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Billet de blog 5 juillet 2024

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La citoyenneté manquante face aux élections du 7 juillet

Le 7 juillet constitue un moment où se jouent très concrètement des formes et modèles d’exercice de « la citoyenneté », dans une époque où les processus qui la configurent sont menacés. Cependant, qu’en est-il de cette partie de la population qui n’a pas le droit de vote ? Quel est son rapport à la question de la citoyenneté et quels enjeux se posent sur elle en cette élection ?

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Les lieux de la politique ne se résument pas aux urnes de ce 7 juillet. Néanmoins, la mobilisation du vote contre le RN est désormais une priorité essentielle. La question du droit de vote des étrangers (affirmation extensive d’une réalité plus vaste : immigré·e·s, réfugié·e·s, immigré·e·s dits « illégaux ou clandestins », immigration post-coloniale, Européen·e·s/non-Européen·e·s) est un sujet de débat politique auquel sont soustraites, entre autres, les questions de « la nationalité » et de « la citoyenneté ».

L’un des enjeux centraux dans les processus électoraux serait la question de la citoyenneté. Or, pour la penser il est impératif de dépasser ​​certains discours manichéens et utilitaristes, tels que les statistiques simplistes du type « quel est le pourcentage de la contribution économique des immigrés au PIB national » ou encore les études sur la proportion de leur activité dans certains secteurs, valorisant de manière condescendante l’emploi nécessaire de leur main d’oeuvre dans le secteur des soins ou les emplois ultra-précaires. Il est également nécessaire de rejeter les perspectives paternalistes et teintées de colonialisme qui s’interrogent sur « combien l’immigré·e doit au pays qui l’accueille ». La citoyenneté doit être envisagée comme une pratique collective et inclusive, qui nous appartient à toustes 

Face à la propagande identitaire du Rassemblement National (RN) et à ses discours de haine, ainsi qu’au blocage totalisant des affects désirants et productifs qu’il engendre, il est nécessaire de mobiliser d’autres désirs, cet horizon politique est nécessaire pour dépasser cet encerclement affectif. Le RN transforme les espaces d’émergence potentielle du possible en surfaces de frustration, dont il fait une mobilisation stratégique et dirigée surtout à une certaine masculinité blanche, interpellée par le mouvement féministe et antifasciste, qui voit sa culpalibité évacuée et renvoyée vers les « autres », les sujets racisés, les personnes migrantes, les femmes et les minorités/dissidences sexuelles. 

Arrivé·e·s à ce point on pourrait s’interroger aussi sur le sens du concept de « citoyenneté », sur sa portée en termes d’institution, ou plutôt de puissance instituante ainsi que sur ses implications pour les plans des droits civiques et politiques acquis ou à acquérir. À qui la citoyenneté ? Est-ce qu’une personne qui n’a pas le droit de vote demeure malgré tout citoyenne ? Est-ce qu’une personne « formellement » non reconnue comme citoyenne est pourtant « matériellement » citoyenne ? On constate que l’ambiguïté est au centre de la formation sémantique et politique de ce concept, ce qui, certes, pourrait être perçu comme une faiblesse, mais qui en réalité constitue une force et l’amorce d’une dynamique non négligeable d’une perspective émancipatoire, « d’universalisation » de la citoyenneté. Une « ambigüité » apparente qui n’est pas tant le reflet d’un ensemble flou et indéfini, mais du noyau de tensions, de la dialectique qui est au centre des définitions pratiques du concept et de sa puissance instituante. La citoyenneté serait donc cette notion dans laquelle se cristallise une dynamique permanente de reconnaissance du « manquant » - c’est-à-dire- des personnes non-reconnues comme citoyennes, des sans-parts. Celle-ci s’articule par cette dialectique entre, d’une part, les luttes émancipatrices pour des droits civils et politiques (insurrection) et, d’une autre, l’institutionnalisation et reconnaissance de ces droits qui étend le corps citoyen au-delà des détenteurs historiques des moyens de domination et de pouvoir, mais qui rétablit aussitôt des limites à contester (constitution). Une dialectique instituante et constituante qui est donc, pour autant, à jamais inachevée et qui fait appel de façon permanente à ses « absent·e·s » ou « absences » productrices du nouveau et du possible. Concernant les droits politiques liés au suffrage on perçoit très bien ce chemin de tensions, de la Révolution de 89 à sa récupération par les élites bourgeoises, de la mise en place du suffrage censitaire au suffrage universel, jusqu’à sa généralisation partielle avec le vote féminin. 

Nous constatons à l’ère du néolibéralisme tardif une sorte de neutralisation des antagonismes sociaux et politiques disons « majoritaires » qui ne serait que la continuation de sa subsomption dans l’État à l’ère du Welfare state. Un processus qui met en lumière une sorte de blocage des processus citoyens, de la citoyenneté, lequel, ajouté à une identification de plus en plus totale de cette dernière à la figure de la « nationalité », il consolide le cadre idéologique dans lequel agit l’extrême droite en général, le Rassemblement (Front) National en particulier. Cette organisation et le régime discursif à elle associé incarnent les pulsions d’abolition des processus actifs de citoyenneté, leur fixation par leur stratégie totalisante d’« assimilation » et d’« intégration » de la différence dans la « communauté nationale », exclure l’halogène, l’indésirable, le nuisible. La « citoyenneté », en la limitant à une citoyenneté de souche ou méritée, ne serait que le diacritique d’une rhétorique nationaliste, intégrationniste et raciste. Le RN ne serait que la manifestation politique du pôle réactionnaire et monolithique des processus de la citoyenneté, une tentative de bloquer les espaces de lutte pour les droits et la reconnaissance que ces dynamiques ouvrent, et de remplir le signifiant « citoyen », le couvrir de limites infranchissables, le totaliser jusqu’à boucher tout espoir instituant et d’insurrection. On voit très bien, d’ailleurs, la centralité que ce concept occupe dans ce programme réactionnaire, par exemple, par la mise en question du statut des « binationaux », et par l’inclusion de figures juridiques telle la déchéance de la nationalité, par la suppression du droit du sol, ou même par la préférence nationale, qui mettent en lumière la volonté d’imposer des limites - qui agissent déjà matériellement - formelles qui s’opposeraient à la portée émancipatoire des désirs citoyens. 

Par ailleurs, les élections du 30 juin, comme celles du 9 juin, ne sont que le résultat de ce qui « est » déjà, le reflet d’un blocage général de l’espace de l’espoir, d’une machinerie généralisée de pénétration sociale, culturelle et affective de l’extrême droite et de son programme réactionnaire. Ce ne sont que les conséquences du régime de neutralisation et de contrôle du néolibéralisme ainsi que d’un déplacement de la centralité politique vers ce pôle réactionnaire, régime discursif du « sens commun » historique, qui correspond aux stratégies du grand Capital et de la finance dans leur « grande croisade » culturelle et médiatique. 

Le grand danger à partir de cette position hégémonique sur les rapports sociaux et sur les récits, serait la prise de l’État et ses institutions qui impliquerait la réalisation effective du programme de remplissage et de blocage des processus émancipateurs internes à la « citoyenneté ». Conscient·e·s  de cette situation générale, mais aussi de la puissance politique de l’ « absence », de ce qui « n’est pas » ou ce qui est « en devenir » dans les processus émancipateurs et dans la production de mondes possibles, les personnes sans droit de vote, nous citoyen·ne·s manquant·e·s, dans notre hétérogénéité, appelons à ne pas voter au Rassemblement national, pas de bulletin de vote pour celleux qui veulent fermer la porte aux autres imaginaires, pour celleux qui bloquent tout espace d’espoir et d’émancipation. La communauté en tant que telle n’existe pas, sa définition est toujours à faire. Citoyen·ne·s électoralement reconnu·e·s votez et faites de cette élection le début d’un frein définitif à l’extrême droite en notre absence, un frein nécessaire pour reconstruire des espaces d’invention et de désir en commun.

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