Septembre 2021, Emmanuel Macron annonce la mise en place d’un dispositif de remboursement des prises en charge psychologiques libérales par l’Assurance Maladie. Aujourd'hui, ce projet de loi est adopté par l'Assemblée Nationale. Les psychologues, en majorité en accord avec l’idée de remboursement des psychothérapies, dénoncent les modalités du dispositif, décidées sans concertation avec les représentants de la profession.
Il est essentiel aujourd'hui d'alerter et de protéger les personnes qui auront besoin de faire appel à un psychologue un jour : ce dispositif est, à ce jour, inadapté à la réalité des pratiques des psychologues et inadapté aux prises en charge de qualité accompagnant les difficultés et les souffrances des patients. Dans le détail, ce dispositif impose, au vu des tarifs de remboursements proposés, des temps de consultation limités aux psychologues ; temps de consultation apparaissant en décalage avec un travail psychothérapeutique de qualité. Parler de soi et mettre des mots sur ses ressentis, sur son parcours de vie, sur ses émotions demandent du temps. Les silences, essentiels lors d'un échange, demandent du temps. Créer un lien de confiance, une alliance thérapeutique demande du temps. Accompagner la mise en mots d'un événement traumatique demande du temps également.
Le temps d'une séance est un outil de travail important et réfléchi pour les psychologues. Par leur formation et leur expérience, ils sont en mesure de déterminer à quel moment mettre fin à l'entretien, sans mettre à mal la personne accompagnée, dans ses émotions et dans sa dimension psychique et humaine.
Le témoignage suivant illustre nos propos :
"Je suis psychologue clinicienne, diplômée depuis dix ans, et travaille à ce jour dans un SSR (Service de Soins de suite et de Réadaptation).
Il y a quelques semaines, je rencontre une jeune femme de 23 ans, en situation d’obésité, ayant eu recours à une chirurgie bariatrique. Lors de notre première rencontre, Mme B. se présente dans une anxiété majeure, exprimant, dans un discours passant du coq-à-l’âne, ses angoisses concernant son intervention. Mme B. apparaît dans un besoin de réassurance et décrit progressivement son parcours de vie : des agressions sexuelles subies dans l’enfance, une automutilation pendant de nombreuses années, une dépression sévère, une addiction aux anxiolytiques contre laquelle elle lutte,... Elle décrit une souffrance intense et un combat épuisant, années après années, pour tenter de s’en sortir. La décharge verbale et émotionnelle que lui permet l’entretien l’apaise un peu mais elle a besoin de vérifier que je suis à même de contenir ses angoisses, ainsi que d’entendre et d’accompagner ses souffrances.
Lors de notre troisième entretien, elle apparaît souriante, me disant qu’il s’est passé quelque chose d’important pour elle, lors de sa permission de sortie ce week-end. Je lui demande si elle veut m’en parler, ce qu’elle accepte. Elle commence une verbalisation floue, sur son passé, sur sa dimension familiale et souhaite finalement me montrer d'anciennes photos d’elle. Je questionne intérieurement son geste, ses attentes, et finit par l’interroger sur ces images. Mme B. fronce les sourcils, semble gênée par mon intervention, coupée dans ses pensées. Elle bafouille. Je garde le silence et la laisse se replonger dans le déroulement de ses idées. Mme B. reprend son discours et parle, parle, parle. Je l’écoute, je n’interviens plus, je l’accompagne du regard. Mme B. a besoin de revenir sur les aspects les plus sombres de sa vie, sur ses souvenirs les plus honteux pour finalement me dire que tout ça est derrière elle maintenant ! Qu’elle a pu ce week-end jeter ses réserves d’anxiolytiques (cachées si le manque s’avérait trop présent). Ce jour, Mme B. verbalise qu’elle est fière d’elle.
Lors de cet entretien, il aura fallu trente-cinq minutes à Mme B. pour verbaliser librement et dérouler sa pensée, sans intervention de ma part. Trente-cinq minutes d’introspection qu’elle a pu mener dans un cadre sécurisant et bienveillant.
Ces trente-cinq minutes se sont inscrites dans un entretien total d’une heure, qui a permis un accueil de sa verbalisation et un retour de ma part, un temps d’échange autour de ses ressentis et une clôture de l’entretien.
Une heure qui aujourd’hui, à l’heure où le temps d’un entretien psychologique est discuté et imposé par des décideurs extérieurs à la profession, est d’une importance majeure dans l’évolution de cette jeune femme, et qu’il était inconcevable de couper, de réduire, sans fragiliser l'alliance thérapeutique en construction.
Les psychologues, aux côtés de patients en souffrance, sont les premiers à pouvoir déterminer du besoin de leur patient et de la temporalité adaptée aux temps d’échange."
La réalité est tout autre à l’heure où, dans les institutions et dans les cabinets libéraux, la durée des entretiens psychologiques est discutée sans cesse, doit être justifiée, expliquée - car aux vues des temps de travail partiels et du nombre de patients nécessitant, et étant en demande, d'un accompagnement psychologique - les gouvernements demandent aux psychologues d’être rentables. A ce jour, il est demandé aux psychologues libéraux d’accorder vingt à trente minutes par patient au vue des tarifs de remboursement proposés par l'Assurance Maladie, au détriment de la qualité de l’accompagnement psychologique proposé aux patients en souffrance.
Le temps proposé à chaque patient est une nécessité, un outil de travail majeur, pour engager une psychothérapie. Parler de soi prend du temps. Se confronter à ses émotions, ses conflits, ses résistances également. Accorder du temps aux patients favorise leur confiance dans le travail psychothérapeutique, leur revalorisation au plan narcissique et le renforcement de leur estime de soi. Accorder du temps dans un quotidien dans lequel tout va vite permet un arrêt sur image, un temps pour s’interroger et réfléchir sur soi, un temps pour remettre ses besoins au centre de son quotidien. Un temps pour exister, tout simplement.
Nous, les psychologues, souhaitons être entendus et décideurs pour notre profession, s’appuyant sur notre expérience et notre expertise de la santé psychique. Laissez-nous le temps d'accompagner correctement et dignement. Laissez-nous le temps d'exercer notre profession, si passionnante. Laissez-nous le temps d'aider, tout simplement.
Le Collectif PsychologuesCitoyens