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Billet de blog 21 février 2010

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Critique : SHRIN de ABBAS KIAROSTAMI

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SANS IMAGE

PAR CHRISTELLE LHEUREUX

Je découvre tardivement Shirin et ne peux m'empêcher de penser à d'autres films. Ceux de Pierre Huyghe, de Philippe Parreno, de Douglas Gordon à la fin des années 90. Le premier film d'Alain Della Negra (Chithra party), tourné en partie dans une salle de cinéma indienne. Des expérimentations que j'ai pu faire et d'autres que j'oublie... Un film de Tsaï Ming Liang (Goodbye, Dragon Inn). Les gestes de Debord... Beaucoup de brèches ré-ouvertes par un réalisateur pourtant respectable.

Le dernier film de Kiarostami est d'une radicalité qui aurait pu bouleverser. Tout se passe dans une salle de cinéma, caméra orientée vers les spectateurs. Du film qu'ils regardent, nous n'avons aucune image, juste une bande sonore, hors-champ, qui nous permet de suivre l'histoire. Une histoire à la Roméo et Juliette, racontée comme un sitcom sentimental, où une princesse perse, Shirin, est partagée entre son amour pour le roi Khosrow et Farhad, un tailleur de pierre. Du miel incarné par des voix surjouées, à la musicalité orientale et aux dialogues très éloquents. Un miel très juste pour le projet du film de Kiarostami, puisque ce film invisible est sensé appartenir à ce registre larmoyant et attirer un large public d'abeilles, ici en l'occurrence, des spectatrices iraniennes. Jusqu'ici tout va bien.

Ce qui est beaucoup moins juste, c'est la façon de montrer ce que devient ce film audible mais invisible, dans l'imaginaire des spectatrices. Il est assez évident, à la vision du film de Kiarostami, que cette épopée sentimentale, censée être projetée devant les yeux des spectatrices, est restée à l'état de bande sonore. Du coup, ces femmes ne savent pas où regarder, quel mouvement de corps suivre et quoi ressentir. Elles fixent un écran immobile, bouge parfois les yeux sans rapport avec la bande sonore du film qu'elles regardent. On voit à leurs regards qu'il n'y a pas d'image devant elles. Et je ne suis pas sûre non lus qu'elles entendaient la bande sonore pendant le tournage. Leurs poses sont trop factices, désincarnées. Elles ne sont pas absorbées par le film. Leur jeu est tautologique. On sent off qu’il leur a été demandé de pleurer, mais ce sont des pleurs mécaniques, sans singularité, car elle ne ressentent rien et ne savent pas à quoi leurs prétendus sentiments sont liés. Le problème du film est là : ces femmes ne regardent rien. Le hors-champ n'existe pas physiquement. On est dans le pur concept. Un cinéma expérimental qui ne tente pas l'expérience jusqu'au bout. J'adore la triche au cinéma, mais tricher de cette façon revient à ne pas se poser les questions que posent le film. J'ai même l'intuition que la bande sonore de Shirin a été réalisée après le tournage et posée sur les images au moment du montage.

Autre souci, la bande sonore. Créee pour l'occasion, elle reste très pauvre alors qu'au contraire il aurait fallu qu'elle contienne une grande quantité d'information pour que nous puissions fabriquer, avec ces spectatrices, les images de Shirin. Elle contient très peu de bruitages, les corps se déplacent dans un silence absolu, les objets que les personnages manipulent restent sagement muets, les voix ne sont jamais localisées dans un espace, les décors intérieurs ou extérieurs ont très peu de substance comme dans une mauvaise fiction radio. Ainsi réduite à peau de chagrin, la bande sonore reste indicative et ne nous emporte pas, tout comme les regards de ces femmes ne nous emportent pas vers les mouvements de l'objet invisible. Le film ne va pas au bout de son idée qui consisterait à fabriquer des images invisibles en jouant avec notre imaginaire. Une usine de fabrication d'images invisibles, d'où serait produites autant d'images qu'il y a de personnages dans la salle du cinéma filmé par Kiarostami et dans la salle de cinéma d'où nous regardons son film.

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