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Billet de blog 5 juin 2023

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Témoignage - De l'euthanasie en Belgique aux soins palliatifs en France

Brigitte, d'abord infirmière en Belgique, nous offre un témoignage du sentiment qu'a provoqué, chez elle, la pratique euthanasique. Elle nous raconte aussi la joie qu'a représenté la découverte des soins palliatifs en France, le bonheur d'avoir rajouté de la vie aux jours. Tuer n'est pas soigner.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je suis devenue infirmière il y a 40 ans. A peine sortie de l'école, pleinement investie et impliquée dans ce métier que j’avais choisi. 

Certaines situations m’ont marqué plus que d’autres à cette époque-là. 

Je me souviens d’une femme, atteinte d’un mélanome malin, son corps dégradé et recouvert de métastases cutanées. Je passais du temps à lui prodiguer des soins difficiles, longs et douloureux. De jour en jour, sa santé se dégradait et elle s’effaçait peu à peu. 

Finalement, après une longue discussion avec l’équipe de soignants, nous avons choisi de préparer sa mort. Le médecin me proposait de préparer la perfusion pour moi, et l’interne de la poser à ma place, mais j’avais participé à la prise de décision et donc choisissais d’aller jusqu’au bout. 

Je ne me posais plus de question, certaine de bien faire en laissant ma patiente partir doucement et tranquillement. Je préparais le « cocktail » que je devais poser durant la nuit. 

Après avoir mis la perfusion, j’ai continué ma nuit de travail et suis revenue la voir un peu plus tard. Elle était bien partie. J’ai alors effectué alors sa toilette mortuaire et l’ai préparé avant de la descendre à la morgue, seule.  

Je suis finalement devenue responsable d’un service de soins palliatifs en France, et y travaille depuis plusieurs années. J’ai vu passé de nombreuses situations différentes dans ce service. Celle d’Amélie a cependant retenu mon attention.

Cette Amélie était atteinte d’un cancer du pancréas métastasé. Tombée malade en 2013, elle a intégré notre hospitalisation en 2019 et y venait environ six à sept fois par an. L’équipe qui s’occupait d’elle était à son écoute, tenant compte de ses symptômes physiques, mais aussi psychiques et spirituels. Cela lui permettait de souffler, et elle disait repartir avec du « peps ». 

Je me souviens qu’Amélie participait à toutes les activités qui lui étaient proposées, à toutes les sorties organisées, suivie de son mari. Souriante, elle aidait les patients qui nous accompagnaient et leur partageait ce qu’elle vivait.

La dernière sortie fut la plus difficile. Elle avait du mal à se déplacer, s’appuyant sur sa canne. Alors qu’elle me rejoignait avec une autre infirmière, elle s’effondra dans nos bras. Elle avait peur. Peur de laisser son mari et ses enfants alors que son cancer était reparti de plus belle. Et elle se demandait pourquoi elle était encore en vie. Nous l’avons entourée de nos bras, formant une sorte de cocon, et sommes restées longuement enlacées.

Amélie nous a quittés en août 2022, trois mois après son hospitalisation en soins palliatifs. Lors de ses obsèques, son fils a remercié le service soins palliatifs par ces mots : « Vous n’avez pas ajouté des jours à sa vie, mais grâce à vous, la vie s’est ajoutée à ses jours… ».

Pour moi, tout réside désormais dans cette phrase : il y a du temps à partager avec ses proches, il y a de la vie jusqu’au bout. 

Les souvenirs d’avoir effectué des euthanasies restent enfouis en moi. J’y repense parfois mais n’en tire aucune fierté. L’impression d’avoir « volé » la fin de vie de cette femme à qui j’ai posé la perfusion, qui ne savait pas qu’elle allait mourir cette nuit-là, sans être entourée de ses proches. 

Tout cela a fait changer mon regard : aujourd’hui, on parle d’euthanasie, de suicide assisté, un débat qui est tenu par des gens « sains ». Mais donner la mort n’est pas un soin, et je vois le sens de la vocation que j’avais il y a 40 ans remis en question. 

Le débat doit cependant être ouvert et tout le monde doit pouvoir s’exprimer sans jugement…

Mais quel sera l’impact de cet acte sur le soignant ? Quel en sera l’impact sur les personnes malades ? Qu’en sera-t-il sur l’entourage des patients ?

Brigitte, infirmière

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