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Billet de blog 25 juillet 2025

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Pompes sur mesure - épisode 23

Vingt-troisième épisode de « Pompes sur mesure », écrit par le metteur en scène et ancien maître de cérémonie Robert Valbon, récit de son travail et de son vécu aux côtés des endeuillés.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

DIX-NEUF

 Vous l’avez vu, certaines funérailles me permettent de développer l’aspect social de la lutte des classes ; c’est l’occasion de faire un peu de politique dans un lieu et un moment inattendus. L’écoute n’en est que plus attentive. Dès que je le peux, j’ajoute à cette dimension historique le rôle des femmes. Le parcours de celle d’aujourd’hui est celui d’une mère-courage[1] venue du Portugal.

jeudi 12

Enterrement LG

Maria Idalina A, 79 ans

Chambre funéraire hôpital K Miserere

Église St-U

Cimetière

impro sur la solennité de l’église Mesdames, Messieurs, nous sommes réunis aujourd’hui pour rendre un tout dernier hommage à Madame Maria Idalina A. Elle sera inhumée dans le caveau familial, auprès de son époux.

Il n’y a pas de discours qui puisse estomper la perte… etc.

La cérémonie qui suit la disparition d’un être aimé échappe à… impro sur la routine. Nous sommes ici, autour du cercueil de Maria A, pour vivre ensemble une étape, pour reprendre le souffle qui s’est suspendu avec sa mort. Une respiration nécessaire, indispensable, afin de laisser aller les souvenirs, les joies passées, la tristesse bien présente. Maria A nous a quittés le 5 février, à l’âge de soixante-dix-neuf ans.

Soixante-dix-neuf ans, l’âge de l’expérience… impro sur le bel âge, la sagesse Idalina est partie sans bruit. Votre maman, votre mamie était une femme simple… avec un caractère puissant.

La mort ne détruit pas les liens que vous avez tissés. Durant tant d’années, de nombreuses vies ont croisé la sienne ; toutes se sont enrichies des expériences et des souvenirs partagés.

Fernanda, Albino, Alexandre, Mélodie, Morgane, Lisa, Mathieu, Lola, vous vivez maintenant le premier chagrin pour lequel votre Maman, votre Mamie ne pourra pas vous consoler. Le plus souvent, la mort nous accompagne de loin, nous la connaissons vaguement, nous l’attendons, nous en souffrons même lorsqu’elle nous soulage. On se souvient, on pense à la personne disparue, on fait des bilans. aphorisme pensée - émotion

Bio

Maria Idalina De C est née le 8 avril 19… au nord du Portugal, entre mer et montagne, près de Braga. Dans ce pays riche par la beauté de ses paysages, son enfance fut pauvre. Élevée avec ses deux frères et sa sœur par une mère seule, aidée elle-même par sa propre mère, car le grand-père maternel n’a jamais assumé son rôle de père. On retrouvera ce schéma à plusieurs reprises dans votre famille où – sans doute plus qu’ailleurs – les femmes ont appris à faire face à toutes les situations, toujours avec courage.

Idalina a beaucoup travaillé tout au long de sa vie. Petite déjà, avec Olivia la maman, les frères la sœur, tous allaient travailler à la mine. La dictature fasciste de Salazar ne ménageait pas les petites gens, encore moins les enfants de la classe ouvrière. Idalina a récolté de cette période extrêmement difficile des problèmes de dos et une santé fragilisée. Malgré cela, elle a assuré des ménages aussi bien en usine que chez les particuliers. Celles et ceux qui ont déjà “nettoyé la merde des autres”, comme on dit, connaissent la dureté de ce travail. Si dur qu’elle fut contrainte d’arrêter à cinquante-et-un ans, pour cause de dos trop usé, trop abimé.

Elle ne se plaignait pas même si l’injustice la révoltait. Maria ne supportait pas l’égoïsme, celui des riches notamment, source de tant d’inégalités et de pauvreté. Enfant de Trente-Six, année haute en Histoire ouvrière et révolutionnaire, Maria Idalina était révoltée contre l’injustice ! Ce qui explique peut-être sa passion pour la couleur rouge. impro sur le régime fasciste portugais

Alexandre, Mélodie, Morgane, Lisa, votre grand-mère a eu beaucoup de bonheur parce qu’elle a eu la joie de vous connaître et de vous aimer. Mais elle a eu aussi sa part de malheur. Elle a perdu une première fille, Anna, morte à deux ans, accidentellement, en 1965. Depuis, elle traversait des périodes dépressives. Mais ça ne l’empêchait pas d’aimer la vie. Très belle femme, élégante, elle adorait la fête, elle aimait danser, elle aimait la musique. Elle aimait bien manger aussi, et chacun d’entre vous se rappelle ces moments partagés dont le souvenir vous réchauffe dans cette période de deuil.

Maria est arrivée en France en 1968. Elle parlait peu le français. Elle a dû élever ses deux enfants (Fernanda, Albino) seule ou presque. Votre père est mort très tôt, en 1976.

Les femmes se sont retrouvées et Idalina la grand-mère a aidé Fernanda la mère à élever Alexandre et Mélodie. Tout comme d’ailleurs votre grand-mère Fernanda, la maman d’Idalina – Olivia – s’était occupée de vous (restée vivre trois ans avec elle). J’imagine que vous êtes aux petits soins avec vos petits-enfants Mathieu (deux ans) et Lola (cinq mois). Quant à Albino, il vous faudra attendre encore un peu pour exercer l’art d’être grand-père. je me suis un peu emmêlé les pinceaux dans les générations, mais c’était marrant

Mémoire

Il y a une dizaine d’années, Maria Idalina fit une embolie pulmonaire. À partir de là, sa santé s’est détériorée, jusqu’à il y a trois ans avec l’apparition d’un cancer. Elle s’est battue, avec la chimiothérapie et la radiothérapie. Vous l’avez soutenue, vous l’avez accompagnée, sachant qu’elle n’aimait pas, mais pas du tout la solitude. Puis Maria s’est cassé le fémur il y a six mois pour, depuis, rester alitée.

Lorsque l’on tombe malade – cela semble être une règle humaine – les amis s’en vont. Peut-être par peur d’être contaminés ! C’est une grave erreur, car accompagner quelqu’un qui diminue est une expérience extrêmement enrichissante sur le plan humain. Mais nous le savons depuis le berceau : la mort est contagieuse, la vieillesse aussi. En revanche, la solitude n’est pas obligatoire. Malgré son âge et sa maladie, Idalina avait conservé quelques amies, dont certaines sont ici aujourd’hui.

J’ai évoqué le courage de Maria Idalina. Qu’est-ce que le courage ? Il est plus difficile de vivre les hauts et les bas de la vie, de traverser un deuil ou un chagrin d’amour sans devenir aigri que de remporter une médaille aux Jeux Olympiques. Précisément parce qu’il nous faut exercer le courage dans la routine, sans les montées d’adrénaline, dans des situations banales qui n’en sont pas moins redoutables. Ce courage exercé au quotidien débouche souvent sur une forme d’altruisme, de générosité.

Maria Idalina était aussi une femme digne, parce qu’elle refusait de se laisser aller au désespoir, parce qu’elle osait résister doucement. Le courage, la dignité, et l’amour sont des valeurs qu’elle a su vous transmettre.

Séparation

Avant de nous séparer définitivement de Madame Maria Idalina A, quelqu’un souhaite-t-il dire quelques derniers mots ? personne, c’est dommage car les prises de parole à l’église étaient fort médiocres, comme le curé malheureusement

Recueillement je montre le chemin

je constate que les moments rituels (placements, déplacements, recueillement) sont aussi importants que mes beaux discours

Très fatigué, j’ai quand même pas mal improvisé sur ce coup. Je me souviens avoir dit quelque chose de fort, mais quoi… impossible de m’en souvenir !

Louis m’a proposé ce convoi il y a une semaine, mais ne m’a envoyé les infos que lundi. Étant absent mardi et mercredi, j’ai flippé de ne pouvoir avoir le temps. Lundi matin, la fille (décrite par Louis comme ayant de très beaux yeux) répond volontiers à mon questionnaire. Je me suis imposé deux heures d’écriture avant de partir, puis nous avons complété ce matin. La dame était effectivement très séduisante. Difficile de ne pas le remarquer, même pour un croque-mort. 

Il faisait froid et beau, donc bonne cérémonie. Sauf que l’après-midi a été pourrie par deux événements : l’église toujours aussi nulle (j’y ai quand même croisé un collègue chanteur) et le même porteur qu’au chapitre treize a piqué une crise parce que j’avais fait la mise en bière avant leur arrivée (Louis et Paul m’ont confirmé que je fais comme je veux) et surtout parce que j’avais oublié de placer le capiton sous le corps. J’ai assumé : réparé, excusé, etc., mais il m’a tiré la tronche et fait chier jusqu’au bout. Louis me raconte ensuite que lui ou ses collègues ont déjà bavé sur moi, pour des soi-disant fantaisies en moto[2].

Ces braves gens n’apprécient pas ma façon de faire : je ne tire pas la gueule d’enterrement obligatoire, je plaisante avec les familles, j’improvise des trucs philosophiques et politiques et je prends mes aises avec les conventions. Par exemple, contre mon avis, un autre a insisté tout à l’heure pour mettre la croix à l’hôpital ; le même a refusé d’aller jusqu’à la tombe pour installer les fleurs. Et en même temps, toujours le même m’a donné juste avant qu’il ne soit trop tard l’étiquette à coller sur la plaque gravée. Ils sont assez bizarres ; bienveillants et jaloux, certainement parce que certains d’entre eux font aussi le boulot de MC.

[1] “Mère Courage et ses enfants” est une pièce de Brecht où la femme fait feu de tout bois pour élever ses enfants… qu’elle perdra à cause de la guerre.

[2] Mea culpa : la bécane c’est sportif et il m’arrive de m’étirer en roulant.

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