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Billet de blog 25 mars 2025

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Affaires Nestlé Waters et Sources Alma : l’administration a pourtant fait son travail

Malgré l'action menée par les services publics pour mettre évidence la tromperie des industriels, les décideurs politiques ont choisi de ne pas informer les consommateurs et les consommatrices, et de mettre en jeu leur sécurité.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La justice est actuellement saisie de deux plaintes pour tromperie à l’encontre des sociétés Nestlé Waters et Sources Alma, tandis qu’une commission sénatoriale enquête sur les pratiques des industriels de l’eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics. Le rôle clef des agents des services publics pour protéger les consommateur.rices a été peu souligné dans cette affaire. L’administration a pourtant fait son travail.

Quelles sont les fraudes mises en évidence par les agents des services publics ?

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), la Direction générale de la santé et l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) ont établi que les eaux minérales “naturelles” commercialisées par sociétés étaient en fait polluées par des bactéries fécales à leur émergence, conduisant les industriels à des actions de désinfection dissimulées aux autorités depuis plusieurs années.

Ces entreprises utilisaient des méthodes clairement prohibées (lampes à ultraviolet, filtres à charbon actif). Elles pratiquaient aussi la microfiltration afin de retenir les cellules bactériennes, à l’aide de filtres nettement plus fins que le niveau toléré par la réglementation pour éviter l’encrassement des machines. La DGCCRF fait remonter à 2005 l’achat des premiers filtres par Nestlé.

Ces traitements étaient interdits car les eaux minérales naturelles, vendues 200 fois plus cher que l’eau du robinet, doivent être naturellement pures et sans risques pour la santé.

En quoi la réaction des autorités politiques a-t-elle été insuffisante pour garantir la sécurité et la loyauté envers les consommateurs ?

Face à ces informations préoccupantes, les autorités politiques ont pris des décisions opaques, tardives et favorables aux intérêts des vendeurs d’eau contre l’information des citoyen.nes et la sécurité des consommateur.rices. 

Le choix de l’opacité. Alors que les fraudes ont été établies dès 2021 par la DGCCRF concernant les Sources Alma, et que l’IGAS a confirmé leur ampleur (plus de 30% de marques concernées à l'échelle nationale) aux ministres à l’été 2022, le gouvernement n’a publié aucune information pour mettre en garde les consommateur.rices. Le choix de l’opacité vaut également à l’égard de la Commission européenne, qui n’a jamais été avertie des infractions à la réglementation européenne, pourtant portées à la connaissance du ministre de la santé dès juillet 2022 par l’administration. De même, les ministres qui ont reçu le rapport de l’IGAS à l'été 2022 ne l’ont transmis ni à l’ANSES ni à la DGCCRF. Les agents de ces services, pourtant concernés par le contrôle des eaux minérales, n’ont découvert ce rapport qu’en 2024, suite aux révélations de Radiofrance. 

Des décisions tardives. Les autorités politiques se sont abstenues de toute sanction administrative et de toute mesure conservatoire lorsqu’elles ont été averties des fraudes en janvier et en août 2021. Ce n’est que 8 mois après ces révélations que les préfectures ont pu enjoindre Nestlé Waters d’arrêter ses traitements illégaux dans les Vosges, et 15 mois après dans le Gard. Dans ce département, l’arrêt des ultraviolets et des filtres à charbon n’a été constaté qu’en août 2023, soit deux ans après que les ministres de l’industrie et de la santé ont eu connaissance des fraudes.

Des décisions favorables à Nestlé Waters contre l’avis des services de l’Etat. Dès 2021, Nestlé Waters a cherché à négocier avec le gouvernement la légalisation de ses pratiques de microfiltration en échange de l’abandon des autres traitements (ultraviolets, charbon actif). Or, la microfiltration laisse passer certaines bactéries et est “inefficace vis-à-vis de la rétention de virus, dont des virus pathogènes pour l’homme” comme l’a indiqué l’ANSES. Elle peut donc constituer “une fausse sécurisation” et “ne peut être considérée comme un mécanisme de suppression de toute flore” microbienne, comme l’IGAS l’a rappelé aux ministres de la santé et de l’industrie à l'été 2022.

Contre l’avis de l’ANSES, de l’IGAS et du directeur général de la santé, le cabinet de la Première ministre a pourtant autorisé Nestlé Waters à maintenir la microfiltration contre l'abandon des autres procédés de désinfection. Après cette décision de février 2023, les arrêtés préfectoraux ont été modifiés pour légaliser cette pratique dans les différentes usines concernées. 

Quel est alors le bilan de l’action des services publics ?

Si certains journalistes estiment que ces décisions montrent une “entente secrète entre l’État français et une multinationale elle-même à l’origine d’une tromperie à grande échelle”, il convient de souligner que les autorités politiques ont réagi à un rythme et selon des orientations très différentes des positions défendues par les services de l’Etat.  

Malgré cela, l’action de la DGCCRF, de l’IGAS et des agences régionales de santé a permis la fermeture de plusieurs forages, le déclassement de certaines sources et l’ouverture d’enquêtes pénales. Certaines de leurs alertes, désormais publiques, permettent aux citoyen.nes de prendre la mesure des fraudes. Ils fournissent aussi des éléments pour contester la légalisation de la microfiltration microbienne, qui revient à tromper les consommateurs sur la pureté naturelle des eaux minérales, sans apporter la garantie d'une totale sécurité sur le plan sanitaire.

Alors que les contrôles réglementaires sont remis en cause avec une hostilité croissante, et que les effectifs dédiés au contrôle sanitaire des eaux de consommation ont diminué de 14% entre 2014 et 2018, ce scandale illustre l'importance des services publics pour protéger les consommateur.rices.

Un scandale à garder à l’esprit pour analyser les mesures que le Premier ministre s'apprête à proposer au nom de sa nouvelle “lutte contre la bureaucratie”.

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