Septembre 2021, Emmanuel Macron annonce la mise en place d’un dispositif de remboursement des prises en charge psychologiques libérales par l’Assurance Maladie. Aujourd'hui, ce projet de loi est voté par l'Assemblée Nationale. Les psychologues, en majorité en accord avec l’idée du remboursement des psychothérapies, dénoncent les modalités du dispositif, décidées sans concertation avec les représentants de la profession.
Il est essentiel aujourd'hui d'alerter et de protéger les personnes qui auront besoin de faire appel à un psychologue un jour : ce dispositif est inadapté à la réalité des pratiques des psychologues et inadapté aux prises en charge de qualité accompagnant les difficultés et les souffrances des patients.
Pour exemple, débuter un accompagnement psychologique à travers ce dispositif relève d'un parcours du combattant pour les patients. Obligés de se mettre à nus, ils doivent se raconter à différents professionnels (médecins traitants, psychiatre parfois pour avoir "l'autorisation" de poursuivre la psychothérapie débutée), remettant en question la confidentialité, fondamentale, établie entre le patient et le psychologue. Ils doivent également présenter des souffrances répondant à des critères d’inclusion au dispositif (“des symptômes dépressifs et anxieux d’intensité légère ou modérée exclusivement”). Que font alors les personnes présentant d'autres symptômes ou une autre forme de mal-être ?
Ce dispositif prévoit également des séances limitées dans le temps (huit séances remboursées), ne pouvant être reconduites que l'année suivante. Que devient alors le patient, son travail d'introspection, et sa souffrance, entre les deux autorisations de remboursement ?
Ce dispositif, tel qu’il est acté actuellement, vient alourdir une démarche personnelle déjà difficile à mener pour les patients, et mettra à mal cette dernière pour certains, qui pourraient y renoncer et risquer une aggravation de leur souffrance et de leurs symptômes dans le temps.
Le témoignage suivant en est un exemple.
"Je suis psychologue clinicienne, diplômée depuis dix ans, et travaille à ce jour dans un SSR (Service de Soins de suite et de Réadaptation).
Un jour, une infirmière m’interpelle pour me parler de Mme C., entrée il y a environ une semaine dans le service pour une fracture de la hanche, suite à une chute à son domicile. Mme C. a 62 ans. L’infirmière m’explique que cette dernière apparaît agitée et nerveuse en fin de journée, interpellant fréquemment les infirmières de nuit pour finalement “les envoyer balader”. Un peu décontenancées, les soignantes proposent à Mme C. de me rencontrer, ce qu’elle accepte.
Je me présente à elle. Mme C. semble peu à l’aise pour parler d’elle mais revient progressivement sur son parcours de vie, plus en confiance au fur et à mesure de l’entretien. Mme C. est veuve depuis quelques années, en retraite, et présente des difficultés financières l’isolant progressivement de ses activités sociales du passé. Durant nos différents échanges, elle apparaît souvent inquiète de mon éventuel jugement à son égard, parfois défensive, et la peur du regard de l’autre revient fréquemment dans nos échanges.
Lors d’un de nos rendez-vous hebdomadaires, Mme C. évoque une prise importante d’alcool le soir dans son quotidien, depuis quelques mois, afin d’apaiser ses angoisses et de “combattre la solitude”. Mme C., jusque-là, dans la mise à distance de ses émotions, pleure beaucoup. Elle évoque le sentiment de honte la submergeant, le dégoût d’elle-même, la peur quotidienne que quelqu’un puisse le découvrir. Mme C. n’en a parlé à personne jusqu’à ce jour, pas même à son médecin traitant “qui la connaît depuis plus de vingt ans” et qu’elle estime. Médecin traitant qui a connu son mari, ses enfants et qui pourrait “porter un autre regard sur elle s’il savait”...
Il m’a semblé qu’évoquer Mme C. dans ce contexte actuel avait tout son sens, illustrant bien quelques-uns des obstacles, auxquels les patients vont être confrontés, pour espérer bénéficier d’une prise en charge qui soit remboursée. Mme C. est une personne, comme beaucoup d’autres, qui n’a pas été en possibilité d’interpeller son médecin traitant. Face à sa souffrance et son addiction, elle n’a pas pu s’adresser à lui, par peur de son regard, par honte, parce qu’il connaît son entourage familial, parce qu’elle se perçoit faible et “répugnante”. Mme C. n’a effectivement pas les possibilités financières d’être accompagnée par un psychologue libéral à ce jour, mais le dispositif de remboursement de l’Assurance Maladie tel qu’il est pensé aujourd’hui ne lui permettrait pas non plus d’y accéder.
Car se raconter, se dévoiler, est difficile et il est inconcevable pour Mme C. de le faire auprès de son médecin traitant, tant apprécié. La première étape de ce dispositif - véritable parcours du combattant - constitue déjà une barrière infranchissable pour que Mme C. puisse accéder à l’aide dont elle a besoin.”
Ce témoignage met en lumière l'incohérence du dispositif de remboursement, proposé actuellement, avec la réalité du terrain.
Il est essentiel qu'un patient poursuive son droit d'avoir un accès libre et direct auprès du psychologue qu'il aura choisi, et avec un remboursement adapté et décent pour les professionnels.
Les psychologues dénoncent aujourd’hui une mise sous tutelle médicale, entraînant une obligation de dévoiler au médecin prescripteur les avancées du patient dans le cadre de sa psychothérapie, les forçant à bousculer le code de déontologie, au cœur de leur pratique.
La souffrance psychique n'est plus à démontrer. Elle doit être prise en compte et accompagnée dignement.
Le Collectif PsychologuesCitoyens