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Billet de blog 14 mai 2020

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Le rôle clef des associations, pendant et après la crise sanitaire

Ce texte est paru au sein de l'ouvrage collectif «Confinés». Recueil de vécus et de réflexions de citoyens, militants associatifs, syndicaux de l'agglomération melunaise... il rend compte de cette période en racontant leur quotidien, leurs actions, leur colères, leurs difficultés, leurs inquiétudes mais aussi leurs espoirs pour dessiner le monde d'après.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

par Aurélien Boutet, militant de l'éducation populaire, directeur et formateur à la Fédération Départementale des Foyers Ruraux de Seine-et-Marne.

en savoir plus sur l'ouvrage "Confinés". Commande possible via le CAC ou auprès de Aurélien Boutet

Les associations ne sont pas épargnées par la crise sanitaire. Arrêt des activités, chômage partiel pour celles qui ont des salariés… Elles sont pourtant loin d’être inactives, démontrant une nouvelle fois que, comme les services publics, elles sont essentielles au fonctionnement de la société française. Pourtant, comme les services publics elles sont victimes depuis de nombreuses années des politiques de rationalisation budgétaire qui mettent en péril leur action et un pan important de notre économie. Au-delà des revendications financières nécessaires, le monde associatif doit saisir l’occasion historique de s’affirmer comme un acteur essentiel du monde d’après.

Des associations confinées, mais pas inactives

Nombreuses sont les associations qui à ce jour ont fermé les portes de leur structure et ont stoppé leurs activités. MJC, Centres sociaux, Foyers Ruraux, salles de concerts, accueils de loisirs etc. la plupart des associations qui contribuent à la vie sociale et culturelle de notre pays sont à l’arrêt… ou presque. Si elles continuent à fonctionner en « mode dégradé », ayant mis au chômage partiel toute ou partie de leurs salariés, les équipes de bénévoles étant elles aussi restreintes (notamment de la nécessité de protéger les personnes à risque), elles n’en sont pas moins actives.

On pense notamment aux associations de solidarité dont l’activité est d’autant plus fondamentale en ces temps de crise pour venir en aide aux plus fragiles. Portages de repas, courses pour les personnes à mobilité réduite, garde d’enfants pour les salariés devant se rendre au travail, actions de soutien aux personnels soignant etc. Les associations culturelles ou sportives contribuent à proposer des activités à distance : cours de sport en ligne, vidéo musicale, musique aux fenêtres… et même des ateliers couture pour confectionner des masques. Dans les villages des zones rurales, ce sont souvent les associations, quelques soit leur objet, qui organisent la solidarité et/ou font le lien avec les municipalités.

Un tissu associatif organisé, réactif et inventif

La force du monde associatif est sa capacité d’auto-organisation et d’inventivité. Sa structuration « en réseau », sa souplesse organisationnelle, permet une connexion facile entre associations et avec la population. Surtout, leur action de proximité au plus près des habitants en font des acteurs incontournables pour maintenir le lien et repérer les personnes en difficulté. Les « têtes de réseau » (fédérations, unions etc.), souvent décriées et dont certains questionnent régulièrement l’utilité, jouent un rôle non moins essentiel pour maintenir le contact avec les associations isolées, susciter les échanges entre elles, et surtout assurer un accompagnement administratif de leurs adhérents et transmettre des informations, démontrant l’importance de réseaux structurés et organisés. En ce temps de crise le monde associatif démontre donc toute sa capacité d‘intervention, son rôle d’amortisseur social et sa complémentarité avec le service public…

Vous avez dit engagement ?

Cet « engagement citoyen », pour reprendre les termes chers au gouvernement, n’a pas attendu ses discours moralisateurs, ni même la mise en place d’un Service National Universel censé donner le goût de l’engagement aux jeunes pour agir. Sans attendre un hypothétique « appel à projet » ni des injonctions gouvernementales, les associations ont montré qu’elles savaient où étaient les priorités d’action et le rôle qu’elles avaient à jouer dans cette situation. Cette culture de l’engagement plonge ses racines loin dans l’Histoire de France : dans la Révolution Française, dans le mouvement social chrétien qui a donné naissance à nombre d’associations caritatives, et dans le mouvement ouvrier qui donna naissance au syndicalisme, mutuelles et coopératives. Au fil du temps, malgré leurs divergences politiques, chacun de ses courants ont contribué à travers leur travail d’éducation populaire à forger la conscience politique individuelle et collective de nos concitoyens.

Preuve est faite que cette conscience politique et cette culture de l’auto-organisation et de l’action spontanée est toujours vivante. C’est une bonne nouvelle pour notre démocratie. Cela montre l’importance qu’il y a à soutenir les associations pas seulement pour leurs actions (elles sont trop souvent vu comme un supplétif des services publics) mais aussi et surtout pour leur rôle dans ce travail d’éducation populaire et de conscientisation. Ce sont elles qui forment des citoyens critiques et engagés. C’est une moins bonne nouvelle pour ce gouvernement qui voudrait « qu’engagement » rime désormais avec obéissance comme en témoigne la gestion autoritaire de cette crise qui consiste à infantiliser la population plutôt qu’à lui donner les clefs pour comprendre et agir. Il n’est pas étonnant dans ce contexte de voir certains « bons citoyens » s’improviser en gendarmes pour dénoncer ceux qui ne respectent pas les règles… nous rappelant aux heures sombres de l’occupation. Cette crise met magnifiquement en lumière la conception que ce gouvernement a de la citoyenneté.

Un secteur précarisé, en grand danger

Cet engagement associatif est à souligner d’autant plus qu’il est peu visible, car peu mis en valeur par les médias qui s’inquiètent davantage de l’impact sur les entreprises. Rappelons néanmoins que du point de vue strictement économique les associations représentent 1.8 millions d’emplois (sois 6% de la population active). Or, tout comme les services publics, depuis une trentaine d’années la situation des associations a été fragilisée par les politiques d’austérités mises en œuvre par l’État, gravées dans le marbre des traités européens, contribuant à la suppression massive d’emplois et à leur précarisation.

De plus, suspectées de dépenser l’argent public de manière abusive, leur utilité sociale et leur « efficacité » mises en doute, elles ont été placées sous contrôle par L’État et des collectivités à travers le mode de financement « par projet », en lieu et place des subventions de fonctionnement. La crise révèle au grand jour comment ce mode de financement fragilise les associations : si les projets ne sont pas réalisés du fait du confinement, quelle sera alors l’attitude des financeurs ? Si les financements ne sont pas maintenus ou même s’ils sont reportés, les conséquences vont être terribles pour nombre d’entre elles. Et elles ne seront pas seulement économiques !

D’où l’urgence à sécuriser les financements associatifs, afin de sécuriser les emplois socialement et écologiquement utiles (à ce jour, seulement 53% des salariés du secteur associatif ont un CDI), mais surtout afin de faire en sorte qu’elles puissent continuer à exister et à jouer leur rôle.

Après la crise, agir politiquement

Malgré cette situation et malgré l’avenir incertain, bénévoles et salariés continuent donc à œuvrer pour remplir leurs missions, indispensables au fonctionnement de notre société. A la sortie du confinement nous aurons encore besoin d’elles, notamment pour continuer à venir en aide aux plus fragiles, mais aussi pour repenser le monde de demain. Car nombre d’associations portent déjà les germes d’une alternative économique, sociale, écologique et démocratique. D’ailleurs, pour revenir aux sources, l’article 1er de la loi 1901, dit à lui seul cette alternative : « L'association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d'une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. »

Bien entendu, la loi 1901 a été dévoyée par certaines grosses associations (ou même des petites), et il est évident qu’il faudra demain reconsidérer ce qui relève réellement de l’action associative en tant qu’action collective désintéressée, du business social ou culturel (lequel a été encouragé par l’État pour pousser le monde associatif à se transformer en entreprise).  Cependant, nombre d’associations citoyennes sont aujourd’hui des embryons d’une société non pas fondée sur l’argent roi et la consommation (laquelle est en train de s’écrouler sous nos yeux), mais sur une action collective en faveur du bien commun. Si elles sont soutenues et encouragées, elles peuvent jouer un rôle majeur pour imaginer une société plus désirable, qui se souci de la qualité des liens entre les citoyens, de la protection de l’environnement, de nouveaux droits sociaux et démocratiques, le soutien et la valorisation d’emplois socialement utiles.

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, dans la lignée des grandes mesures économiques, sociales et démocratiques inscrites dans le programme du Conseil National de la Résistance, l’État avait alors reconnu et encouragé la création et le développement de nombreux mouvements d’Éducation Populaire dont les protagonistes avaient joué un rôle essentiel dans la Résistance. Ces mouvements avaient alors été un maillon essentiel dans la reconstruction morale et démocratique de la nation. Cependant il ne faut pas oublier que ces mesures ont été le résultat d’un rapport de force social et politique que les protagonistes d’alors ont su mettre à profit.

Demain le secteur associatif peut espérer que des mesures fortes seront prises pour le soutenir financièrement. Mais s’il se contente d’espérer ou d’envoyer quelques émissaires négocier aux entournures du Palais présidentiel, il y a fort à parier qu’il ne se passera pas grand-chose de significatif… et que tout continuera comme avant, les associations se retrouvant encore et toujours à jouer les pompiers pour réparer les conséquences d’un capitalisme néolibéral à bout de souffle, mais dont ceux qui ont intérêt à son maintien feront tout pour que rien ne change. En restant dans cette stratégie qui consisterait à « sauver les meubles », à envisager les choses d’un point de vue strictement économique, le monde associatif se privera surtout d’une occasion historique de réaffirmer son rôle et son importance dans le cadre du contrat républicain.

A l’inverse il s’agirait pour le monde associatif de retrouver une parole politique en sortant des logiques de concurrence et des luttes sectorielles, pour rejoindre les mobilisations qui pourraient voir le jour afin de défendre et développer les services publics notamment, et pour rappeler fièrement le rôle qu’il aura joué durant cette période de crise. Mais il lui faudra aussi le courage de porter une critique sans tabou et sans concession des politiques menées depuis trente ans afin de faire émerger une véritable alternative basée non plus sur le profit individuel et l’exploitation, mais sur un projet politique en faveur du bien commun.

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