Les femmes sont les premières concernées par la question de la fin de vie. Parce que les vieux sont majoritairement des vieilles et parce que les individus qui s’occupent des personnes en fin de vie sont majoritairement des femmes[1]. La question de l’autonomie et des choix possibles est centrale dans les combats féministes, articulée à la pensée du collectif et de la solidarité. Ainsi, les luttes féministes et les études de genre s’intéressent à repérer et agir contre les discriminations que subissent les femmes en montrant notamment qu’il ne s’agit pas de problématiques individuelles, mais de fonctionnement systémique.
Il est étonnant d’entendre la rhétorique de la liberté individuelle et de la toute autonomie du choix associé à la situation des femmes, tant on sait que précisément, y compris dans ce champ de la fin de vie, elles sont victimes d’inégalités et de discriminations.
On sait que les femmes sont plus enclines à passer à l’acte suicidaire si on leur propose une modalité en apparence plus « douce ». En Belgique et aux Pays Bas, 70% des suicides assistés ou euthanasie pour raison psychiatrique sont demandés par des femmes[2]. A l’image, illusoire d’après nous, de femmes fortes décidant en toute autonomie de mourir, nous proposons, à partir de notre écoute des femmes âgées et malades ainsi que des quelques études qui existent, de pointer plusieurs registres d’inégalités qui peuvent conduire à demander à mourir.
Les femmes vivent plus longtemps, elles sont susceptibles d’être victimes d’isolement mais également de maltraitance. Les femmes âgées ne sont pas épargnées par les violences sexistes et sexuelles, la dernière enquête de Médiapart sur les résidentes en Ehpad victimes de viols en est un exemple glaçant[3]. Or, l’isolement fait partie des éléments forts qui justifient la demande de mort médicalement provoquée chez les personnes qui en font la demande.
Par ailleurs, les violences sexuelles favorisent les comportements suicidaires (associés à un sentiment de détresse ou des symptômes dépressifs). Or on retrouve ces mêmes éléments chez les personnes qui demandent une aide médicale à mourir pour des raisons dites psychiatriques[4]. Ces facteurs liés au genre sont donc à prendre en compte dans les réflexions sur les inégalités de genre en lien avec l’euthanasie et le suicide assisté.
Plus concrètement, on peut s’interroger sur les conditions de vie de ces femmes, leur expérience et leur souffrance qui les amènent à demander à mourir. Plutôt que leur permettre de mourir, nous proposons de soutenir leur désir de vivre, et pour cela de réfléchir si leurs conditions de vie sont suffisamment dignes pour se projeter dans un monde dans lequel elles ont leur place. La précarité financière touche les femmes tout au long de leur vie, et en particulier après la retraite, les conditions de vie socio-économiques font partie des éléments qui peuvent causer détresse et souffrance lorsque l’on est dépendant ou que l’on sait qu’on va le devenir.
Un dernier élément concerne ainsi la peur d’être un poids, d’être un fardeau pour ses proches, pour ses enfants ou pour la société. La possibilité de demander la mort entre alors en écho avec la valorisation du sacrifice de soi[5], largement ancré dans les représentations associées aux femmes, injonctions sociales incarnées par de nombreux discours et intériorisées par certaines femmes estimant qu’elles n’ont pas la légitimité à demander de l’attention, du soin, du temps, de l’argent, une fois qu’elles ne sont plus en mesure de remplir les fonctions de care qu’elles ont, la plupart du temps, occupé au cours de leur vie. L’injonction faite aux femmes de ne pas prendre trop de place est une expérience qui commence dès l’enfance, nous entendons son expression ultime dans le fait de soutenir leur demande de s’effacer définitivement pour ne pas peser.
Dans un article intitulé « Nous devons nous occuper de la question du genre dans la mort assistée » Rachael Wong écrivait déjà en 2017 : « Ces idées remettent en question la présomption selon laquelle les femmes qui décident de recourir au suicide assisté exercent toujours leur autonomie. La légalisation pourrait en fait aggraver les influences socioculturelles oppressives et faciliter le dernier des nombreux « non-choix » pour certaines femmes. ».
On se prend à rêver d’un appel des Vieilles qui auraient le droit de l’être et à qui on donnerait de la reconnaissance, des ressources, des moyens et de l’attention.
Sara Piazza, docteure en psychopathologie et psychanalyse,
psychologue clinicienne à l’hôpital
Claudia Klaassen, psychologue clinicienne à l’hôpital
[1] https://drees.shinyapps.io/demographie-ps/
[2] Kim SY, De Vries RG, Peteet JR. Euthanasie et suicide assisté des patients atteints de troubles psychiatriques aux Pays-Bas 2011 à 2014. JAMA Psychiatrie. 2016 Avr;73(4):362-8.
[3] https://www.mediapart.fr/journal/france/191222/violences-sexuelles-en-ehpad-les-femmes-vulnerables-sont-des-proies
[4] Nicoloni, M., Gastmans, C. et Kim, S. (2022). L’euthanasie psychiatrique, le suicide et le rôle du genre. The British Journal of Psychiatry, 220(1), 10-13.
[5] https://www.researchgate.net/publication/228172912_Gender_Feminism_and_Death_Physician-Assisted_Suicide_and_Euthanasia