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Billet de blog 11 avril 2025

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Pompes sur mesure - épisode 8

Huitième épisode de “Pompes sur mesure”, écrit par le metteur en scène et ancien maître de cérémonie Robert Valbon, récit de son travail et de son vécu aux côtés des endeuillés.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

CINQ

 Une agence que j’ai démarchée près de chez moi me demande de lui organiser une cérémonie fictive pour l’émission Capital sur M6. Ma prestation sera gratuite ; en contrepartie, le directeur s’engage à me confier des convois à venir. Je prends plaisir à relever ce petit défi et lui monte des funérailles aux petits oignons.

Frédéric, le journaliste en charge du reportage, se prête tellement au jeu qu’il va prendre place dans le cercueil pour la séquence de mise en bière. En revanche, il n’est pas chaud pour tester la chambre froide. Étant officiellement décédé, il n’apparaîtra pas sur les images tournées dans le cimetière. Les petites équipes de M6 et de l’agence funéraire ont assuré la figuration pour une cérémonie intime, par un froid humide.

Ce tournage a été diffusé dans une émission consacrée au marché de la mort, intitulée « Vous mourez, ils en profitent ! ». Parmi des reportages racoleurs, le nôtre était vendu comme un exemple de bonnes pratiques des agences indépendantes qui s’associent généralement en petits réseaux. Le directeur de l’agence était rempli de fierté.

Ça ne vous étonnera pas d’apprendre que je n’ai récupéré par la suite aucune affaire venant de lui. Toujours cette contradiction entre le discours et les actes. « C’est exactement ce qu’il me faut ! » s’était-il enthousiasmé lorsqu’il m’avait reçu fort aimablement quelques mois plus tôt, séduit par ma proposition d’obsèques personnalisées. Il aurait pu renvoyer l’ascenseur en tenant sa parole. J’avoue être complètement démuni devant cette problématique.

Puisque j’en suis aux questions importantes, comment expliquer ce décalage entre la demande et l’offre ? Les familles endeuillées souhaitent que l’on respecte leurs morts. Il suffit de se donner la peine de savoir de qui l’on parle et comment le dire, pas d’expédier les funérailles en écorchant le nom du défunt et en balbutiant quelques inepties agrémentées d’un bout de poème incompréhensible. Encore que, pour l’avoir entendu de nombreuses personnes, je dois reconnaître que même une très légère citation littéraire suffit à apaiser les assistances.

La corporation funéraire cultive sa part d’ombre. Certes il y a une volonté de la part de nombreux professionnels qui travaillent de près ou de loin avec la mort d’éclairer le processus de deuil. Celui-ci relève du domaine personnel et des questions de société. En attendant mieux, nous sommes pour l’heure dans une société marchande ; le déroulement des obsèques est avant tout une affaire de commerce. De ce point de vue, la mort peut rester un mystère dans toutes ses dimensions : métaphysique, romantique, politique, philosophique, cabalistique, et surtout… économique.

mercredi 18

chambre funéraire C-O, cimetière O

Requiem

Mesdames, Messieurs, nous sommes rassemblés aujourd’hui pour rendre un dernier hommage à Monsieur Frédéric M. Sa famille vous remercie pour votre présence en ce moment de deuil.

Au terme de cette cérémonie civile, et selon sa volonté, Monsieur M sera inhumé.

Né le 28 août 19…, Frédéric M a succombé lundi dernier à une crise cardiaque, alors qu’il était en reportage. Votre époux, Madame, était bien jeune pour mourir. Votre fille aura profité de son papa durant ses deux premières années seulement ; ce sont les plus importantes, et nous savons qu’elle portera toujours l’empreinte de son père et vous renverra un peu de son image.

À quarante-et-un ans, Frédéric M avait déjà un long parcours professionnel. Jeune homme, il fait ses premiers pas de journaliste dans une radio locale vendéenne, puis la presse écrite avec le journal Marne-Hebdo, et l’audiovisuel avec France 3 Régions, France 2, enfin M6 où il y a quelques jours encore, il enquêtait pour l’émission “Capital”.

L’investigation, l’enquête, le terrain… c’était son truc. Il le faisait avec conviction, avec talent, quitte à claquer la porte lorsqu’on lui demandait de prendre quelques arrangements avec la vérité. Il ne tolérait pas les reportages bâclés et mettait un point d’honneur à récolter le maximum de faits pour une information de qualité. S’il était reconnu pour son intégrité, il était également redouté pour sa pugnacité. Que ce soit dans son métier ou sur le court de tennis, ceux qui l’affrontaient avaient rarement le dernier mot !

Votre mari, votre fils, votre frère, votre ami… était un lutteur, à l’image des poissons qu’il allait taquiner, le plus souvent seul. Car il était aussi un solitaire comme le brochet, un battant comme la carpe ou le chevesne, qu’il affectionnait particulièrement.

De belles bêtes, tout comme ce flétan qui traverse les paysages d’“Arizona dream”, film culte que Frédéric aimait beaucoup et dont nous écoutons maintenant le thème musical.

Arizona dream

Le journaliste, le père, l’ami, le sportif, le pêcheur, l’époux… est parti. Déjà ! Vous l’avez perdu oui, vous avez gagné la joie d’avoir partagé sa vie. Les moments d’intimité, les plaisirs, les colères, les aventures, la complicité, la tendresse… le souvenir de Frédéric M remplit votre chagrin, il nourrira votre fierté de l’avoir aimé.

Je vous invite à vous recueillir une dernière fois en déposant une fleur sur le cercueil, en faisant un geste simple et naturel.

Avant de nous séparer, si vous désirez exprimer votre soutien, votre peine par écrit, un registre de condoléances est à votre disposition.

musique « J’ai perdu mes lumières / Je me tourne et me retourne / Je ne dors pas de la nuit », chantaient les “Four Preps” il y a cinquante ans, chanson reprise par les “Soft Cell” et qu’affectionnait Frédéric.

J’ai de nouveau croisé cette agence quelques années plus tard.

À l’enterrement de mon ami Jacques, après le très juste hommage d’Omar S, je chante l’un de mes tubes de cimetières, Le Temps des cerises. Je retrouve à cette occasion la directrice adjointe de l’agence (simple employée à l’époque de l’émission) qui me salue chaleureusement, ainsi que le responsable du cimetière municipal, un brave homme. Les deux avaient aidé à l’organisation d’un de mes tournages pour lequel ce fameux directeur peu reconnaissant avait tout de même daigné me prêter un cercueil et une couronne. Je reviendrai bientôt sur ce petit film.

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