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Billet de blog 24 novembre 2025

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Défense des dispositifs de soins psychiques

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

État des lieux des soins psychiques dans le domaine médico-social et pédopsychiatrique

Collectif Normand de Défense des Soins Psychiques

Introduction

Ce texte – rédigé par plusieurs professionnels et citoyens engagés dans le Collectif Normand de Défense des Soins Psychiques, intègre des éléments issus du texte de décembre 2024 de l’Intercollectif pour les Soins Psychiques – pointe une problématique concernant l’ensemble des institutions médico-sociales et de la (pédo)psychiatrie publique. Il vient rendre compte des multiples attaques subies par la pédopsychiatrie et cherche à y répondre.

Pour débuter cet état des lieux, commençons par un rapide point d’histoire pour comprendre le contexte actuel. C’est après la seconde guerre mondiale qu’une politique dite de secteur s’est étendue sur l’ensemble du territoire français, en même temps que la naissance des CMPP (Centres Médico-Psycho-Pédagogiques) et celle de la sécurité sociale. Il s’agissait alors de choix politiques et de société s’appuyant sur les travaux de théoriciens de l’enfance, pédagogues, psychiatres, éducateurs, pédiatres, psychologues. L’idée fondatrice était que, pour prendre en charge la souffrance psychique des enfants, quels que soient les symptômes avec lesquels elle se manifestait, il s’agissait de proposer une approche globale et de proximité, pour une continuité dans le travail avec l’équipe soignante. Il fallait aussi pouvoir accueillir les parents – on ne reçoit jamais un bébé sans les bras qui le portent – et être en lien avec les autres partenaires s’occupant de l’enfant dans son environnement (école, circonscription d’action sociale, protection de l’enfance, médecine scolaire, pédiatrie, établissement médico-social). Il s’agissait donc d’avoir une écoute plurielle, de prendre en compte toutes les dimensions : psychique, développementale, culturelle, sociale, anthropologique. De tout cela, découlait la nécessité d’une équipe pluridisciplinaire pouvant se déplacer dans différents lieux de la cité.

Un autre postulat de ce travail à plusieurs reposait sur une temporalité autre que celle de la rentabilité immédiate. Le temps est nécessaire pour qu’une relation se noue avec l’enfant et sa famille, de telle façon que la parole puisse se mettre à se dire, jusqu’à être entendue. Enfin, nous étions – et sommes toujours – convaincus que plus la rencontre avec le dispositif de soins psychiques intervenait tôt, plus nous pouvions espérer avec les parents et l’enfant que les entraves au développement qu’il rencontrait s’effaceraient, et se transformeraient. Ainsi, des dispositifs de soins en périnatalité ont vu le jour, attachés aux CMP (Centre Médico-Psychologique, dépendant de l’hôpital public). Le CMP dans lequel certains de notre Collectif travaillent poursuit ce type d’intervention, depuis le CHU jusqu’au CMP. En matière de prévention secondaire et tertiaire, les liens avec les familles et partenaires y sont essentiels.

Il ressort de ces réflexions qu’en termes de prévention et de prise en charge précoce, les dispositifs existent, et sont très opérants, aussi bien en CMP qu’en CMPP et en CAMPS (Centre d’action médico-Sociale précoce). C’est à eux qu’il s’agit de donner des investissements accrus, au lieu de laisser détruire un précieux héritage. Telle serait notre proposition centrale : non seulement soutenir la pertinence des dispositifs existants, mais les développer avec des moyens supplémentaires dans un but d’action préventive, pour ouvrir des antennes de périnatalité, pas seulement dans les CHU, mais aussi en Centre social, en Maison de Santé, de développer des lieux d’accueil des tout-petits et de leurs parents (type Maisons Vertes), et mettre en place des consultations pour adolescents, des groupes de parents. Nous proposons donc de redonner à ces dispositifs soignants, CMP et CMPP, les moyens d’être en première ligne des soins, sans filtre, sans tri des enfants, dans l’idée première de ces centres de consultations d’accueillir les patients « tout-venant ». Nous avons également besoin de la pérennisation d’un maillage territorial qui garantisse l’accès aux soins pour tous à travers la création et/ou le maintien d’antennes de services de soins existants dans les villes.

En effet, c’est ce que nous allons voir à présent, les CMP, comme les établissements médico-sociaux sont attaqués, rendus parfois incapables d’assurer correctement leur mission de service public. En premier lieu, ce sont les patients, et leurs parents, qui en font les frais, mais les soignants ne sont pas indemnes, ils sont mis à mal dans leur fonction, ne supportant pas de travailler sous forme « dégradée » – terme tristement consacré actuellement. Nous n’entrerons pas dans une analyse des conditions historiques, sociales, politiques et économiques qui ont amené nos décideurs à abandonner le modèle du secteur, dont la pertinence clinique, sociale, de recherche et de formation n’est pourtant plus à prouver. Nous pourrions même avancer qu’il s’agit, aujourd’hui, d’une idée nouvelle à réaliser, comme nous y invitent les travaux de Pierre Delion, psychiatre, professeur des universités, praticien hospitalier émérite en pédopsychiatrie.

Or, dans notre quotidien de professionnels des soins psychiques, nous constatons les réalités suivantes :

- Protection de l'enfance et accueils dramatiquement dévalorisés : majoration de la souffrance psychique

Les violences intrafamiliales sont un problème de santé publique et créent une souffrance psychique certaine : les seuls chiffres des violences sexuelles — 160 000 enfants par an — sont édifiants. Le premier soin est celui de la protection de l'enfance. Le soin psychique n’est ni possible, ni efficace, s’il n'y a pas d'abord un environnement protégé. La maltraitance n’est pas une pathologie, mais un facteur de vulnérabilité qui appelle des réponses cliniques ajustées, loin de réponses immédiates et protocolisées. Ce travail exige du temps, de la stabilité, et un travail de coopération institutionnelle.

Or, la politique actuelle soutient principalement les troubles neurodéveloppementaux (TND), lesquels effacent toute l'articulation des troubles avec le vécu, puisque tout serait avant tout neurologique et biologique selon cette conception. La politique actuelle continue de diminuer les moyens financiers et humains pour la Protection de l'enfance et l'aide éducative (circonscription d’action sociale, foyers de l’enfance, formations auprès des familles d’accueil).

- Inclusion scolaire, soin psychique dégradé, enseignants malmenés

La politique d’inclusion scolaire s’appuie sur le référentiel TND et soutient principalement une démarche diagnostique, sans guère de perspective d’authentique prise en charge. Les enseignants sont invités à remplir des fiches diagnostiques TND pour une orientation vers les neuropsychologues puis vers les neuropédiatres ou psychiatres, qui prescrivent davantage de médicaments. L’accueil pluridisciplinaire (en CMP, en CMPP) qui évalue les troubles dans leur globalité, en tenant compte du vécu et de l’environnement familial devient inaccessible. Par ailleurs, François Gonon, neurobiologiste et directeur de recherches émérite au CNRS, a montré que les prescriptions médicamenteuses avec un diagnostic TND sont d’autant plus importantes que le milieu social est défavorisé, et ceci pour un même diagnostic. Des milliers de soignants depuis 2018, dans toute la France, toutes professions confondues, et venant d’institutions diverses, se sont adressés au gouvernement, s’inquiétant de la fermeture des CMPP, lieux de soins sous prétexte du tout TND. La politique d’inclusion scolaire peut représenter un piège, en ce qu’elle risque de réattribuer la souffrance psychosociale au handicap, alors même que les écoles ont été dépecées de leurs dispositifs d’aide scolaire (RASED drastiquement diminués).

- Manque d’accès aux soins en institutions soignantes

Les listes d’attente au CMP/ CMPP sont longues (autour d’un an pour le CMP dans lequel certains d’entre nous travaillent, parfois jusqu’à 18 mois en CMPP), qu’elles concernent le premier rendez-vous d’accueil avec un consultant, encore davantage lorsqu’elles concernent les prises en charge spécifiques (qu’il s’agisse de bilans ou de suivis en orthophonie, en psychomotricité, ou de psychothérapie). Les demandes n’ont cessé de croître, et de façon exponentielle depuis la crise du covid, sans augmentation du nombre de professionnels. À cela, il faut ajouter le manque criant de pédopsychiatres sur tout le territoire. Nous tentons, autant que possible, de faire jouer une certaine priorisation en fonction de la gravité de la situation. Certains CMP ont pour cela développé des groupes thérapeutiques lorsqu’aucune place en hôpital de jour n’est disponible alors que cela serait nécessaire.

- Mise en place de plateformes et de centres experts

Depuis quelques années, les pouvoirs publics ont installé des Centres experts (une cinquantaine de ces centres, soutenus par FondaMental, dont les thèses soutenues à l’Assemblée Nationale ont été dénoncées dans un article du Monde de mai 2025 comme se basant sur des résultats scientifiquement très contestables) et autres plateformes, imposant parfois – comme en Nouvelle-Aquitaine – la transformation de CMPP en ce type de plateforme de diagnostic et d’orientation, participant d’une désinstitutionnalisation. Depuis 2018, les ARS (Agences Régionales de Santé) accablent les soignants d’injonctions professionnelles, avec toujours plus de contraintes administratives, sous le prétexte économique. Dans ces centres experts, on évalue, on effectue des bilans, puis, on oriente les enfants, avec comme théorie unique de référence les neurosciences, et conséquemment, les symptômes de l’enfant organisés sous forme de troubles neurodéveloppementaux, listés par le DSM 5.

On assiste alors à une transformation de la psychiatrie – et à tout ce qu’elle comporte d’art, de tact dans la rencontre et l’accueil de la parole – en cérébrologie : cela vient, à notre sens, décomplexifier la clinique psychopathologique avec laquelle nous travaillons quotidiennement, et signer la fin de la pédopsychiatrie, si seules les causalités neurologique et neurobiologique sont retenues. Les passages des enfants par ce type de centres ont des effets sur la prise en charge qui s’ensuivra. Les familles se trouvent au sortir de ces expertises pourvues de recommandations, et, bien souvent, une orientation vers le secteur libéral y est indiquée, qui s’avère, la plupart du temps, insuffisante. En effet, lorsqu’il s’agit de situations complexes où les troubles massifs de l’enfant sont croisés avec des difficultés sociales, familiales, affectives, réactionnelles, voire traumatiques multiples, c’est une équipe pluridisciplinaire qui est nécessaire. Le professionnel en libéral, débordé, adresse au CMP/CMPP. En institution, nous recevons ainsi, dans l’après-coup, un enfant et ses parents avec des bilans aux résultats standardisés, difficilement intelligibles pour eux. Il est important de rappeler que faire passer un bilan à un enfant, quel que soit le type de bilan, n’est jamais anodin. L’enfant s’y sent mis en question, exploré, sommé de montrer des choses de son fonctionnement, avec des professionnels qu’il ne connait pas, et ne reverra pas, alors précisément qu’un bilan devrait contenir le présupposé de la rencontre, du lieu de la rencontre entre un professionnel et un enfant, pouvant donner lieu à l’expression de sa souffrance et non pas seulement une mise en évidence de ses dysfonctionnements. Ainsi, lorsque, après ce parcours du combattant, l’enfant est reçu au CMP ou au CMPP, avec ses parents, déboussolés, il est nécessaire, lors de la première consultation, de reprendre les coordonnées de l’enfant, son histoire, et pas seulement celle des troubles, l’anamnèse tout en tentant qu’une rencontre ait lieu, possibilité de l’éclosion d’une parole subjective de l’enfant.

Les passages par ces centres experts et autres plateformes problématisent aussi la question du diagnostic, de ce qui en est dit à l’enfant, à ses parents, du sens qu’ils vont pouvoir y trouver, ou dans lequel toute évolution pourrait se figer. Lorsqu’on sait à quel point les symptômes des enfants sont dépendants de la relation qu’ils ont à l’adulte, à quel point poser un diagnostic s’appuie aussi sur l’évolution ou l’immuabilité du tableau initial que seule une observation sur du moyen terme permet, on peut se demander quels effets ces diagnostics-étiquettes vont avoir, quelles identifications ils vont précipiter par exemple. De plus, une fois que « l’expert » s’est prononcé, si ça n’est pas ce que le clinicien retrouve, comment faire adhérer les parents à cette autre façon de voir la souffrance psychique de leur enfant ?

- La (pédo)psychiatrie, une spécialité médicale comme une autre ?

Nous percevons, dans le climat actuel, une propension à remettre en question la capacité, le pouvoir de décision éclairée – avec la responsabilité qui en découle – dont dispose tout médecin. Avec son savoir, son expérience, son art, son attention portée à chaque patient, le médecin pouvait, jusqu’à présent, estimer pertinent chaque orientation, chaque dispositif de soin, pour un sujet donné à un moment donné. La pédopsychiatrie n'est pas une spécialité médicale comme les autres : elle relève à la fois d'un double ancrage, entre médecine et sciences humaines. Devant le tout cérébral, que deviennent les troubles réactionnels, les troubles de l’attachement, les troubles environnementaux, les difficultés sociales ? Le tout neuronal, on le constate, chaque jour dans notre clinique, efface la dimension psychique.

Le 8 octobre dernier, le président de la Haute Autorité de Santé (HAS) a annoncé son intention de rendre « opposables » certaines recommandations, notamment celles relatives à la prise en charge des troubles du spectre de l’autisme (TSA) chez l’enfant et l’adolescent, ou encore au psychotraumatisme. Il semble justifier cette volonté par le fait que la liberté de prescription pourrait conduire certains praticiens à ne pas suivre les recommandations émises par la HAS. Rendre « opposables » de telles recommandations, suppose de les rendre contraignantes par le droit, « pour une certaine durée », et celles-ci s’avéreront susceptibles d’être utilisées pour des poursuites judiciaires. Il s’agit d’un dévoiement du rôle et du statut des recommandations de la HAS. Ces dernières n’ont jamais eu vocation à devenir des normes coercitives : elles doivent éclairer, et non contraindre ; guider, et non asservir. Les rendre « opposables » revient alors à instaurer une hiérarchie autoritaire des pratiques. Une telle orientation trahit une méconnaissance de l’essence même du soin psychique, où l’humain et la relation de soin supposent de ne pas s’enfermer dans des protocoles techniques, au risque de s’engager vers une standardisation des soins psychiques.

Conclusion

La pluralité des approches thérapeutiques – psychodynamiques, neuroscientifiques, systémiques, cognitives, éducatives, institutionnelles – constitue une richesse indispensable pour accompagner des enfants en souffrance psychique. Il s’agit alors de mettre en lumière nos savoir-faire, notre expérience, notre capacité de créativité et d’ajustement à la clinique singulière de nos patients.

Nous nous devons, en tant que professionnels, de garder une humilité à laquelle toute démarche scientifique devrait se tenir, particulièrement dans le champ des soins psychiques, où l’incertitude et la singularité de chaque patient sont au cœur du travail : la démarche de l’HAS va dans le sens inverse de cette position éthique. Si la pédopsychiatrie d’aujourd’hui est ouverte à divers courants et pratiques, permettant un éventail des prises en charge, on ne peut oublier que le soin pédopsychiatrique existe historiquement grâce aux découvertes de la psychanalyse. Celle-ci constitue une source d’inspiration qui soutient le soin. Or, de plus en plus, elle devient une référence interdite, au mépris du travail de pensée. La psychanalyse a pu certes séduire des esprits prompts au dogmatisme ou à l’intolérance, marginalisant indûment d’autres perspectives. Néanmoins, elle demeure une référence essentielle pour qui se trouve confronté aux étrangetés de la psyché humaine et à ses souffrances. Les politiques actuelles de santé mentale poussent à des diagnostics de plus en plus étroits dans lesquels le sujet, l’enfant, semble réduit à des normes adaptatives. Nous constatons la médicalisation du malaise, dans cette ère neuronale, où l’idée de dispositifs de soins semble avoir déserté, et où la psychopathologie de l’enfant est réduite à des données statistiques, factuelles, parcellaires, sans prise en compte de l’enfant dans sa globalité.

En conclusion, il nous semble impératif de soutenir nos institutions de soins existantes dans leur fonctionnement actuel, et ce, dès la petite enfance, fonctionnement opérant dans la majorité des situations. La clinique rencontre notre contemporanéité, la psychopathologie contient une dimension civilisationnelle qui nécessite, chez les professionnels du soin, des conditions d’exercice « suffisamment bonnes » pour reprendre une expression de Winnicott. Pour assurer ces conditions, nous avons besoin de temps et de réflexion institutionnelle, de travail en équipe pluridisciplinaire, d’une médecine et d’une psychopathologie « à visage humain » (Pierre Delion), intégrant le corps et l’esprit, le cerveau et la psyché : ce sont nos enfants, citoyens de demain, qui nous y obligent.

À Caen, le 14/11/2025

Le Collectif Normand de Défense des Soins Psychiques

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