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Billet de blog 6 juin 2025

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Pompes sur mesure - épisode 16

Seizième épisode de « Pompes sur mesure », écrit par le metteur en scène et ancien maître de cérémonie Robert Valbon, récit de son travail et de son vécu aux côtés des endeuillés.

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TREIZE

jeudi 20

Crémation N

Jeanne D, 93 ans

Chambre funéraire hôpital K

Crématorium

je fais remarquer que le banc de devant est vide, Jean-Pascal explique qu’en Grèce antique, c’était à cause des fauves

Proclamation

Mesdames, Messieurs, nous sommes réunis aujourd’hui pour rendre un dernier hommage à Madame Jeanne D. Après la crémation, les cendres… impro

La cérémonie qui suit la disparition d’un être aimé échappe à… j’improvise sur la routine. Nous sommes ici, autour du cercueil de Jeanne D, pour vivre ensemble une respiration nécessaire, indispensable, pour laisser aller les souvenirs, les joies passées, la tristesse bien présente. Jeanne D nous a quittés ce dimanche, à l’âge de quatre-vingt-treize ans.

Quatre-vingt-treize ans… impro sur le bel âge Jeanne est partie sans bruit, vous laissant seul Henri, après soixante-dix ans à vos côtés. La mort ne détruit pas les liens que vous avez tissés. De nombreuses vies ont croisé la sienne ; toutes se sont enrichies des expériences et des souvenirs partagés.

Vous vivez maintenant le premier chagrin pour lequel votre Jeannette, votre maman, votre Granny, ne pourra pas vous consoler. Le plus souvent, la mort nous accompagne de loin, nous la connaissons vaguement, nous l’attendons, nous en souffrons même lorsqu’elle nous soulage. On se souvient, on pense à la personne disparue, on fait des bilans. Tout cela nous place dans un registre qui favorise la pensée et la vie, paradoxalement. Ce sont des moments intenses, rares, où il y a une connexion fructueuse entre l’émotion et la pensée. Quelqu’un qui est ému et qui pense en même temps est plus libre. Le temps du deuil est un temps subversif. impro sur le fait de profiter de cette liberté en passant la parole à Jean-Pascal

cinq anecdotes / il évoque une recette de tarte aux pommes, je lui fais remarquer qu’il a oublié le sucre, mais non, dit-il, en revanche les pommes !

Bio

Jeanne L est née le 5 janvier, le jour de l’Épiphanie en cette année 19… à Montreuil, département de la Seine. La banlieue ouvrière qui a donné naissance à la Seine Saint-Denis en 1968. Mais c’est une autre histoire. Avant cela, la jeune Jeanne avait posé son dévolu sur un grand blond, recherché par la police de Vichy après sa “désertion” du STO, caché sous sa nouvelle identité de bûcheron au bois de Marly. La belle coiffeuse est amoureuse. Elle a croisé Henri dans le salon de coiffure de la rue François 1er (aujourd’hui la boutique Cartier). Vous avez vécu ensemble depuis cette époque impro sur la Libération des cœurs ; vous avez eu trois garçons : Jean-Pascal, Frédérick, Philippe. Le petit frère Philippe, mort il y a quelques années ; cette perte fut certainement votre plus insoutenable douleur, à vous tous, et surtout à Jeanne.

Mais elle n’avait pas l’habitude de se plaindre. Comme tant de femmes sans lesquelles nous en serions probablement encore à l’âge de pierre, Madame D a entretenu les innombrables liens d’amour qui donnent un sens à notre existence. La vie de Jeanne est parmi ces milliers de vies dont personne ne se soucie. Une vie lisse, sans événement médiatique. Elle a exercé son métier – s’il faut se souvenir d’un seul lieu, ce fut boulevard Murat, avec “Monsieur Henri” –, elle a élevé ses enfants, ses petits-enfants – Marie-Charlotte, Arthur, Anastasia, Nicolas, Benoît –, elle a perdu son troisième fils. Elle a eu son lot de malheurs qu’elle a supportés avec courage, avec cette dignité qui fait de nous des êtres humains. Elle a eu aussi des bonheurs ; c’est de ceux-là dont nous voulons nous souvenir : la mère-poule attentionnée, la grand-mère aux petits soins (ou quelque chose comme ça), la femme élégante, soignée, qui n’avait pas pris une ride impro sur sa beauté. [Une vie qui semble être un fleuve tranquille. Nous voilà arrivés au port ; ainsi finit toute vie. je n’ai pas pu dire ces deux dernières phrases proposées par ma copine Madeleine, décidément trop kitch]

la parole à Claire (épouse Frédérick) / ce que sa belle-mère lui a apporté : « êtes-vous heureuse ? oui, grâce à vous » émouvant

Mémoire

Après un AVC il y a une dizaine d’années, Jeanne est entrée dans la dernière étape, celle que l’on nomme avec respect, mais aussi avec une certaine crainte de l’inconnu, “la vieillesse”. Vous habitiez la très fleurie, ensoleillée et maritime petite ville de Mandelieu-la-Napoule, près de Cannes impro sur la capitale du mimosa. Ces dernières années, Jeanne souffrait beaucoup d’être diminuée, physiologiquement et également socialement puisque de vos amis ne restent que les J, dont le mari est votre jumeau Henri. Et toutes ces années, vous l’avez accompagnée (tous, même les absents !), lui rendant une part de l’amour qu’elle savait si généreusement offrir.

Aujourd’hui, tous ici vous commencez une relation nouvelle avec votre chère disparue. Non seulement nous vivons avec nos morts, mais cette relation intérieure que nous avons avec eux est une des choses les plus intenses et les plus belles que nous puissions vivre. Avec le sentiment heureux d’avoir été aimé, d’avoir aimé cette même personne et de l’aimer demain autrement.

Votre mère n’était pas une pratiquante acharnée, mais vous, Frédérick, ferez donner une messe en sa mémoire. Cela me donne l’occasion de rappeler que les chrétiens ont coutume d’employer la formule  “Requiescat in pace”, “Qu’elle repose en paix”. J’ajoute : que le repos de Jeanne vous apporte un peu de paix.

Une part de chacun d’entre nous accompagne Jeanne. Ainsi, la vie reste un peu avec la mort avant de pouvoir revenir vers les vivants. invitation à se lever

Séparation - Recueillement

Après deux semaines sans cadavre, les affaires reprennent. Sur ce nouveau convoi, l’humour commence involontairement avec la réponse de Paul à ma question « Le mari est encore vivant ? » : « La défunte a toujours son mari ». J’ignore si c’était volontaire, mais je l’ai trouvée excellente.

Le corbillard était en retard à l’hôpital et j’ai effectué la mise en bière avec le gars de la morgue. Mal m’en a pris car j’ai fait une boulette que le porteur qui m’avait dans le nez[1] a utilisée contre moi par la suite : j’ai égaré l’étiquette du corps. Je fouille partout dans le cercueil, en vain. Je reconnais mon erreur devant les collègues que j’aurais dû attendre et nous poursuivons normalement la préparation.

Jolie cérémonie malgré l’absence de musique et de fleurs. J’ai pris la précaution d’éplucher quelques roses avant, ce qui fut bien utile pour un dernier geste attendu par tous. Il est d’usage de poser quelques pétales sur un cercueil lors des obsèques. Les crématoriums ont toujours une réserve de fleurs ; pas aujourd’hui.

Pour ces funérailles, mon interlocuteur est dynamique et sympathique. Il semble cultivé, mais je ressens un malaise ; je crains de ne pas être à la hauteur. C’est sans doute pourquoi j’ai l’impression d’en baver encore plus pour écrire mon texte. En fait, les deux frangins sont sympathiques mais hautains du fait d’une ascension sociale rapide.

Parce qu’ils maltraitent leur père (assieds-toi, reste debout, laisse-moi parler), je décide d’appuyer mon hommage sur le côté prolétaire en me moquant un peu de leur confi-culture. J’ai même pris sa défense (quatre-vingt-douze ans le papa) lorsqu’il a osé se plaindre de l’absence de fleurs et à qui son fils a répondu qu’il n’avait qu’à prendre ses responsabilités.

Hors de la salle, je dis aux deux petits-enfants qu’il n’y a rien de pire que de perdre une grand-mère à leur âge.

Ai donné ma carte à une dame des PFG croisée au funérarium. Un geste automatique, opportuniste et parfaitement inutile. Non pas parce que j’aurais refusé de travailler avec ce groupe, mais plutôt l’inverse. Je me suis soudain rappelé une visite à leur siège parisien plusieurs années auparavant où j’avais présenté mon projet de formation à leur responsable au niveau national. Un rendez-vous resté sans suite.

[1] Un grand type blond, jeune, beau gosse et agressif

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