crémation
Mireille P, 77 ans (Paris 13, Boulogne)
L’assemblée était plus nombreuse que prévue, une dizaine au lieu des quatre personnes évoquées au téléphone : Patricia (fille unique), son époux, ses enfants et quelques vieux amis.
Pour cette troisième cérémonie, j’ai moins lu, tout en ayant mes notes sur le pupitre.
Bio : Votre maman, votre grand-mère, votre belle-mère, votre amie impro sur ce thème est une battante. Aujourd’hui elle n’est plus, mais quel combat pour la vie ! Elle a surmonté ses problèmes de santé depuis sa jeunesse tout en travaillant (entreprise familiale à Paris, tissus d’ameublement à Boulogne) et en élevant sa fille Patricia.
J’ai oublié de parler de sa passion pour les animaux et les fleurs, mais rien qu’avec ça, j’ai fait plus long que l’autre !
La fille m’ayant demandé Les Feuilles mortes, j’ai ajouté une autre chanson d’Yves Montant Ainsi va la vie. Et j’ai lu un court texte de Lucrèce qui les a touchés :
« Regarde maintenant en arrière, et vois quel néant fut pour nous cette longue période de l’éternelle durée qui a précédé notre naissance : voilà le miroir où la nature nous présente ce que l’avenir nous réserve après la mort. Y voit-on apparaître quelque image horrible, quelque sujet de deuil ? N’est-ce pas un état plus paisible que n’importe quel sommeil ? »
À la fin, j’ai allumé l’écran sans avoir prévenu le collègue qui s’occupait de la crémation. Ce qui fait que la famille l’a vu lui et un autre type[1] installer les fleurs sur le cercueil devant le four fermé. Ouf, pas de réaction dans la salle mais je ne referai pas cette erreur. Déstabilisé, je n’ai pas pensé à rapporter de fleurs.
Je ne suis plus troublé, plutôt heureux et satisfait de commencer à trouver la bonne place dans les deuils des autres. Pour le moment, il me semble que mon attitude non conformiste ait surpris et soulagé la peine. Il n’est pas habituel qu’un maître de cérémonie s’intéresse au défunt en se mettant en scène et n’affiche pas une tête d’enterrement. C’est ce que j’ai ressenti en direct lors des trois cérémonies, puis ensuite avec les remerciements des familles (« c’était parfait », etc.), parfois de quelqu’un qui n’avait absolument rien exprimé (remerciements réitérés ensuite lors des remises d’urnes où je n’étais pas, m’a-t-on rapporté).
Mon diplôme en poche, j’ai démarché toutes les boîtes funéraires de la capitale et quelques-unes de banlieue. Dans cette recherche, j’ai retrouvé des professionnels rencontrés sur les salons. Je pensais qu’ils accueilleraient avec enthousiasme ma proposition de cérémonies sur mesure, étant donné qu’ils m’avaient auparavant confié leur déception quant au manque de personnalisation des obsèques. Tu parles Charles ! J’avais beau avoir l’expérience du spectacle vivant et le label de croque-mort, j’ai vite compris qu’ils ne souhaitaient absolument pas bouleverser leurs habitudes pépères de cérémonies mortelles (d’ennui). L’une des agences les plus novatrices de Paris m’a quand même proposé de travailler à plein temps. J’aurais peut-être dû accepter et abandonner la scène… Mais non, jamais de la vie !
J’ai fini par en trouver qui me firent confiance en tant que MC indépendant. L’un des directeurs, Paul, m’a permis de mener des convois[2] comme je l’entendais, et m’a même recommandé auprès de confrères.
[1] L’agent des pompes chargé de ce cas m’a gonflé à rester debout de l’autre côté du cercueil avec sa tronche d’enterrement.
[2] Par métonymie, le convoi est l’ensemble du processus, de la mise en bière jusqu’à l’inhumation ou la crémation.