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Les "contrats à impact social" [CIS] mettent autour de la même table, l’Etat ou une collectivité territoriale, des investisseurs privés (essentiellement des banques, fonds d’investissement et assurances) et une association qui porte une initiative dite innovante. Les investisseurs placent de l’argent dans cette initiative et selon des « indicateurs de performance », des mesures d’impact social ou écologique, les pouvoirs publics remboursent cette somme avec des intérêts et des primes de performance établis en fonction des résultats atteints ; le retour sur investissement du contrat du Nord peut atteindre 9,50%, un très bon produit pour les marchés financiers. Des objectifs quantitatifs sont fixés pour le programme sur toute sa durée : accompagner 760 allocataires du RSA, travailleurs indépendants ou entrepreneurs pour créer son entreprise pour en faire sortir 170 du RSA pendant 12 mois consécutifs. Tous ces indicateurs doivent faire l’objet régulier de remontées de données vers l’évaluateur qui délivre des «attestations de performance » permettant le déclenchement du remboursement.
Les défenseurs de ces outils, gouvernements ou entrepreneurs sociaux, arguent notamment que les pouvoirs publics y trouvent leur intérêt puisqu’ils n’avancent pas l’argent et ne prennent pas le risque de financer une innovation sans résultat. Tout le risque, assurent-ils, est pris par les investisseurs qui ne sont remboursés que si les résultats sont attestés.
Le contrat du Nord nous montre, à l’inverse, que le mécanisme de remboursement, intérêt et prime compris, s’enclenche dès les premiers mois du programme. Quant au risque, il apparaît minime étant donné les faibles « indicateurs de performance » choisis. D’autant que le contrat prévoit des révisions possibles des objectifs à la baisse voire même un retrait anticipé des investisseurs en cas de problème. Enfin, investisseurs et département surveilleront comme du lait sur le feu, via un comité de pilotage semestriel, le déroulement de l’action et pourront à tout moment revoir ces indicateurs à la baisse, réviser le programme. Ce comité de pilotage montre également la main mise des investisseurs, via ces outils, sur les pratiques associatives.
L’association désignée comme « l’opérateur » – les mots utilisés sont loin d’être neutres – devra comptabiliser le nombre de personnes accompagnées qualifiées comme telle à partir d’au moins un rendez-vous réalisé (1er indicateur), le nombre de mois de sortie du RSA pour chaque personne accompagnée (2ème indicateur) et le nombre de sortie pérenne entendue comme l’absence de RSA pour une personne accompagnée pendant 12 mois consécutifs (3eme indicateurs).
Les investisseurs financiers, BNP Paribas (moteur dans le développement de ces outils financiers en France), Sogefir du groupe Mulliez et la Fondation de la plus grande banque d’affaire privée belge Degroof Petercam (épinglée en 2019 pour irrégularités en matière d’application des règles anti-blanchiment d’argent), placent 1 936 272 euros dans ce programme de l’association Positiv. Cette dernière, lancée en 2006 par Jacques Attali suite aux révoltes de 2005, vise à «lutter contre la pauvreté et toutes formes d’exclusion en utilisant l’entrepreneuriat positif comme moyen d’émancipation et d’insertion professionnelle ».
La lecture de ce contrat prouve le coût extrêmement lourd de son ingénierie pour les finances publiques : La structuration du contrat portée par BNP Paribas coûte 99 200 euros ; le coût de l’évaluateur : 123 540 euros, le coût total des intérêts des investisseurs : 183 946 euros. Finalement, le département paye pour cette action un montant total de 1 936 272 euros dont plus de 20% relève uniquement de l’ingénierie financière... Reste une grande question : si on comprend l’intérêt des investisseurs, l’intérêt de l’association qui troque tout de même sa liberté d’action contre une grosse somme d’argent, quel est l’intérêt du département de choisir de dépenser autant plutôt que de passer par une subvention classique ?