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Billet de blog 29 octobre 2021

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Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République

Lors de la clôture des Assises de la Santé Mentale, Le Président de la République a tenu un discours concernant le « remboursement » des séances chez le psychologue en libéral pour toute la population à partir de l’âge de 3 ans. Cette lettre ouverte est un signal d’alerte et un appel « à réajuster au plus vite la trajectoire qui est en train d’être prise ».

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Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République, Monsieur Emmanuel Macron.

Le Mardi 26 octobre 2021.

Monsieur Le Président de la République,

Le 28 septembre dernier, lors de la clôture des Assises de la Psychiatrie et de la Santé Mentale, vous avez tenu un discours concernant les dispositifs de prise en charge psychologique et le « remboursement » des séances chez le psychologue libéral pour toute la population à partir de l’âge de 3 ans.

Vous avez exprimé ceci : « J’ai vu comme vous que toute la profession des psychologues n’était pas totalement ravie de ce sujet. »

Vous avez ajouté « [qu’] il y a une forme de paradoxe à considérer qu’accédant à une demande historique qui est de rembourser les psychologues, cela suscite des protestations ».

La vérité, Monsieur le Président, est qu’il y a une forme de paradoxe à considérer qu’en voulant améliorer la santé psychique des Français, votre gouvernement décide de les déshumaniser, en les réduisant à des symptômes et en mettant leur singularité sous contrôle, de les orienter dans des parcours de soins inappropriés à une prise en charge de qualité, de leur faire croire qu’une psychothérapie peut se réaliser en 8 séances (soit plus précisément en 5h au total par an), de les abandonner ensuite face à leur souffrance, une fois ces 8 séances terminées. 

Il y a une forme de paradoxe à leur demander d’attendre l’année suivante pour être considérés dans leur mal être, ou - au mieux du pire - d’être orientés dans des centres, que vous aurez fini par rendre stigmatisants pour les personnes qui devront y recourir, n’ayant pas réussi, selon les critères aberrants que vous exigez, à « guérir de leurs symptômes » en un temps record ; centres qui seront bien évidemment toujours tout autant engorgés, puisque vous vouez à l’échec les prises en charge psychothérapeutiques qui seront effectuées en libéral par les modalités que vous voulez imposer.

La vérité, Monsieur le Président, est qu’il y a une forme de paradoxe à considérer qu’accédant à une demande, que vous qualifiez d’historique, qui est de rembourser les psychologues, votre gouvernement ne puisse pas proposer une prise en charge qui aide financièrement les personnes les plus démunies, sans avoir à démunir ni à précariser ceux qui les accompagneront dans leurs souffrances et leurs précarités. 

Les psychologues libéraux n’ont pas à pallier votre refus, non assumé, d’améliorer les conditions  de travail des psychologues de la fonction publique, dans les structures qui proposent déjà une prise en charge d’accès libre et gratuit aux personnes souhaitant y recourir (hôpitaux, centres médico-psychologiques et associés, éducation nationale…).

Ce n’est pas la création de 800 postes, toutes professions confondues sur la totalité du territoire, et avec les modalités non-qualitatives que vous proposez, qui amélioreront la situation dans laquelle nous nous trouvons tous.

Les patients auxquels vous souhaitez faire bénéficier d’une prise en charge gratuite de qualité ne pourront y prétendre qu’à partir du moment où vous augmenterez véritablement les ressources des structures déjà existantes, tant en termes de moyens et d’effectifs à temps plein que par une reconnaissance salariale digne de ce nom, et que vous développerez l’offre de soins par la création de nouvelles structures respectueuses du psychisme des patients comme de leurs salariés. 

Recruter des psychologues libéraux ou créer des maisons de santé dans lesquelles vous allez imposer aux psychologues une pensée unique et une manière de bricoler une pseudo-thérapie, indépendamment de leur expertise qualifiée et de la manière éthique et déontologique de considérer la psyché humaine, est inacceptable.

La co-constuction du travail psychothérapeutique avec chaque patient n’a pas à dépendre de protocoles ou de dispositifs génériques qui seraient applicables à tous. Ceci est une négation de la spécificité et de la singularité de chaque patient. Nos cadres de travail et nos approches psychothérapeutiques sont souples et adaptables à chacun, selon les fondements et les courants de la psychologie à partir desquels chaque psychologue choisit d’orienter sa pratique. Cette pluralité des approches psychothérapeutiques est indispensable car elle est tout simplement le reflet de la richesse, de la complexité et de la singularité de la psyché humaine, permettant à chacun de se retrouver dans une démarche psychothérapeutique qui lui corresponde et lui permette d’effectuer ce travail de manière qualitative.

Cela étant, travailler plus encore en collaboration avec les mutuelles, et prendre en considération qu’une contribution très symbolique de la part des patients est aussi une condition du travail psychothérapeutique, constituent des axes de réflexion que vous auriez tout intérêt à investiguer avec sérieux.

La vérité, Monsieur le Président, est qu’il y a une forme de paradoxe, à considérer que voulant améliorer l’accès à un système de soins, votre gouvernement choisisse de mettre en place des mesures qui retirent aux Français l’accès libre et direct aux psychologues, qui se trouvent ainsi mis sous tutelle des médecins via une prescription médicale.

La vérité, Monsieur le Président, est qu’il y a une forme de paradoxe à considérer que voulant réduire les coûts de l’Assurance Maladie, le gouvernement impose un coût supplémentaire et inutile de « remboursement » de consultation auprès de médecins pour accéder à un psychologue. 

Par ailleurs, ne trouvez-vous pas qu’il y ait une forme de paradoxe à imposer une prescription médicale pour accéder au dit « remboursement » des psychologues et à soustraire aux patients l’accès libre et direct que nous revendiquons afin de faciliter les démarches, de limiter le temps d’attente et de faire gagner du temps aux patients comme aux médecins, quand des projets d’expérimentations vont viser à évaluer l’accès libre et direct à d'autres professions actuellement accessibles par prescription, tels les kinésithérapeutes (PLFSS 2022) ? Et ce, alors même que vous avez exprimé, dans votre discours, vous trouver en difficulté pour « expliquer à des médecins que nous irions rembourser des consultations de psychologues au titre de l’assurance maladie si elles n’étaient pas préconisées par un médecin et dans le cadre d’un parcours de soins. » !

La vérité, Monsieur le Président, est qu’il y a une forme de paradoxe à vouloir réduire les coûts en gaspillant de l’argent public dans des expérimentations alors que les professionnels concernés en pointent par avance les lacunes et les écueils, et que vous continuiez à ne pas entendre notre expertise et notre réflexion sur ces sujets ; tout comme vous ne tenez pas compte des retours d’expériences de certains psychologues qui ont déjà participé à vos dispositifs expérimentaux et qui en dénoncent les effets. Quid également des retours des expérimentations de nos collègues belges et britanniques qui alertent et vont dans le même sens que nous ?

Il y a ainsi une forme de paradoxe à vouloir améliorer la santé psychique de tous et à rester dans une obstination déraisonnable quand les professionnels concernés vous alertent sur les risques de telles mesures et de tels remaniements, à savoir l’instrumentalisation des psychothérapies à des fins de formatage et de conditionnement du sujet humain ainsi que la psychiatrisation et la création de nouvelles psychopathologies.

La vérité, Monsieur le Président, est qu’il a une forme de paradoxe à vouloir calquer un modèle médical sur un modèle qui n’est pas médical et qui relève des sciences HUMAINES. 

Il y a effectivement une forme de paradoxe à vouloir faire de la psychologie une approche médicale ou para-médicale. La psychologie n’est pas la médecine et la médecine n’est pas la psychologie. La psyché n’est pas le cerveau et elle n’est pas « neuro-développementale ».

Il y a donc une forme de paradoxe à vouloir imposer une pensée, une logique et un raisonnement propres à la médecine, parler « cerveau » et « neuro-développement » alors que les approches de la médecine et des neurosciences ne sont en aucun cas similaires à la pensée, à la logique et au raisonnement de la psychologie et de la métapsychologie. Ces disciplines sont complémentaires et font la richesse du travail de collaboration déjà à l’oeuvre dans nos pratiques, sans que le gouvernement n’ait besoin d’y faire ingérence.

La vérité, Monsieur le Président, est qu’il y a une forme de paradoxe à vouloir améliorer un système de santé en répliquant des mesures, dont celle de la tarification à l’acte, qui ont déjà causé la perte et le démantèlement de tout notre système de santé publique dans nos hôpitaux. 

Alors que la gestion hospitalière de la crise du COVID n’a fait que confirmer les dégâts causés par de telles mesures, vous persistez et signez sur des mesures qui ne feront que répliquer les catastrophes déjà connues et observées… à moins qu’ici aussi il ne vous faille créer de nouveaux dispositifs d’expérimentations pour le prouver !

La seule chose paradoxale qu’il y ait, Monsieur le Président, ce sont les solutions que vous nous proposez et que vous proposez à nos concitoyens. 

A partir de l’instant où vous parviendrez à comprendre que ce que vous considérez être un paradoxe ne fait que vous révéler la complexité de la réalité à laquelle vous ne vous étiez pas préparé, vous devriez pouvoir mieux entendre nos protestations.

A l’heure où vous dites accéder à une demande que vous qualifiez d’historique, il serait grave et irresponsable, Monsieur le Président, que vous y répondiez de la façon dont vous vous apprêtez  à le faire, puisque vous l’aurez compris, il ne s’agit pas seulement ici de répondre à une demande mais bien de considérer la manière avec laquelle vous y répondez. 

Monsieur le Président, pour nous, « le soin est un humanisme » et « […] le premier geste politique, il nous permet d’habiter le monde » (C. Fleury). Vous comprendrez donc que nous ne pouvons que déplorer que vous fassiez d’un geste politique une entrave au Soin, et que nous ne pouvons que fortement nous opposer à vos réformes.

Comptant sur votre réactivité pour réajuster au plus vite la trajectoire qui est en train d’être prise, veuillez recevoir, Monsieur le Président de la République, nos salutations les plus respectueuses.

Pour le Collectif PsychologuesCitoyens :

  • Adele TRIBOLET, Psychologue clinicienne dans le secteur public et dans le secteur privé.
  • Florence DRONIOU, Psychologue en Mission Locale et en Service d’Aide par le Travail.
  • Géraldine PIERRON-ROBINET, Docteur en Psychologie, Psychologue clinicienne en établissements hospitaliers et en activité libérale.
  • José PRESAS RODRIGUEZ, Psychologue, Psychothérapeute, Expert près la Cour d’Appel de  Lyon, Exercice en libéral.
  • Leila El ASRI, Psychologue clinicienne dans le secteur privé à but non lucratif et en activité libérale.
  • Lucille WICKER, Psychologue clinicienne dans le secteur public et dans le secteur privé.
  • Ludivine BISSLER,  Docteur en Psychologie, Psychologue clinicienne en activité libérale.
  • Ludivine MASSON-VIELLARD, Psychologue clinicienne en association privée et en IME de Haute Côte-D’Or.
  • Mathilde FUCHET, Psychologue clinicienne, FPH.
  • Raphaël LEICHNER, Psychologue clinicien, Psychothérapeute, Fonctionnaire titulaire FPH.
  • Sandra RAYER, Psychologue clinicienne dans le secteur privé et en activité libérale.
  • Sarah DUFRESNE, Psychologue clinicienne en ESAT, Foyer de vie et en activité libérale.

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