositif, souvent cité en exemple à l’échelle européenne, incarne une ambition démocratique : intégrer la mémoire archéologique et la conservation du patrimoine commun à l’aménagement du territoire.

Mais, depuis plus d’un an, ce modèle fait l’objet, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, de propositions législatives et budgétaires récurrentes visant à en réduire la portée. Ces initiatives, parfois rejetées en commission, ne doivent pas être sous-estimées : elles traduisent une évolution profonde du rapport entre choix publics, connaissance scientifique et impératifs économiques.

Des attaques de toutes les droites parlementaires contre les institutions scientifiques

Plusieurs amendements déposés à l’Assemblée nationale ont récemment visé à supprimer les principales instances consultatives du secteur : le Conseil national de la recherche archéologique (CNRA) (amendement n° 2626), ainsi que la Commission consultative des recherches archéologiques à l’étranger (CCRAE) (amendements n° 2566 et 1429). Ces attaques visent l’ensemble du champ archéologique.

Bien que rejetées, ces propositions provenaient de groupes parlementaires variés, de « l’extrême centre » à l’extrême droite : Rassemblement national, MoDem, UDR. Elles s’inscrivent dans une même logique : réduire le rôle des scientifiques dans l’orientation de la recherche, en dépossédant les professionnels de l'organisation de leur métier au profit d’une gestion plus technocratique et centralisée.  L'objectif est un contrôle accru sur les productions scientifiques ainsi qu'une diminution des budgets et des services publics.

Ce glissement témoigne d’une méfiance croissante vis-à-vis de ces instances archéologiques, perçues par les élus de droite comme coûteuses, lentes ou déconnectées des impératifs économiques.

Une volonté de dérogation progressive aux obligations archéologiques

Le rejet de l’article 15 bis C de la loi de simplification économique, proposé par le groupe de droite Horizons, qui visait à exonérer certains projets d’aménagement (projets d’intérêt national majeur) de diagnostic archéologique, a été arraché par la communauté scientifique. Mais, il ne doit pas masquer l’introduction, plus discrète, d’exceptions ciblées dans le code du patrimoine.

Ces exceptions visent, plus ou moins ouvertement, à contourner le cadre légal régissant l’archéologie préventive, en contradiction avec les principes de protection du patrimoine défendus par la Convention européenne de La Valette, ratifiée par la France. Ainsi, la proposition de loi n° 402, portée par le Rassemblement national et déposée le 15 octobre 2024, prévoit, dans son article 2, que les travaux visant à prévenir un danger grave et immédiat ne soient pas soumis à prescription archéologique. Cette disposition est toutefois soumise à la condition d’en informer le préfet de région.

Si cette mesure pourrait éventuellement se comprendre dans un contexte d’urgence qu'il reste encore à définir, elle installe un précédent fragilisant le principe du diagnostic systématique et ouvrant la voie à une interprétation extensive de l’exception.

Cette tendance s’est également matérialisée dans la loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations, adoptée en mars 2025, dont l’article 44 instaure un régime juridique spécial pour accélérer certains projets agricoles liés à l’eau (mégabassines) ou à des bâtiments d’élevage par exemple. Ce dispositif pourrait permettre de contourner, suspendre ou contester plus facilement les prescriptions archéologiques au nom de la productivité et de l'extractivisme. Cette loi a été soutenue par le gouvernement Attal et la FNSEA.

Des budgets gouvernementaux d’austérité destructeurs

Les offensives politiques contre l’archéologie se traduisent également dans le cadre budgétaire, à travers les lois de finances, projet de loi de finances (PLF) et projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), adoptées, ou plus exactement imposées, par le recours répété à l’article 49-3 de la Constitution.

La réduction d’environ 30 % des crédits alloués cette année se traduit par une diminution massive du nombre de jours-hommes dédiés aux diagnostics opérés par l’INRAP. Cette diminution désorganise le fonctionnement même de l'INRAP, et allonge mécaniquement les délais d’intervention pour les aménageurs. Elle alimente ainsi un raisonnement circulaire et fallacieux qui présente l’archéologie préventive comme lente et coûteuse, pour mieux justifier ensuite des mesures de « simplification » au détriment de la qualité scientifique et de la protection du patrimoine.

Ces restrictions budgétaires engendrent également une baisse des couts des opérations archéologiques et, par voie de conséquence, un dumping social. Cela se traduit par la dégradation des conditions de travail, la précarisation accrue des emplois, le non-renouvellement d’environ 400 contrats à durée déterminée à l’INRAP, véritable plan social dissimulé. Il en résulte des pressions croissantes sur les prescriptions scientifiques et par conséquent une destruction accrue du patrimoine. Elles se traduisent aussi par l’absence de remplacement des départs à la retraite, y compris sur des postes stratégiques au sein des DRAC et des SRA, affaiblissant durablement les capacités d’expertise publique.

Ces phénomènes procèdent d’une même logique politique : le désengagement de l’État vis-à-vis de la recherche archéologique et de sa mission de service public.

Un financement revendiqué mais non garanti : de la poudre de perlimpinpin ?

Un autre texte, plus modéré dans sa forme, mérite attention : la proposition de loi n° 1619, déposée le 24 juin 2025 par un député Renaissance, vise à mieux soutenir les petites communes rurales confrontées aux coûts de l’archéologie préventive.

Cette proposition part d’un constat juste : dans certains cas, la charge financière des fouilles peut peser sur des projets d’intérêt local.

Mais, cette proposition n’est pas financée. Le taux de la redevance d’archéologie préventive (RAP) reste inchangé, aucun fonds spécifique n’est créé, et le contexte budgétaire, marqué par une contraction des crédits culturels, rend toute compensation improbable.

Ce bricolage législatif traduit à la fois la méconnaissance du cadre et l’absence de volonté réelle de doter le dispositif d’un financement structurel.

Vers un nouveau déséquilibre entre patrimoine et territoire

Pris dans leur ensemble, ces textes esquissent une redéfinition du rôle de l’archéologie dans la fabrique du territoire.

Loin d’être anecdotiques, ils traduisent un net retour en arrière : l’archéologie n’est plus perçue comme un facteur d’enrichissement collectif, une idée que les archéologues et la population avaient imposée aux dirigeants au prix de nombreuses mobilisations. Cependant, elle est de nouveau perçue comme une contrainte à gérer, un coût à contenir, une expertise à relativiser et, in fine, un obstacle à contourner.

Ce déplacement s’inscrit dans une pratique néolibérale et capitaliste de l’action publique, qui valorise la simplification, la rapidité d’exécution et la réduction des dépenses de tout ce qui freine le développement du profit. Dans ce cadre, les interventions archéologiques, si elles ne sont pas supprimées, sont progressivement marginalisées, rendues conditionnelles ou exceptionnelles.

Un principe à réaffirmer : connaître le territoire avant de le transformer

Le cœur du dispositif de l'archéologie préventive repose sur une exigence essentielle : ne pas détruire les vestiges, le passé de notre environnement et des populations qui nous ont précédées, sans avoir compris.

L’archéologie préventive n’est pas un frein à l’aménagement, mais un moyen d’enrichir la relation de notre société avec notre territoire et son histoire. Elle permet de construire en connaissance de cause, avec une conscience historique.

En affaiblissant les institutions, en multipliant les exceptions, en décourageant le financement public, on ne supprime pas l’archéologie : on l’appauvrit, on la rend invisible, on la rend optionnelle.

Dans une période de recul des droits culturels et sociaux, réaffirmer le rôle de l’archéologie préventive, c’est défendre une certaine idée du bien commun, du service public et du rapport au temps long dans les décisions collectives, en opposition à la course effrénée du profit menée par une minorité.

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