Le verdict en appel du Tribunal de Bobigny a tranché en faveur de l’Établissement public foncier d’île de France (EPFIF) -le propriétaire- et la mairie de Montreuil -le donneur d’ordre-, piétinant ainsi le droit au logement des occupants au prétexte qu’ils sont des activistes revendiqués. Et en effet, après s’être battus contre un plan de dépollution du site, délibérément sous-évalué par les promoteurs, les squatteurs de l’association autogérée, « Garde la pêche, Montreuil ! », rêvent maintenant d’un futur réellement écologiste, solidaire et alternatif pour la reconversion de ce lieu unique. Fort.e.s d’un soutien total du tissu associatif et culturel local qui se bat depuis près de 30 ans pour la préservation des murs-à-pêches, ils et elles n’en restent pas moins des personnes précaires qui risquent de se retrouver à la rue du jour au lendemain.

Le collectif "Garde la pêche, Montreuil !" sera présent les 4 et 5 juin sur le site du Festival des Murs-à-pêches pour échanger sur sa lutte et ses projets. Il y tiendra un stand et participera avec l’association « Restes Ensemble » au Forum Politique des communs et de la reprise des terres urbaines le samedi midi de 11H30 à 13H30
Aux Murs à Pêches, à chaque grand projet sa mobilisation !
Dans les hauteurs de la ville de Montreuil, un îlot végétal emblématique résiste aux assauts du béton. Les Murs à Pêches, symbole patrimonial du Haut-Montreuil, structuraient la ville depuis le XVIIe siècle, occupant à leur apogée 300 hectares de terres agricoles. Aujourd’hui, il ne reste plus que 35 hectares de ce qui avait été un réseau de plusieurs centaines de kilomètres de murs de terre et de pierres, édifiés pour la production de fruits, à quelques pas des cités populaires et de Paris. Anciennement investis par des communautés de gens du voyage, les Murs à Pêches constituent aussi depuis les années 1980, un refuge pour de nombreux Tziganes.
Progressivement, de nombreuses associations montreuilloises se sont appropriées les jardins et les vergers du site permettant ainsi d’entretenir et de donner vie à ce témoin d’une partie du patrimoine historique de la ville (associations artistiques, environnementales, solidaires, d’éducation populaire …) tout en résistant à la pression des promoteurs immobiliers et commerciaux. Jusqu’à ce jour, tous leurs grands projets pour les murs à pêches ont fait les frais des mobilisations de ce tissu associatif.
En 1989, au nom de la défense de l’emploi ouvrier, le projet de la « Zone d’Aménagement Concerté pierre de Montreuil », prévoyait la construction de structures industrielles et d’un bâtiment universitaire. Ce premier projet fut abandonné par décision du Conseil d’État, à la demande des habitants qui refusaient d’être expropriés et s’étaient rassemblés au sein de l’ADHM Association de Défense des Habitants de Montreuil, présidée par Bernard Ripouilh.
En 1994, l’association Murs à Pêches (MAP) est née en réaction au déclassement du quartier en « zone urbanisable à 80% ». En 1999, le projet d’urbanisation Corajoud planifiait la construction de 250 pavillons et de 70000m² de locaux. Là encore, grâce aux initiatives et mobilisations, une mesure de classement en urgence fut décrétée en 2001, suivie du classement définitif au titre des « Sites et Paysages » en 2003.
En 2012, le Plan Local d’Urbanisme fut à nouveau modifié pour que les Murs à Pêches redeviennent un « espace vert urbanisable » avant d’être abrogé par le tribunal administratif suite au recours de l’association des MAP. Cinq ans plus tard, c’est le nouveau plan d’urbanisation dans le cadre des projets Inventons la Métropole du Grand Paris qui souleva une nouvelle grande vague de mobilisations. Une pétition recueillit plus de 8000 signatures et la « Manifestival » pendant les journées du Festival des Murs à Pêches en juin 2018, réunit plus de 2000 personnes sur la place de la Mairie pour réclamer le retrait de ce projet. Chaque année, le festival organisé par la Fédération des Murs à pêches qui regroupe 15 collectifs et compagnies, est un moyen de faire avancer le combat pour la communalisation des MAP.
Le 31 août 2020, lors du Loto du Patrimoine, l’actuel maire Patrice Bessac avait assuré vouloir « tourner définitivement la page de l’industrialisation et de l’urbanisation des Murs à Pêches et garantir la protection de ce poumon vert de l’est parisien ». Le projet Urbanera (une filiale de Bouygues) qui venait de remporter l’appel d’offre prévoyait pourtant des logements, des parkings et des espaces commerciaux sur l’ensemble des parcelles de l’ex-usine EIF, dont plus d’un hectare d’anciens murs-à-pêches. Appartenant au domaine public, en plus de la bétonisation, il s’agissait donc d’une privatisation à peine déguisée de cette parcelle arborée située en bordure du tracé de la ligne du futur tramway.
Les murs à pêches sont l’un des plus grands espaces verts d’île de France mais ils sont aussi, du fait des déchets toxiques accumulés dans les sous-sols de l’ancienne usine, l’une des zones les plus polluées de la région. Ce paradoxe et les doubles-discours politiques qui l’accompagnent sont aujourd’hui au cœur des enjeux de la dernière grande mobilisation en date : l’occupation de l’ancienne usine par le collectif « Garde la Pêche ! » depuis septembre 2020.
Occuper un site pollué pour éviter une catastrophe sanitaire et écologique

D’un côté, au mépris des promesses faites aux associations et entreprises qui étaient locataires depuis 2013 et qui devaient faire partie du projet de reconversion, elles étaient finalement expulsées, sous la menace d’une amende journalière. De l’autre, un programme de dépollution allait commencer. Il prévoyait une démolition des bâtiments puis un système d’extraction des matières toxiques enterrées - 25 tonnes de benzène et de trichloréthylène- qui menaçait très sérieusement la santé des riverains de la rue Pierre de Montreuil. L’association « Restes Ensemble »[1], crée en 2020, suivant les conseils de l’association « Romainville Sud » qui continue d’avoir à faire aux mêmes types de contaminations[2], venait alors de porter plainte contre le permis de démolir.
C’est dans ce contexte que l’occupation illégale de ces anciens bâtiments industriels est venue renforcer la lutte de l’asso de riverains-écolos qui a conduit à l’abandon complet du projet d’Urbanera. Profitant du temps gagné, les actions continuent de se multiplier (piquets devant la mairie, toxitour, projections …) afin de réclamer davantage d’études et de moyens alloués à la dépollution.
L’EPFIF a tout d’abord fini par faire annuler le permis de démolir initialement prévu, ce que l’association exigeait depuis que les riverains avaient été alertés par l’exemple tragique de l’ancienne usine Wipelec à Romainville. La dépollution se fera donc à couvert, sans toucher à la dalle de béton sous laquelle se trouvent les poches de pollution, limitant ainsi le risque de migration des polluants. De plus, l’association Restes Ensemble a obtenu de la municipalité qu’elle effectue des prélèvements supplémentaire de la qualité de l’air chez une dizaine de riverain·es, lesquels serviront de points de repères lors de la dépollution. Enfin, L’EPFIF a également été contraint de s’engager à réaliser des points de contrôle supplémentaires en bordure du site, reconnaissant par-là l’insuffisance du premier dispositif de surveillance. Ces victoires sont bien la preuve que l'engagement et la vigilance citoyenne fonctionnent et restent indispensables et ce, jusqu’à la fin de l’intervention sur site.
Lors des dernières municipales, l’actuelle majorité s’était engagée à relever le défi de la dépollution, parlant de faire de Montreuil un « pôle d’expertise » et d’EIF un « cas d’école ». Pourtant, face à l’absence de communication de la part de la municipalité et de l’EPFIF depuis des mois, de nombreuses questions restent en suspens : la date prévue pour le début des travaux de dépollution, l’entreprise qui les réalisera, la façon dont les prélèvements seront communiqués aux riverains tout au long du processus ou encore, les mesures de sécurité envisagées en cas de migration des polluants. De plus, il ne peut incomber à la société chargée de la dépollution d’encadrer seule ses propres interventions. C’est pourquoi, l’association continue d’exiger que la surveillance des travaux soit assurée par un organisme technique indépendant afin de garantir la transparence et la qualité du suivi.
Survivre, résister et créer dans les ruines du capitalisme
Pendant le temps de la procédure judiciaire, plus d’un an et demi, les parties saines de l’ancienne usine sont à la fois devenue un lieu de vie et un véritable incubateur d’initiatives sociales, culturelles et militantes. À ce jour, cette occupation protéiforme permet de maintenir ouvert un débat public indispensable sur les opérations de dépollution de ce site et son avenir, en lien avec celui des Murs à Pêches.

Constituée de 45 habitant.e.s[3] et d’une centaine de participant.e.s aux activités collectives pour ce qui est des membres permanents, cette association qui compte aujourd’hui plus de 1800 adhérent.e.s permet actuellement à près d’une trentaine de collectifs, d’artistes, d’artisans et de groupes de se réunir, de créer, de répéter, de stocker du matériel, etc. Elle est le fruit d’une rencontre entre des accidenté.e.s du travail, des réfugié.e.s, des individus en rupture familiale, mais aussi des victimes de violences sexuelles – et revictimisées par le système judiciaire -, des artistes plongé.e.s dans une précarité extrême par la crise du covid, entre autres, des membres de la communauté rom, des artisans sans ateliers et des chercheurs sans chaires. Connu à Montreuil et ailleurs comme « EIF », les formes de l’occupation des lieux n’ont cessé de se densifier tout en se fluidifiant du fait de l’apprentissage pratique de l’autogestion in situ par tous ses habitants, artistes résident.e.s et participant.e.s extérieur.e.s d’âges et d’origines socio-culturelles exceptionnellement diversifiées. La solidarité est au premier plan des activités qui font palpiter l’ancienne usine comme la récupération d’invendus, la redistribution et la transformation alimentaire contre le gaspillage systémique, l’hébergement d’urgence, l’espace en mixité choisie, de nombreux ateliers participatifs et inclusifs ainsi qu’une recyclerie gratuite de vêtements, outils, appareils ménagers, vélos, meubles, etc.
Il faut bien évidemment préciser que Garde la Pêche ! a condamné l'accès à la partie où se trouve les fosses de solvants chlorés et n’a organisé ses activités que dans les parties les plus saines du complexe industriel, comme la mairie l’avait également autorisé depuis 2013 alors qu’elle avait parfaitement connaissance de l’existence et de la toxicité des polluants présents sur le site. L’association, en plus d’avoir contribué à éviter une catastrophe et à permettre une vigilance citoyenne, ne met pas davantage en péril ses adhérents que ne l’a fait la mairie de Montreuil avec les éditions Libertalia, la brasserie La Montreuilloise, les Jardins de Babylone ou encore l’entreprise « Construire Solidaire » pendant plus de 10 ans. Comme dans le cas de Wipelec à Romainville, il faut bien comprendre le processus de dépollution est potentiellement plus dangereux pour les riverains que les contaminations en l’état. Dans ce contexte, occuper un lieu pollué pour éviter que la contamination continue d’être gérée de façon irresponsable sous la pression d’investisseurs privés, est éthiquement parfaitement cohérent.
Activistes et habitants
Devant les tribunaux, les habitant.e.s sont accusé.e.s de porter atteinte aux droits du propriétaire foncier, un établissement public, par leur « occupation politique » d’EIF. Au nom du fait qu’il.elle.s se soient associé.e.s dès le départ aux revendications des riverains comme des acteurs socio-culturels du quartier des murs à pêches, les avocats de l’accusation tentent ainsi de dénier toute forme de reconnaissance de leur droit au logement.

Or, si cette occupation est absolument politique, il n’en demeure pas moins qu’elle n’a été possible que parce qu’un groupe de personnes a réellement entrepris de venir habiter au 97 rue Pierre de Montreuil. De nombreux témoignages déjà présentés à la justice, dont celui d’un huissier, attestent sans équivoque que les personnes inscrites sur la procédure y vivent bel et bien, et à plein temps. En dépit de cela, le propriétaire a obtenu de la justice une « expulsion sans délai ni solution de relogement » du « collectif d’activistes », balayant ainsi le problème de la détresse locative extrême dans laquelle se trouvent les actuels habitant.e.s de l’ancienne usine. En continuant de s’organiser pour que la dépollution du site EIF se fasse dans les meilleures conditions possibles et que la décision de la méthode employée soit consensuelle, le collectif « GLP ! » revendique activement une écologie réellement sociale, selon laquelle le droit au logement n’est pas dissociable du droit à vivre dans un environnement sain.
Malgré la menace d’expulsion de plus en plus imminente, l’association continue de se battre pour l’édification d’une structure durable susceptible de gérer un tiers lieu coopératif, solidaire et créatif, en parallèle ou successivement, au programme de dépollution (lorsqu’il sera mis en œuvre) en coopération avec l’ensemble du tissu associatif des murs à pêches. Résister, c’est aussi imaginer une nouvelle destinée à ce qui aura successivement été un verger, un site industriel, une friche et une ruche de petites entreprises conventionnées avant de se voir transformé en un village alternatif, solidaire et autogéré.
Pour soutenir le projet de « GLP ! » pour que cette parcelle ne soit pas cédée à des grands promoteurs mais devienne un bien commun gouverné par le réseau associatif local et accessible aux habitant.e.s du quartier :
Rejoignez « Garde la Pêche, Montreuil ! » les 4 et 5 juin sur le site du Festival des Murs-à-pêches le collectif y tiendra un stand et participera avec l’association « Restes Ensemble » au Forum Politique des communs et de la reprise des terres urbaines le samedi midi de 11H30 à 13H30.
Par Sunniva Labarthe, Docteure en Sociologie Politique, EHESS. Membre de l'association Garde la Pêche Montreuil !
Le mail de l’association : gardelapechemontreuil@gmail.com
Le site : https://gardelapechemontreuil.wordpress.com/
[1]Voir le site de l'association Restes Ensemble : https://mursapeches.blog/category/restes-ensemble/
[2]La dépollution du site de l’entreprise Wipelec par une entreprise privée pour y construire des logements a conduit à un désastre sanitaire et à un abaissement normatif contre lesquels l’association Romainville Sud se bat depuis des années. Voir : http://romainvillesud.over-blog.com/
[3]Si l'on prend en compte les habitants d'origine roumaine qui vivent au 95 rue Pierre de Montreuil depuis 2016 et font les frais de la même procédure que les habitants du 97. Leur avocate, Me Emilie Bonvarlet travaille en collaboration avec l'avocat des habitants d'EIF, Me Matteo Bonaglia. Le nombre de personnes résidant dans l'ancienne usine et sa fréquentation n'ont cessé d'augmenter au fil du temps et de l'évolution de la mobilisation.
Consulter le dossier complet UN PROJET POUR L’AVENIR D’EIF :