
Agrandissement : Illustration 1

À Triel-sur-Seine, dans les Yvelines, la mairie a décidé d’instaurer un couvre-feu pour toutes les personnes mineures, entre 23 h et 5 h du matin, jusqu’au 1er novembre. Pour circuler durant ces heures, les personnes de moins de 18 ans devront être munis d’une autorisation parentale, restreinte à quelques motifs impérieux. Le périmètre autorisé pour sortir promener un animal de compagnie ? Un kilomètre autour du domicile, comme en plein confinement Covid.
La mairie justifie cet arrêté par une « recrudescence d’actes d’incivilité commis par des mineurs » et une supposée « démission éducative de certains parents ». Mais aucune analyse sociale ou territoriale ne vient appuyer cette déclaration alarmiste.
Une mesure discriminatoire
Interdire à toute une catégorie de la population de circuler librement dans l’espace public constitue une atteinte grave aux libertés fondamentales. Imagine-t-on une mairie interdire, pendant plusieurs mois, la sortie nocturne à tous les hommes, sous prétexte de lutter contre les violences faites aux femmes ? Non, car une telle mesure heurterait frontalement la liberté des citoyens.
Pourquoi, alors, accepte-t-on qu’une personne mineure soit présumée délinquante dès qu’elle traverse la rue après 23 h ?
Ce couvre-feu stigmatise toute la jeunesse, et va à l’encontre de ses besoins fondamentaux, à commencer par la socialisation. On demande aux jeunes de limiter le temps passé devant les écrans, mais on les enferme dans des logements où se produisent, rappelons-le, la majorité des violences faites aux enfants et aux ados. Que fera un adolescent maltraité qui souhaite se réfugier chez un ami ? Cette mesure le met en danger au lieu de le protéger.
Elle n’apporte d’ailleurs aucune réponse réelle à la délinquance : ni prévention, ni écoute, ni politique éducative. Juste une logique de sanction, appliquée indistinctement, dans un climat de surveillance généralisée. Alors que nous connaissons les ravages psychiques provoqués par les confinements, cette mairie semble ignorer une réalité pourtant bien documentée : la fragilité croissante de la santé mentale des jeunes.
Une nouvelle violence faite à la santé mentale des jeunes
Les ados sortent à peine d’une période de confinements successifs qui ont durablement altéré leur bien-être psychique. Les études de santé publique sont unanimes : limitations de liberté, contrôle permanent, enfermement symbolique ou réel affectent profondément leur équilibre mental. Isolement, anxiété, défiance envers les institutions : voilà les effets durables de ces politiques restrictives.
Imposer aujourd’hui un nouveau dispositif coercitif, calqué sur les pires épisodes du Covid, revient à réactiver un traumatisme collectif encore à vif. Cette décision municipale ne fait qu’aggraver la souffrance d’une jeunesse déjà vulnérable, au lieu de l’accompagner, de la sécuriser et de la reconnaître comme sujet de droit.
Quand l’autoritarisme remplace la responsabilité
Sous couvert de « protection », cet arrêté municipal infantilise à la fois les enfants et leurs parents. Il réduit la parentalité à une signature sur un formulaire, et la jeunesse à une question d’ordre public. C’est une vision profondément régressive du lien social et de l’éducation.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la mairie de Triel-sur-Seine prend des mesures autoritaires à l’encontre de ses habitants : un précédent arrêté, interdisant les rassemblements de plus de deux personnes la nuit, avait déjà été annulé par la justice en mai 2025.
Nous ne voulons pas d’une société où les personnes mineures doivent présenter une attestation pour promener leur chien. Nous refusons une vision policière de l’enfance, où la sécurité prime sur la liberté, où la stigmatisation remplace la solidarité. À travers les couvre-feux, les arrêtés municipaux liberticides, mais aussi la banalisation croissante des espaces “no kid”, se dessine une société qui ne veut plus voir ses enfants, une société qui préfère les parquer pour mieux les contrôler.
Plutôt que d’accompagner la jeunesse, on l’exclut et on la réduit au silence. C’est une pente dangereuse. Ce qui se joue aujourd’hui est grave : on apprend à toute une génération qu’elle n’a pas sa place dans l’espace public.
Contre la délinquance, l’exclusion n’est jamais la solution
Face à la délinquance juvénile, la réponse ne sera jamais la répression, l’autorité ou l’enfermement. Les travaux de recherche sont clairs : la répression aggrave la désocialisation et accroît le risque de récidive. N’a-t-on rien appris de notre histoire ? La délinquance juvénile explose après des crises sociétales, économiques ou sanitaires.
Il est plus que temps de réagir. Une jeunesse qui s’effondre, c’est tout un pays qui vacille. L’urgence est d’investir dans des politiques publiques dignes de ce nom : éducatives, sociales, inclusives et respectueuses des droits fondamentaux.
Pas dans des arrêtés d’un autre temps.