Créée en 1945, la Sécurité sociale occupe une place unique dans l’histoire institutionnelle et démocratique française. Elle n’a jamais été seulement une mécanique de transferts financiers destinée à compenser les pertes de revenus. Elle est, dès son origine, un projet radical : celui d’une démocratie sociale, où les travailleurs, par leurs représentants élus, participeraient directement à la gestion d’un système conçu à la fois pour eux et par eux.
Pensée dans l’élan du Conseil national de la Résistance, elle repose sur une intuition décisive : la démocratie ne peut se cantonner au seul espace électoral. Elle doit s’étendre aux domaines économiques et sociaux, là où se jouent concrètement l’égalité et la dignité. La Sécurité sociale fut donc instituée à la fois comme amortisseur collectif face aux aléas de l’existence – maladie, accident, chômage, vieillesse – et comme instrument de résilience face aux crises majeures : guerres, chocs économiques, pandémies.
Huit décennies plus tard, elle demeure un pilier de notre pacte républicain. Chaque jour, elle protège des millions de citoyens. Mais son modèle originel s’est dilué. L’État gestionnaire et la technocratie ont progressivement vidé de sa substance la cogestion démocratique. Les choix décisifs – financement, priorités, arbitrages redistributifs – relèvent désormais principalement de l’administration et du Parlement, marginalisant la participation directe des assurés. L’esprit fondateur d’une citoyenneté sociale active a reculé.
Ce recul est d’autant plus préoccupant que la démocratie représentative elle-même vacille : abstention record, défiance, polarisation. Dans ce contexte, la Sécurité sociale peut redevenir un prototype d’innovation démocratique. Car si la représentation politique peine à regagner la confiance, la démocratie sociale repose sur une évidence : celles et ceux qui financent et bénéficient du système doivent avoir voix au chapitre.
Dès lors, la question n’est plus rhétorique : la Sécurité sociale peut-elle redevenir le laboratoire d’un renouveau démocratique ? Son caractère hybride – institution publique, système contributif, bien commun – l’y prédispose. Encore faut-il créer les conditions :
- mettre en place des dispositifs de démocratie délibérative sur le financement et les priorités ;
- renforcer les corps intermédiaires tout en ouvrant la gouvernance aux usagers ;
- instaurer une transparence radicale et une véritable pédagogie des arbitrages.
À l’heure des transitions écologiques, numériques et démographiques, la Sécurité sociale ne peut se limiter à garantir une protection contre les risques. Elle doit redevenir un véritable lieu de cogestion, où ceux qui financent et bénéficient du système participent aux choix qui engagent notre avenir collectif. Car pour affronter les défis du siècle, aucune expertise ne suffira sans la participation active des citoyens : la Sécurité sociale peut être l’espace où se réapprend la décision partagée, condition indispensable pour continuer à avancer ensemble.
Les 80 ans ne doivent donc pas donner lieu à une simple commémoration. Ils doivent être l’occasion d’un sursaut. Faire de la Sécurité sociale non seulement le socle de notre solidarité, mais aussi le laboratoire d’un futur démocratique où les citoyens reprennent en main les décisions qui les concernent.
En 1945, alors que le pays sortait d’une période catastrophique, la France a osé créer une institution inédite, audacieuse et tournée vers l’avenir. En 2025, il est temps de retrouver cette audace.