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Billet de blog 1 juillet 2023

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La quatrième année d'internat de MG : un nouveau coup pour les services publics

Un rapport a été rendu précisant les modalités d’une année supplémentaire dans l’internat de médecine générale. Un décryptage de ce qui est écrit dans ce rapport est indispensable. Le métier de médecin généraliste y est défini selon un modèle libéral sans prendre en compte la réalité et les désirs des jeunes médecins et en excluant de la formation le système public de santé.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Contribution au débat portée par le groupe santé du collectif Nos services publics.

Un rapport a été rendu par le Ministère de la Santé et de la Prévention le 12 juin donnant le cadre de la maquette de la formation en Médecine générale, précisant entre autres les modalités de la quatrième année d’internat. En effet, à la demande notamment des enseignants de médecine générale, il a été décidé d’allonger d’un an la durée de la formation des internes en médecine générale, ceci leur permettant d’accéder à une durée de formation similaire à celle des étudiants dans les autres spécialités d’organe. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2023 (PLFSS) a acté l'allongement d'un an de la durée de l'internat de médecine générale. 

La médecine générale est une spécialité complexe, transversale, nécessitant aux internes de développer des compétences spécifiques pour l’exercice de leur métier. Il peut donc sembler normal que la durée de leur formation ne soit pas plus courte que celle des autres médecins.

Cette année supplémentaire de formation devrait permettre aux étudiants de mieux préciser leur projet professionnel afin d’améliorer leur engagement dans leur métier.

Cela nécessite toutefois d’appréhender quelques éléments du contexte dans lequel les modalités de cette quatrième année ont été annoncées :

-Selon un rapport récent rendu par le Sénat 45% des médecins généralistes sont en situation de burn-out. Une enquête réalisée en 2017 auprès des 21 000 internes et jeunes médecins retrouvait des chiffres alarmants : 66.2% présentaient des symptômes anxieux, 27.7% présentaient des symptômes dépressifs et 23.7% affirmaient avoir des idées suicidaires. 

- L’Ordre des Médecins a rendu public une partie de son Atlas de la démographie médicale dont les chiffres méritent d’être soulignés ici. Sur une cohorte d’internes inscrits à l’Ordre des médecins en 2010 et suivis jusqu’en 2023, les taux d’installation en médecine générale libérale sont faibles (environ 45% en 13 ans).Le taux d’abandonnisme par les jeunes médecins est de 25% (la majorité pour raisons psychiques). Par ailleurs plusieurs enquêtes menées auprès d’internes et de jeunes médecins montrent un intérêt pour un exercice diversifié (82% des internes sondés sont intéressés par diversifier leur exercice : soins/prévention ou ville/hôpital) , et l'attrait pour l’exercice salarié des jeunes médecins est en augmentation.

-87% du territoire français est considéré comme zone sous dense selon l’ARS, et les inégalités sociales pour l’accès aux soins se creusent, une situation amenée à s’aggraver dans les prochaines années. 

Au lieu de tirer leçon de ces chiffres, afin de chercher avec les jeunes médecins des leviers d’attractivité et de préserver leur santé mentale, on leur propose une 4ème année d’internat qui ne semble pas satisfaisante, voire inquiétante, à la fois pour leur formation et pour le service public.

Tout d’abord, elle entérine comme modèle unique l’exercice de la médecine libérale, avec un paiement à l’acte des praticiens. Le format proposé pour la quatrième année ne laisse aucune place aux autres de mode d’exercice, au mépris des possibilités futures qui s’offriront à ces praticiens dans la suite de leur carrière : centres de santé, hôpital, services de prévention (PMI, santé scolaire)… 

Dans le prolongement de cette solution proposée pour cette quatrième année, se pose le problème de la rémunération avec un intéressement à l’acte (20 à 30%) qui s’ajouterait à leur salaire. Les internes gagneraient ainsi jusqu’à 4500 euros net par mois en enchaînant des consultations courtes (30 par jour, 4 jours par semaine). Pour permettre cela, il est prévu que le formateur mette son cabinet à disposition, et touche 80% des actes effectués par l’étudiant. Ce qui, en contrepartie d’une mise à disposition d’un local et le fait d’être joignable pourrait aboutir à un supplément de revenu proche de 8000 euros (variable selon les charges). Les internes de médecine générale “travaillent” depuis des années en rétrocédant 100% de leurs actes à des maîtres de stage lors de leur stage de 3ème année d’internat en médecine générale (les autres stages étant effectués en milieu hospitalier). Mais ces stages sont plus encadrés, le nombre de consultations quotidiennes est moindre et l'étudiant à plusieurs lieux d’exercice. Malgré cela nombreux sont les internes à dénoncer le sentiment d'exploitation et la dérive du modèle pédagogique, avant même la décision de cette année supplémentaire.

Écrire un nouveau rapport sur la formation aurait dû être l’occasion de mettre fin à cela : indemniser les maîtres de stage pour la mise à disposition de leurs locaux et mieux valoriser leur temps pédagogique, afin de ne plus avoir de conflit d’intérêt pouvant être source de dégradation de leur mission pédagogique. Il est évident que pérenniser ce modèle, même avec une petite rétrocession, sur une année supplémentaire risque de dégoûter les internes de façon définitive de ce type d’exercice, alors qu’ils sont déjà une majorité à ne pas vouloir l’exercer. Il est à noter que comme à l’hôpital public, ce lien d’intérêt financier dans la formation n’existe pas dans les structures de santé publiques ambulatoires et donc salariées (centres de santé, PMI, médecine scolaire…). Dans ce nouveau modèle de cette année d'internat, les internes qui choisiront les services publics seront donc pénalisés financièrement par rapport à leurs pairs choisissant d'exercer dans les cabinets de médecine libéraux.

Parier sur une quatrième année comme levier pour améliorer l’engagement des jeunes médecins sur les territoires nécessite donc de prendre en compte ces paramètres : « Un problème créé ne pouvant être résolu en réfléchissant de la même manière qu'il a été créé ».

L’intéressement à l’activité, inhérent à la rémunération à l’acte du modèle d’exercice libéral, ne doit pas entrer en ligne de compte dans la relation entre formateur et étudiant : la qualité pédagogique doit primer sur l’enjeu de rentabilité.

Les internes des autres spécialités, eux aussi, s’interrogent : si les médecins généralistes ont un pourcentage des actes, pourquoi pas eux aussi. En effet entre une quatrième année d'internat de docteur junior dans les autres spécialités avec un salaire à 2200 euros nets et une prévision pour les internes de médecine générale à 4500 nets, on peut donc s'interroger légitimement sur les réactions qu'auront les internes des autres spécialités face à cela. Les syndicats d’internes se sont d’ailleurs déjà prononcés sur le sujet : ils souhaitent demander l'accès à la même chose. La rémunération des jeunes praticiens doit donc être appréhendée globalement, sur toutes les spécialités, et non centré sur une discipline.

Sinon, la privatisation à but lucratif des études de santé sera donc enclenchée pour tous… Les principaux bénéficiaires étant bien dans ce cas les intérêts privés de praticiens agréés maîtres de stage.

Deuxième écueil non anticipé : en promouvant le modèle unique d’exercice libéral avec paiement à l’acte, on rate l’occasion de dessiner avec cette dernière année les soins primaires de demain. D’abord en pénalisant financièrement les docteurs juniors souhaitant s’orienter vers le service public, puisque ne bénéficiant pas de ce surplus sur salaire non négligeable que représenteront ces 20 à 30% sur les actes.

Mais aussi en balayant d’un revers de main l’exercice salarié en service public (centres de santé, PMI, santé scolaire…) alors qu’il s’agit à la fois de priorités de santé publique et d’un mode d’exercice attractif pour les jeunes médecins.

Cependant, comme mentionné plus haut, les aspirations des jeunes sont pourtant toutes autres ! Exercice mixte, salarié ou libéral conventionné, tout futur médecin devrait pouvoir opter pour un projet pédagogique personnalisé et incitant aux bonnes pratiques. Selon l’Atlas de la démographie médicale présenté par l'Ordre en juin 2023, 55% des médecins généralistes inscrits à l'ordre n'exercent pas un exercice libéral régulier 13 ans après leur inscription. La majorité des médecins qui s'installent se tournent aujourd'hui vers le cadre salarié.

Mais là n'est pas le cœur de cette réforme qui consiste à régler artificiellement la question politique des déserts médicaux aux détriments d’un projet pédagogique adapté. De nombreux rapports montrent pourtant que l'amélioration de l'état de santé de la population passe par une politique de prévention visant l'accès aux soins des plus vulnérables. Ces derniers étant ceux qui présentent le plus grand risque de maladie chronique et de poly pathologie, et nécessitent ainsi un temps de consultation plus long, logique peu compatible avec une rémunération à l'acte. A ce titre le système de santé public ambulatoire (centres de santé, PMI…) et hospitalier prend toute sa part à la réponse aux besoins de santé de la population, et ne devrait donc pas être écarté. 

Cette année supplémentaire semble être coulée dans les aspirations politiques du moment : un modèle où les services publics sont toujours plus atrophiés, sans prendre en compte les possibilités d'exercice diversifiés sur un territoire, qui permettraient de rapprocher les acteurs (ville et hôpital, secteur du soin et de la prévention…)

En pensant la médecine générale sur un modèle libéral unique, on ne permet pas la formation des internes dans le service public de santé de proximité. Le manque de vision globale de ce rapport un coup porté à l’amélioration de notre système de santé et doit être dénoncé. Un nouveau rendez-vous manqué…

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