Journal de Berlin, fin: Ecriture contre nature, par Eugenio Renzi
Après avoir vu Caterpillar, je suis retourné voir des films deux fois seulement. J'ai vu un film argentin qui ressemblait à une comédie américaine. Et un mélodrame américain qui ressemblait à une comédie allemande.
Je suis revenu en avion jeudi, laissant derrière moi un tas de films pas vus, surtout ceux de la compétition officielle et de Panorama. Je rentre à Paris avec deux certitudes. Trois d'ailleurs. Primo. Le forum n’a pas été à la hauteur des attentes – et pas seulement les miennes. Il reste, certes, une oasis protégée du vacarme du tapis rouge. Un lieu où on peut encore rencontrer un réalisateur et discuter tranquillement avec lui, sans l’hystérie semi-professionnelle des entretiens éclairs de cinq minutes. Rien de mal donc, mais les années précédentes nous étions sortis de ce refuge avec les yeux éblouis par de vrais films phares. Si je devais en citer un, Material de Thomas Heise. Cette année, nada. Secondo. C’est de la compétition officielle, depuis des années pourtant infréquentable, que sont venus les deux films les plus importants : Polanski et Wakamatsu, respectivement un bon thriller et un chef d’œuvre absolu.
Tertio. Du film de Polanski, je me suis amusé à suggérer (voir # 3) qu’il avait quelque chose de commun avec l’installation de James Benning. Sans toutefois préciser quoi. Et il ne s’agissait pas d’une blague, cher lecteur. Il y a bien un point commun. Ce n'est pas vraiment ce qu’on voit dans ces deux films. Mais comment ce qu’on voit à l’écran indique au spectateur la façon selon laquelle le réalisateur met en scène sa propre position face au monde. Dans le film de Benning il est clair qu’il se place lui-même dans un espace spectral, à côté de la vie (et de la mort).
Dans Ghost Writer, l’impression est identique. Beaucoup, en sortant de la salle, on dit : La mort aux trousses (Intrigo internazionale en véi, Nord by north-west en véo). Ce n’est pas faux. Mais c’est une observation, je le dis à voix basse, superficielle. C’est évident que les morceaux pour cordes ressemblent à ceux d’Hitchcock. Que le héros est au milieu d’une intrigue, à la lettre, internationale. Qu’il y a une femme qui fait un tripe, un quadruple jeu. Que chaque regard ou baiser est dans le même temps froid et torride, vital et mortel.
Mais le héros hitchcockien, après avoir été piégé par le jeu, apprend à jouer et à la fin c’est lui qui arnaque tout le monde. La machination, dans laquelle il tombe par hasard, d’un certain point de vue, tourne autour de lui (je dirais à partir de la scène de la vente aux enchères). Peu après, le héros prend le taureau par les cornes (ici, on peut être plus précis : je parle de la conversation qu’il a avec l’agent du FBI à l’aéroport, quand le bruit de l’avion couvre la voix de Cary Grant, lequel est en train de raconter, sciemment, toute la manœuvre, depuis son commencement : après l’avoir subie, il l’a comprise et il s’apprête à passer à l’action).
Le héros polanskien reste lui toujours au bord. Dans certains cas, il s’approche du cœur de l’action. Mais il ne devient jamais le maître du jeu. Il est toujours et seulement un observateur. Et quand à la fin, il comprend ce qui est vraiment arrivé…
J’ajoute un autre élément d’analyse. Le fameux Macguffin hitchcockien. Dans le film de Polanski il y en a un : le héros se le farcit pendant tout le film. La clé est ici même. Dit autrement : il ne s’agit pas d’un Macguffin mais d’un indice à proprement parlé. Le Macguffin, si jamais il y en a un, c'est ce héros ballotté par des forces qui le fuient.
La beauté du film est exactement là. Dans la capacité, et ici Polanski est un maître, de faire une histoire américaine avec un héros européen (ou vice-versa, voyez Frantic). C’est à dire, un héros qui en dernier ressort doit comprendre qu’il n’a en fait rien compris.
Le film a reçu l’Ours d’argent. Cela c’est fait sans Polanski, lequel a de cette façon confirmé qu'il était le meilleur héros polanskien de sa propre existence. Il n’est pas venu à Berlin. Mais il semble qu’il ait commenté : la dernière fois que j’ai été invité à retirer un prix, on m’a arrêté.
Si Caterpillar avait gagné l’Ours d’or, ça aurait été un véritable acte de courage, une vraie confirmation de volonté de changement de la Berlinale. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. L’Ours d’argent de la meilleure actice à Shinobu Terajima est plus que mérité.
Et l’Ours d’or ?