Collectif Élèves Protégé·e·s Rennes (avatar)

Collectif Élèves Protégé·e·s Rennes

Collectif de parents d'élèves

Abonné·e de Mediapart

22 Billets

0 Édition

Billet de blog 15 décembre 2022

Collectif Élèves Protégé·e·s Rennes (avatar)

Collectif Élèves Protégé·e·s Rennes

Collectif de parents d'élèves

Abonné·e de Mediapart

Notre victoire, leurs sourires

De l'indignation passive à l'action individuelle, puis collective, comment le mouvement de parents d'élèves en lutte pour un hébergement inconditionnel et pérenne de tous les enfants est-il né ? L'un d'eux témoigne.

Collectif Élèves Protégé·e·s Rennes (avatar)

Collectif Élèves Protégé·e·s Rennes

Collectif de parents d'élèves

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tout a commencé le 26 septembre dernier. Ce jour-là, je recevais, comme tous les parents d’élèves de l’école, un courrier de la directrice :

« Actuellement, nous scolarisons des enfants qui sont logés sous les tentes au parc Saint-Cyr. Si vous avez des cartables, ou manteaux (6 à 10 ans), ou chaussures (pointures 29 à 33) en bon état à donner, ils seront les bienvenus. Veuillez les déposer devant le bureau de la directrice d'élémentaire. Nous vous renverrons un mail dès que cela ne sera plus nécessaire. »

L’éducation, ce n’est pas rien. Ma fille est plutôt privilégiée. Elle ne manque apparemment de rien, possède sa propre chambre, deux bibliothèques remplies de livres amassés depuis sa naissance et qu’elle chérit presque autant que son chat, une console de jeux vidéo. Elle prend des cours de danse et de piano. Elle ne fréquente que très occasionnellement la garderie. Son père et sa mère sont là, tous les soirs, pour lui souhaiter bonne nuit. Si nous pouvons être aussi présents, c’est en partie par choix personnel. C’est également parce que notre situation professionnelle nous le permet. Et nous savons à ce sujet ce que nous devons à l’école : l’école publique peut et doit être un lieu d’émancipation, comme elle l’a été pour nous.

Ma fille de huit ans venait donc de faire sa rentrée, quelques semaines auparavant, et j’apprenais que d’autres enfants, camarades de classe ou de cour de récréation, fréquentaient l’école pendant la journée, mais rentraient le soir dans un campement installé dans un square voisin. Et dormaient sous une tente. Quelle émancipation par l’école peut-on espérer pour ces enfants lorsqu’ils arrivent en classe le ventre vide, avec pour seule perspective une nouvelle nuit sous tente, soumis aux aléas climatiques et aux violences inhérentes à la promiscuité d’un campement ?

Il y avait donc d’abord ce sentiment d’injustice. Si chacun doit, dans la vie, pouvoir mener sa barque à sa manière, la satisfaction des besoins individuels fondamentaux que sont entre autres le logement, l’éducation et la santé, apparaît comme une condition préalable à tout épanouissement collectif. Et si la société a obligation d’y pourvoir, elle y a également tout intérêt pour son propre bien. Et puis, comment aurais-je pu justifier mon inaction auprès de ma fille ? L’abandon par les pouvoirs publics excusait-il le fait que je ferme les yeux sur la souffrance qui s’étalait sur les trottoirs, en bas de chez moi, et jusque sous les préaux des écoles ?

Certainement, au même moment, d’autres parents d’élèves ont eu, ici ou là, des réflexions similaires. Et très vite, nous avons décidé d’agir ensemble. Après s’être regroupés à quelques-uns au sein de l’école pour apporter l’aide d’urgence dont nous étions capables, nous nous sommes vite rendus compte que des situations semblables à celles dont nous faisions l’expérience très localement existaient dans d’autres établissements de la ville. Les contacts se sont rapidement multipliés, avec les mêmes constats d’indignité de la réponse apportée par l’État à la problématique des enfants à la rue, et d’urgence à mettre les familles à l’abri.

Début octobre, alors qu’étaient évacués les campements des parcs de Saint-Cyr et de la Touche, le collectif rennais de parents d’élèves prenait forme et décidait, si nécessaire et en accord avec les familles concernées (ce qui n’est pas une évidence, certaines familles préférant l’anonymat d’une vie en squat ou dans leur voiture), une mise à l’abri dans les écoles publiques de la ville.

Le collectif de parents d’élèves s’est constitué autour de deux actions majeures :

  • la mise à l’abri d’urgence des enfants
  • le plaidoyer pour le droit inconditionnel à un logement stable et pérenne pour les familles

Nous avions commencé à mettre à l’abri dans les écoles. Il nous fallait encore être audibles des pouvoirs publics.

Pendant deux mois, sans trêve, nous avons interpellé tous les décideurs. Nous avons été reçu à la Mairie, au Département, à la Préfecture, par les députés locaux. Tous, de plus ou moins bonne foi, nous ont dit leur incapacité à trouver des solutions.

La presse, locale ou nationale, a aussi largement relayé nos actions. Dans ce que nous considérons comme un vœu pieux, le ministre du Logement, Olivier Klein, s’est même engagé à ce qu’aucun enfant, quel que soit le statut administratif de ses parents, ne passe l’hiver à la rue.

Mais les faits viennent chaque jour contredire ses paroles.

Les températures sont très basses. Ce matin, il faisait -5 degrés à Rennes. De nombreuses familles ont encore passé la nuit dehors ; le froid, la faim, l’humiliation permanente corrodant un peu plus ce qui leur reste d’intégrité physique et psychologique.

Mais l’échec de l’État n’est pas le nôtre.

Au milieu du marasme politique et moral, nous profitons de quelques instants lumineux. Comme ce samedi, récemment, où les deux familles hébergées pendant plusieurs mois sous tente, puis plusieurs semaines dans l’école de ma fille, ont enfin pu intégrer un logement, leur logement. Avec le concours du milieu associatif d’aide aux personnes exilées, un commodat (prêt d’un bien par un promoteur immobilier dans l’attente de sa vente ou de sa destruction) a pu être signé, et les deux appartements ont été nettoyés, repeints, meublés, bref, remis en état en quelques jours par les parents d’élèves et les familles elles-mêmes, afin qu’elles puissent y trouver un peu de chaleur et de sécurité.

Peu importe que cette situation ne soit que transitoire. Pendant près d’un an et demi, le temps du commodat, ces familles vont pouvoir retrouver la stabilité nécessaire à leur épanouissement et à leur intégration dans un pays qu’ils ne souhaitent définitivement pas quitter. Les enfants pourront, de leur côté, poursuivre une scolarité normale.

Notre victoire est là, et dans leurs sourires. Nous en remporterons d’autres.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.