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Billet de blog 5 avril 2025

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Pompes sur mesure - épisode 7

Septième épisode de “Pompes sur mesure”, écrit par le metteur en scène et ancien maître de cérémonie Robert Valbon, récit de son travail et de son vécu aux côtés des endeuillés.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

QUATRE

 Ici, je ne masque pas l’identité du défunt, importante personnalité franco-palestinienne. C’est par des relations militantes que j’ai eu l’opportunité de m’occuper de cet hommage entièrement bénévole.

Cette cérémonie a été incroyable pour plusieurs raisons : le lieu, le défunt, le délai, la durée. On m’apprend le mercredi qu’un ponte palestinien vient juste de mourir. Je demande à être mis sur le coup.

Le lendemain, je passe une heure et demie avec la famille à poser des questions et faire des propositions : le portage du cercueil à l’épaule avec les enfants et l’ambassadeur, le tapissage du cercueil, l’utilisation du catafalque tout en haut des marches de la salle, la préparation d’un diaporama en quatre parties (l’homme, politique, amis, famille). Je vais au Père-Lachaise prendre contact avec le MC qui est inclus dans le devis des SFVP ; il accepte volontiers ce remplacement[1]. Le vendredi, je trouve des musiciens (un joueur de ‘Oud proche du défunt et deux jazzmen). Je tapisse le cercueil d’un keffieh (donné par une amie), je participe à la mise en bière et arrange soigneusement le corps plutôt rudoyé par les deux entreprises en charge de cette affaire. Je retourne au crématorium compléter les préparatifs avec le directeur ; un type très sympa rencontré lors de ma formation. Je soumets mes interventions à la fille du défunt, qui est la référente sur ces funérailles, et nous réglons les derniers détails jusque tard dans la nuit.

J’arrive le samedi une heure en avance, prépare, accueille le public (il faut dire l’assistance), fais répéter les porteurs car ce n’est pas chose aisée de “porter à l’épaule” un cercueil relativement lourd, et ceux-là ne sont pas des professionnels puisqu’il s’agit de membres de la famille et d’amis du défunt. La musique d’orgue n’étant pas prévue, l’organiste titulaire de la rotonde s’est contenté d’envoyer les divers enregistrements musicaux choisis par la famille.

Puis j’ai assuré très sérieusement une cérémonie longue, émouvante et vivante. J’ai pris soin de m’adresser à tout le monde (la salle était bondée), de prendre les temps de silence, d’improviser selon les intervenants prévus (seize qui pour la plupart adorent dépasser le temps imparti !) ou non (des petits-enfants à gérer qui se baladent partout), des musiques en direct ou non, d’être toujours en lien visuel avec la référente. Après avoir refusé que j’écourte les derniers passages musicaux enregistrés, celle-ci constate que plusieurs personnes sont déjà sorties, panique et me demande dans l’urgence de terminer. Ce qui m’amène à oublier le joueur de ‘Oud et sa chanson ; je lui ai présenté mes excuses le lendemain. L’assistance a apprécié ; j’ai entendu des compliments directs ou indirects sur l’originalité de ces obsèques…

… dont voici le déroulé.

samedi 13

crématorium du Père-Lachaise (salle de la Rotonde) - 3 h

Georges Albert (Ilan Halevi), 69 ans

Préparation (fleurs, portrait, etc.)

Placement de l’assistance

musique direct jazz

Arrivée du cercueil porté par Hael, Nini, Manu, Lamine, Anas, Ashraf. Assurément, cette entrée du cercueil dans la Rotonde du Père-Lachaise a de la classe !

Proclamation

Mesdames, Messieurs, nous sommes rassemblés ce matin pour rendre un dernier hommage à Monsieur Ilan Halevi, journaliste, chroniqueur à la Revue d’Études Palestiniennes depuis sa fondation en 1981, il a occupé au sein de l’OLP plusieurs fonctions : tout d’abord comme Délégué à la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU en 1982 et 1983, puis auprès de l’Internationale Socialiste de 1983 à 1996. Il fut représentant permanent du Fatah au sein de l’Internationale Socialiste. Conseiller de la Délégation palestinienne, il a participé à ce titre aux négociations de Madrid en 1991, et de Washington en 1992 et 1993. Puis il devint membre de la délégation palestinienne au sein du Groupe de Travail Multilatéral sur les Réfugiés de 1993 à 1996. En 1999, il est nommé Conseiller politique au ministère palestinien du Plan et de la Coopération internationale, poste qu’il occupera jusqu’en 2001. Il fut notamment Vice-ministre des Affaires étrangères de l’Autorité Palestinienne de 2003 à 2005, membre du Conseil des Relations extérieures du Fatah, membre du Conseil Révolutionnaire du Fatah et conseiller du Président.

Il a souhaité être incinéré.

Un hommage politique lui sera rendu en octobre prochain.

- annonce du déroulement prévu, sans entrer dans les détails : le cercueil partira en cours de cérémonie[2].

Bio chaque cérémonie comprend une proclamation, une biographie, un temps de mémoire un autre de recueillement, une séparation

Combattant, poète, homme d’État, musicien, intellectuel polyglotte, danseur, diplomate, militant internationaliste, redoutable contradicteur, redoutable séducteur, Ilan Halevi, né à Lyon en 1943 sous une fausse identité, avant de devenir Georges-Alain Albert en 1953, s’est éteint mercredi dans sa soixante-dixième année, en région parisienne.

Sa famille, ses enfants (Yasmine, Nimrod, Mariam, Emmanuel, Salim), ses petits-enfants (Erwan, Talal, Tamara, Kanou), son épouse actuelle, Kirsten, ainsi que Monsieur l’ambassadeur de Palestine en France, vous remercient sincèrement de votre présence.

Mémoire

« Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. Le courage, ce n’est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre. » Ilan appréciait et appliquait cette citation de Jaurès.

Ses livres en témoignent : La Terre confisquée / Sous Israël la Palestine / Question juive. La tribu, la loi, l’espace / Israël de la terreur au massacre d’État / Face à la guerre. Lettre de Ramallah / Allers-retours / The Crossing (son premier roman noir écrit en anglais publié en 1964). Ses poèmes (il publie L’Horaire à seize ans), ses innombrables articles (notamment dans la Revue d’Études Palestiniennes, dans Libération ainsi que dans les Nouvelles de l’Intérieur), les dizaines de conférences qu’il a données à travers la planète (dont l’Université Libre de Bruxelles), l’ensemble de son œuvre politique, littéraire, journalistique, diplomatique, témoigne de son courage, de ses engagements, de sa résistance, de sa détermination… de son talent.

musique (1 Duke Ellington & Coltrane : In a sentimental Mood) + diaporama (1 l’homme)

Hael al Fahoum (Ambassadeur de Palestine en France)

Je ne reprendrai pas la parole à leur place ; tous les intervenants officiels ont rappelé les liens personnels qu’ils ont noués avec le défunt. Chacun et chacune citant des souvenirs politiques et littéraires. Ces discours émouvants ont fait voyager l’assistance dans le temps et l’espace. Une belle leçon d’histoire vivante !

Leïla Shahid (Ambassadrice de Palestine auprès de l’UE et du Royaume de Belgique)

Alain Chenal (responsable pour la Méditerranée et le Moyen-Orient et conseiller du Président de la Fondation Jean-Jaurès, membre du Secrétariat international du Parti socialiste)

Lydia Samarbakhsh (membre de la Coordination et de l’Exécutif national, responsable des Relations internationales du PCF)

musique (2 Fairuz Al Quds) + diaporama (2 politique)

Kirsten, son épouse

Séparation

Élias Sanbar (ambassadeur de l’État de Palestine à l’UNESCO, co-fondateur de la Revue d’Études Palestiniennes et grand ami d’Ilan)

Nous nous séparerons ensuite d’Ilan avec, pour l’accompagner une dernière fois, son ami le musicien Ahmed Dahri.

Après son allocution, Sanbar fait applaudir la salle, tout le monde est debout.

musique direct ‘Oud

Le cercueil monte au catafalque porté par Nini, Emmanuel, Lamine et Anas. Je retire la médaille, le drapeau, le keffieh posés sur le cercueil, je place les fleurs, j’en prends cinq pour les enfants, je m’incline. Le cercueil disparaît dans le catafalque grâce à un système d’élévateur. Un moment extrêmement théâtral et émouvant.

suite des interventions

Gustave Massiah (membre fondateur du Cédétim et ami d’Ilan)

Alain Joxe (écrivain, professeur à l’EHESS et fondateur du Centre des Études Stratégiques)

musique (3 Fairuz Zaharat al Madaen)

Alima Boumediene (Sénatrice honoraire)

Mireille Fanon-Mendès-France (présidente de la Fondation Fanon, experte sur le groupe de travail des Afro-descendants auprès du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies)

musique (4 Buena Vista Social Club El Carretero) + diaporama (3 amis)

Michel Warschawski (dirigeant politique, fondateur de l’AIC et ami de toujours d’Ilan)

Isabelle Avran (porte-parole de l’AFPS et grande amie d’Ilan)

musique (5 Natacha Atlas Mon amie la rose)

Plusieurs autres amis…

musique (6 Toumani Diabaté & Ballaké Sissoko Bafoulabe) + diaporama (4 famille)

… et membres de la famille

musique (7 Miles Davis & Quincy Jones)

Recueillement

J’invite l’assemblée à se recueillir avant de se séparer… et j’oublie de placer le joueur de ‘Oud pour sa chanson.

Je cite la fin du communiqué de la Mission de Palestine en France (représentation diplomatique du gouvernement palestinien) écrit par ma fille Capucine, pas peu fière : « Reposez en paix, Ilan, et soyez assuré que les graines d’espoir que vous avez semées seront récoltées par les générations futures, qui retiendront de votre vie l’amour de la liberté, de la justice et le combat en faveur de la lutte nationale, pour l’indépendance de l’État palestinien avec Jérusalem‐Est pour capitale et le retour des réfugiés. »

Les musiciens de jazz clôturent ces funérailles hors normes.

Toujours debout, souriant et réagissant discrètement aux interventions, j’ai beaucoup transpiré. J’ai peut-être un peu trop marché[3] ; n’ayant pas la main sur la partie technique, je faisais des allers-retours pour corriger les inévitables bugs. J’ai toujours parcouru l’assistance du regard, lentement, afin de faire passer l’émotion à travers chaque individu. Un truc que m’avait appris Pierre Étaix.

Cette expérience fut une réussite et une aventure incroyable. Elle fut également un échec sur le plan de la communication puisque je n’ai pas eu la possibilité de récupérer les images sur lesquelles je comptais pour vendre mes compétences de croque-mort “sur mesure”.

Je ne me plains pas. Mon objectif en entamant ces trois jours de folie était d’officier dans la plus belle salle de Paris et de France en ce qui concerne les crématoriums. Mission accomplie.

[1] Toute famille a la possibilité de choisir son maître de cérémonie.

[2] Le crématorium fermant en fin de matinée le samedi, il fallait procéder à la crémation avant la fin de la cérémonie.

[3] Chaloupé, me dit mon ami Vincent qui n’a pas manqué cette première.

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