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Billet de blog 2 juin 2023

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Prévention du suicide et euthanasie : une contradiction performative

A l'heure des grandes campagnes de prévention du suicide, la légalisation de l'euthanasie ou du suicide assisté viendrait déstabiliser l'écosystème préventif français. Cela créerait également une situation paradoxale : nous sauverions des gens contre leur gré d'une main, tandis que de l'autre nous donnerions la mort sur demande.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le projet de loi sur la fin de vie présenté au parlement en septembre prochain va de nouveau ouvrir le débat sur la question de la mort administrée (suicide assisté et euthanasie). Si les arguments philosophiques sont souvent mobilisés, un sujet l’est en revanche beaucoup moins : la conséquence d’une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté sur les campagnes de prévention du suicide.

A ce titre, il peut être utile de rappeler ici les données du débat [1] :

  • 9000 personnes se suicident chaque année en France ;
  • en 2020, 68 556 individus ont été hospitalisés pour tentative de suicide ;
  • toujours en 2020, 25% des Français ont perdu un proche à cause d’un suicide ;
  • Les raisons principales poussant des personnes à se suicider sont :

- Les revenus faibles et le chômage (la proportion de tentatives de suicide est plus importante dans le quart de la population ayant le plus faible niveau de vie) ;

- Les troubles mentaux ;

- Les traumatismes (viols, violences conjugales etc.). Ainsi, 1/3 des femmes violées ont tenté de se suicider contre 6% des femmes qui ne l’ont pas été.

  • Un programme national de prévention du suicide a été mis en place en 2022 et comprend :

- La formation des professionnels de santé ;

- La mise en place d’un numéro national ;

- Un dispositif de rappel téléphonique pour éviter les récidives.

A cela, il faut ajouter les nombreuses associations qui ont fait de prévention du suicide leur vocation. Nous pouvons par exemple citer les organisations suivantes : Recherche et Rencontre, SOS Amitié, Groupement d’étude et de prévention du suicide (GEPS), UNAFAM, PHARE Enfants-Parents, Suicide Ecoute, SOS Suicide Phénix, La Porte Ouverte, Le Refuge, Contact, France-Dépression, PEGAPSE, VIES 37, Jonathan Pierres Vivantes, EPE, ADAGBB, FEVSD ou encore Empreintes.

C’est donc tout un écosystème qui a été mis en place dans le but d’aider les personnes en détresse et de prévenir les tentatives de suicide.

Il nous faut rappeler un autre fait, tout aussi important : nous devons l’assistance aux individus qui tenteraient de se suicider. Ainsi, nous ne pouvons laisser quelqu’un souhaitant mourir passer à l’acte sans rien faire, sous peine d’être condamné à non-assistance à personne en danger.

Au-delà du principe de solidarité qui est au cœur de notre société, c’est bien la mission de prévention du suicide qui serait mise en danger par la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. L’acte suicidaire est en effet banalisé et peut avoir un effet incitatif sur les personnes fragiles. Ainsi, paradoxalement, les taux de suicide non-assistés ont augmenté dans la plupart des pays ayant légalisé la mort administrée. Dans une étude publiée en février 2022 dans le Journal of Ethics in Mental Health [2], le professeur David Albert Jones affirme que « l’introduction de l’euthanasie ou du suicide assisté est suivie d’une augmentation considérable du nombre de suicides (y compris du suicide assisté). Il n’y a aucune réduction du nombre de suicides non-assistés du fait de la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté, voire, dans certains cas, il peut y avoir une augmentation relative ou absolue du nombre de suicides non-assistés. » ? Ainsi, en regroupant les données de 10 Etats américains ayant légalisé une forme de mort administrée, on peut voir que cette légalisation est associée à une augmentation de 6,3% du nombre total de suicides (y compris non-assistés) selon une étude menée par le même professeur David Albert Jones et le professeur David Paton [3].

Ce schéma vaut pour tous les Etats ayant légalisé une forme de mort administrée recensés dans l’étude de 2022. Ainsi, dans la conclusion, nous pouvons lire « Les données provenant d’Europe ne sont pas rassurantes : le taux de suicide non-assisté n’a pas décliné relativement aux Etats comparables n’ayant pas légalisé l’euthanasie ou le suicide assisté, au contraire, on a pu assister à une large augmentation du taux de suicide (y compris du suicide assisté), particulièrement parmi la population féminine. »

La légalisation de la mort administrée pose enfin un problème philosophique et éthique en ce qui concerne la prévention du suicide : où se trouve la limite du respect de la volonté d’un individu ? De quel droit devrait-on d’une main sauver une personne ayant tenté de se suicider tandis que de l’autre on aidera un patient à se suicider ? La volonté du premier n’était-elle pas aussi de mourir ? Au nom de quels critères jugerions-nous sa volonté irrecevable ? Et que pourront dire les associations aux individus souhaitant mettre fin à leurs jours si, dans le même temps, la société autorise et même aide ceux qui le souhaitent à se tuer ? La condamnation pour non-assistance à personne en danger n’aura d’ailleurs plus de sens. Si l’on accepte d’aider les personnes souhaitant se suicider à le faire, alors il serait illogique de condamner un individu qui laisserait quelqu’un mourir après une tentative de suicide, voire qui abrègerait ses souffrances.

C’est tout un écosystème de prévention du suicide qui serait déstabilisé par une légalisation de la mort administrée. Un projet de loi sur le sujet ne peut faire l’économie de cette question, et une étude d’impact pourrait être nécessaire.

Collectif Hippocrate

[1] « Le suicide en France – Faits et chiffres », Statista Research Department, 12 janvier 2023

[2] David Albert Jones, “Euthanasia, Assisted Suicide, and Suicide Rates in Europe”, Journal of Ethics in Mental Health, 7 février 2022

[3] David Albert Jones, David Paton, “How Does Legalization of Physician-Assisted Suicide Affect Rates of Suicide?”, Southern Medical Journal, octobre 2015

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