Nous, aides-soignantes, sommes les muettes de l’hôpital. Celles dont on oublie trop souvent de parler. Pourtant, c’est nous qui sommes au plus proche des patients et c’est pour cela que nous voulons prendre la parole. On ne fait pas ce métier pour l’argent ou la reconnaissance. Nous acceptons de faire de longs trajets, d’avoir un maigre salaire, des horaires difficiles, de travailler le weekend parce que nous aimons notre métier, parce qu’il a du sens.
Nous avons choisi les soins palliatifs parce qu'on ne nous demande pas de faire quinze toilettes à la chaîne, mais que nous travaillons en binôme et que nous avons le temps de prendre le temps. Nous aurions pu choisir un autre métier, mais nous avons choisi celui-ci, qui est le reflet de l’humanité.
Nous avons choisi les soins palliatifs, pour le « sur mesure », pour le travail en équipe, pour l’accompagnement jusqu’au bout, pour l’attention de tous les instants, pour accompagner et soulager. Dans nos hôpitaux, les soins palliatifs ne sont pas toujours connus, et encore trop de patients sont mal soulagés par manque de moyens.
Nous rencontrons souvent des patients qui sont dans une demande de mort et qui, après avoir été bien pris en charge, ne le demandent plus. C’est notre travail. Nous voyons les effets de notre accompagnement et de notre soin sur beaucoup de « petites choses » du quotidien.
Mais dans le débat sur la fin de vie, comme à l’hôpital, nous sommes les invisibles. Nous sommes 400 000 en France, mais personne ne nous voit vraiment. Aujourd’hui, nous sommes en colère de sentir que cette loi ne correspond pas à notre vécu, et que tout le monde nous ignore.
Nous écoutons les politiques parler et nous nous sentons en danger. L’accompagnement que nous faisons jusqu’au bout n’aura plus de sens si à la fin, on euthanasie. Nous ne pouvons pas être investies à moitié, nous qui sommes les premières à faire une « soupe maison » car nous savons que ce patient ne peut plus manger que ça. Alors nous demander d’accompagner si près du patient, et nous imposer ensuite de partir avant la fin n’a aucun sens.
Nous ne venons pas travailler pour donner la mort. Notre accompagnement ne s’arrête pas à l’arrêt du cœur de nos patients. C’est nous qui les lavons et qui prenons soin de leur corps une dernière fois. En faisant la toilette mortuaire d’un patient qui aura été euthanasié, nous participons aussi à l’acte. Le soin est une chaîne, une suite de présences autour d’un malade. Que les petites mains que nous sommes soient impliquées dans cet acte terrible, nous le refusons. Pour nous, ce n’est pas de l'accompagnement, ce n’est pas du soin. Mais qu’importe ? La clause de conscience n’existe pas pour les aides-soignantes.
Nous avons beaucoup accepté, nous donnons beaucoup de nous-même, mais là, c’est l'inacceptable. Alors nous quitterons nos services ou même la profession.
Nous refusons que notre vie devienne un cimetière.
Justine Jamart, Marie-Odile Kpan ; AS en unité de soins palliatifs
Cécile Moulin, AS en hôpital de jour de soins palliatifs
Séverine Lamie, AS en équipe mobile de soins palliatifs