DOUZE
Parfois, les défunts bénéficient d’une formule complète : crémation et inhumation. Double peine pour moi : je prépare deux hommages pour la même personne… devant les mêmes participants. C’est de la gourmandise. La descente de l’urne dans le caveau familial est moins spectaculaire qu’avec un cercueil. Au lieu des cordes tenues par quatre porteurs, c’est le fossoyeur qui descend déposer la précieuse relique.
jeudi 6
crémation N, cimetière C (inhumation de l’urne)
Huguette F, 78 ans
Chambre funéraire hôpital K Miserere
Crématorium Dr Jivago (musique du film)
Proclamation
Mesdames, Messieurs, nous sommes réunis pour rendre un dernier hommage à Madame Huguette F. Cet après-midi, ses cendres seront inhumées au cimetière de C, dans l’intimité de la famille, laquelle vous remercie de votre présence aujourd’hui.
La cérémonie qui suit la disparition d’un être aimé échappe à l’horloge habituelle, celle de notre quotidien. Nous sommes ici, autour du cercueil d’Huguette F, pour vivre ensemble une profonde respiration… nécessaire, indispensable. Laissez aller les souvenirs, les joies passées, la tristesse bien présente. Huguette F nous a quittés il y a une semaine, à l’âge de soixante-dix-huit ans.
Soixante-dix-huit ans, c’est un bel âge, mais encore jeune pour mourir. Et c’est beaucoup trop tôt pour quitter ses petits-enfants de huit et bientôt onze ans. Une grand-mère est tellement importante pour notre construction. Vous vivez maintenant votre premier chagrin pour lequel votre manou (Elsa, Anaïs), votre maman (Alain), votre sœur (si présence de Chantal et sa fille Muriel : votre Gugusse), votre épouse… ne pourra pas vous consoler.
Salsa
Bio
Huguette ne voulait pas montrer qu’elle souffrait, elle ne voulait pas que les autres souffrent. Dans sa longue vie, Madame F ne s’est jamais plainte. Une force de la nature. S’il lui est arrivé d’être malade, personne n’en a jamais rien su. Sa première, et la seule, souffrance réelle fut de ne pouvoir enfanter. Le courage, la ténacité, la volonté – toutes ces qualités que vous avez appréciées chez elle – ont fini par lui donner raison et… naissance à un garçon.
Votre maman, Alain, femme simple, douce, remplie de chaleur, avait le don de lier les amitiés. Elle dégageait une telle sympathie que les amis l’ont accompagnée jusqu’au bout. remarque sur le nombre de personnes présentes
La mort dans la douleur de cette maladie qui l’a détruite vous a montré ce qu’est le courage et la dignité pour la femme-Huguette. Elle était surprise de voir « les gens se mettre dans des états pareils ». Consciente tout au long de cette dernière souffrance qu’elle minimisait bien sûr, mais qu’elle ne pouvait cacher, votre maman, votre épouse, votre sœur, votre grand-mère, votre amie appréhendait qu’on l’empêchât de partir. Vous savez, l’acharnement thérapeutique qui fait tant de ravages sans tenir compte des volontés de ceux qui n’en peuvent plus. Mais elle était parfaitement entourée, par le personnel de la maison de retraite Ste-G à N de mai à septembre, le personnel de l’hôpital en avril puis ce dernier long mois à P, entourée par sa famille : André (le mari), Chantal, René, Alain et ses filles. Alain, vous faisiez manger votre mère chaque soir ; vous aviez de longues conversations tous les deux. Même empêchée de parler par sa maladie, Huguette continuait de se faire des relations amicales en utilisant son ardoise magique. je sors l’ardoise Une femme tout à fait vivante !
(impro sur) Dr Jivago, Tino Rossi (je ne me rappelle plus quelle chanson)
Il y a un peu plus d’un an que Madame F a été attaquée par la SLA, la sclérose latérale amyotrophique ; on dit aussi “maladie de Charcot”. Les nerfs n’agissent plus, ils ne commandent plus les muscles. La déglutition devient impossible, la respiration de plus en plus difficile, au point d’exiger une assistance – la nuit seulement pour Huguette durant ce dernier mois. Tout ce que le corps fait instinctivement se transforme en cauchemar. On ignore les causes de cette infection dégénérative assez rare, mais pas suffisamment pour avoir également emporté le père de votre parrain, Alain, lorsque vous étiez encore adolescent. Vous aussi, avez appris le courage et la dignité.
Mémoire
Aujourd’hui, tous ici vous commencez une relation nouvelle avec votre chère disparue. Les larmes sont les bienvenues, laissez-les aller. Elles renforcent la relation, votre relation avec Huguette. Elles vous rapprochent, et, en définitive, vous partagez l’une des choses les plus belles que nous puissions vivre : le sentiment heureux d’avoir été aimé, d’avoir aimé cette même personne et de l’aimer demain autrement. Avec les souvenirs, l’imagination… Une piste de danse, le bonheur d’Huguette sur ce tango.
Tango
Tango, Salsa… des danses de contact. Elle aimait le contact. Tous les contacts, notamment celui des enfants.
Née le 9 mai 19… à Neuilly-sur-Seine, Huguette M est une enfant du Front Populaire. Quelle page de notre histoire ! avec ses nombreuses transformations sociales accompagnées d’une autre vision de l’être humain, plus respectueuse, plus équitable. On ne le dit pas souvent, mais la prise en compte des besoins de l’enfant fut l’une des conquêtes les plus importantes de cette époque. À travers les congés payés, les colonies de vacances, la multiplication des crèches collectives.
Ce fut cela la vie d’Huguette : les enfants, les petits. Berceuse biberonnière – on dit aujourd’hui auxiliaire de puériculture –, c’était son métier, durant trente-deux ans à N, à la crèche de la rue de Pongerville, une crèche née des conquêtes de la Libération, en 1947 après la guerre. Une guerre qu’elle et ses sœurs ont passée dans le Jura, dans la famille maternelle. Huguette est entrée dans cette crèche l’année de son mariage : 1959.
impro sur les générations qui sont passées entre ses mains expertes Lorsque l’on voue sa carrière aux tout petits, on doit emmagasiner une sacrée dose d’amour ! D’humilité certainement aussi, d’écoute, de discrétion… Huguette fuyait les commérages ; elle aimait la sincérité des vrais rapports humains. À la télévision superficielle et fausse, elle préférait la lecture, le club du troisième âge, avec la danse, le vélo, la gymnastique, la piscine… Une femme moderne, une femme qui faisait attention à elle. Toujours présentable, coquette parfois, même sur son lit d’hôpital.
Intervention d’une de ses nombreuses amies. Nicole est infirmière et s’est occupée d’Huguette. texte chanson “Aimer” (Frédéric François)
Aujourd’hui, une part de chacun d’entre nous accompagne Huguette. Ainsi, la vie reste un peu avec la mort avant de pouvoir revenir vers les vivants. invitation à se lever
Séparation
Avant de nous séparer définitivement de Madame Huguette F, impro avec d’autres mots que d’habitude et annonce que tous ne pourront pas venir
Recueillement
Dr Jivago, Luis Mariano
livre condoléances, etc.
Avant de nous séparer, si vous désirez exprimer votre soutien, votre peine par écrit, un registre de condoléances est à votre disposition.
Cimetière C
inhumation de l’urne
Alain (+ femme et enfants), Mireille, René (+ Florence, Mickaël), Chantal, cousins et amis (vingt personnes)
Aujourd’hui, le temps est bousculé, presque stoppé, comme si Huguette voulait vous retenir encore un peu pour vous dire, pour chuchoter au creux de votre douleur, de poursuivre vos vies… et d’être heureux, comme elle vous l’a enseigné.
La mort est une épreuve pour ceux qui restent. Les épreuves sont nombreuses dans notre existence. Comme la disparition de Danielle il y a six ans. Huguette a été très affectée par la mort de sa sœur. Comme tous les autres, aussi douloureux soit-il, malgré la colère de ne pouvoir rien y faire, de subir en toute impuissance, ce moment de douleur est important et le restera. impro sur l’émotion et les souvenirs qui remplissent notre vie
Une femme telle que votre maman, votre manou, votre sœur, qui a tant donné, tant aimé, qui vous a appris le courage, mérite qu’on vive avec courage à notre tour. L’intensité du deuil, la sincérité de votre amour brisé, ce que vous partagez aujourd’hui, tout cela vous donnera de la force, puis de la joie. impro sur le fait d’honorer ensemble et individuellement sa mémoire
Atteinte de la maladie depuis un an et demi : verdict à l’hôpital St-Antoine en décembre, confirmé par la Pitié-Salpêtrière un mois après. relativement longue impro sur la dignité, etc.
La mort d’Huguette arrive certainement trop tôt. Pourquoi trop tôt ? Parce qu’elle avait encore beaucoup d’amour à donner, à commencer par ses petits-enfants. impro sur les dessins d’Elsa et Anaïs
(aux filles) Mercredi de la semaine dernière, vous avez embrassé votre Manou dans la matinée ; votre maman, Alain, a lâché prise une heure après votre départ dans la soirée. C’est le moment qu’elle a choisi pour se laisser enfin aller, arrêter de souffrir, tranquillement, en toute discrétion.
En toute simplicité, comme Huguette a mené sa vie, nous terminons notre hommage en déposant ses cendres dans la tombe familiale.
Je lis le poème de Lamartine “Le papillon”
« Naître avec le printemps, mourir avec les roses,
Sur l’aile du zéphyr nager dans un ciel pur,
Balancé sur le sein des fleurs à peine écloses,
S’enivrer de parfums, de lumière et d’azur,
Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes,
S’envoler comme un souffle aux voûtes éternelles,
Voilà du papillon le destin enchanté !
Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose,
Et sans se satisfaire, effleurant toute chose,
Retourne enfin au ciel chercher la volupté ! »
impro de remerciements Heureux de vous avoir connus et de vous avoir été utile.
Le jeudi 30, j’avais appelé Paul pour lui dire que ça faisait quinze jours que je n’avais eu aucun convoi ; nous convenons de nous voir en fin d’après-midi. Il m’attendait avec des clients, des amis d’Alain (garagiste, ancien croque-mort, qui m’a aidé à entrer dans la profession). Paul les a baratinés assez brutalement ; il parlait fort sans laisser parler. J’ai glissé quelques remarques en essayant de ne pas contredire ses certitudes. Il m’a demandé, devant les gens, de ne les contacter que lundi. Ce qu’évidemment je n’ai pas fait. Il faut savoir désobéir et prendre des initiatives, nom de dieu ! Que ça reste entre nous : il m’est arrivé de couper une mèche de cheveux sur un défunt pour une femme réellement éplorée, et de lui apporter dans le petit tube qu’elle avait préparé à cet effet.
Après avoir téléphoné samedi au fils pendant au moins une heure, je sue pour écrire l’hommage. Plus de trois heures éparses durant lesquelles je n’arrive pas à me concentrer longtemps. J’avance en réinventant toujours mon propos. Je cherche encore les mots justes et même si je suis relativement satisfait du résultat, j’ai le sentiment de m’approcher seulement de ce que je souhaite.
Crématorium bourré, bonne cérémonie. De l’émotion, de la discipline : tout le monde n’a pas pu aller jusqu’au cercueil, j’ai remercié et déposé des pétales en leur nom. L’enchaînement texte-musique a été fluide. J’ai transpiré en rangeant la vingtaine de gerbes et bouquets en tout genre (avec les numéros sur les cartes). J’ai pris mon temps tout en surveillant la montre et ne dépassant pas la demi-heure.
Remerciement du fils par SMS : « Merci Robert pour cet accompagnement avant-hier. C’était court certes à la cérémonie mais bien, vraiment. Comme ma mère aurait souhaité. Tout comme au cimetière et même à la levée du corps où l’épisode de la télécommande aura redonné le sourire : c’est fort ![1] J’ai croisé Alain hier au soir et avons parlé de toi (en mal bien sûr). En attendant j’espère le plaisir de nous revoir, Robert, en dehors de ce contexte… avec toute ma reconnaissance. Merci encore. Alain » Je lui réponds : « Bonjour Alain, Merci pour vos mercis. L’impression que vous avez eue d’une cérémonie trop courte est due à l’importance numérique de l’assistance. J’en parlerai à Paul : poser la question du nombre pour adapter la durée. On se voit dans quelques mois si ça vous dit encore… Mes amitiés à Gwendoline, Elsa, Anaïs et vous-même. ». Et ce qu’Alain (le garagiste) m’a écrit le lendemain matin : « Bonsoir monsieur Valbon je viens de voir Alain F très très content de la cérémonie et de ton professionnalisme Bon Weekend Cordialement Alain ».
[1] Pas trop pressés après la levée du corps, nous étions allés au bistrot où je les avais beaucoup amusés avec ma télécommande magique pour téléviseurs envahissants.