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Billet de blog 14 novembre 2022

Ordre des médecins : une justice d'exception

Pourquoi nous opposons nous à l’ordre des médecins ? Nous sommes 5 médecins membres du Syndicat de la Médecine Générale à passer en procès à Nantes pour refus de paiement de cotisation à l’ordre des médecins. Voici les raisons de notre refus de cotiser à une institution dont l’action va globalement à l'encontre de la santé publique et des droits des habitant·es.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ordre des médecins : une justice d'exception

Une justice qui protège des médecins agresseurs et condamne des médecins lanceuses d’alerte

A quoi sert la justice ordinale ?

Ce système partial qui couvre certain délit, qui se mobilise avec lenteur parfois bien après la justice ordinaire et qui va même parfois à l’encontre de certaine décision de la justice ordinaire ?

Et en parallèle  système qui blâme, radie les médecins qui alertent sur des situations d’agression sexuelle ?

En 2019 la Cour des comptes (1) affirmait que :

 « Nombreux sont les cas de médecins ayant fait l’objet de doléances, de signalements ou de plaintes, ou condamnés au pénal, ou encore placés sous contrôle judiciaire pour des faits en lien avec leur exercice, que ni le conseil départemental de l’ordre ni le conseil national n’ont poursuivis devant la juridiction disciplinaire. »

Avec en particulier une gestion catastrophique des plaintes à caractères sexuelles :

 « Au cours des dernières années, plusieurs affaires médiatisées relatives à des viols et agressions sexuelles sur patients ayant conduit à la condamnation pénale de médecins, n’ont pas été traitées, sur le plan ordinal, avec la rigueur nécessaire. »

 « Les poursuites et sanctions disciplinaires interviennent souvent bien après des sanctions pénales. »

Quelques illustrations sordides de prédateurs sexuels :

L’affaire HAZOUT (1)(2)(3), le conseil de l’ordre de Paris à couvert pendant 25 ans les agissements d’un gynécologue et l’a radié 1 an après que le conseil de l’ordre soit lui même sanctionné par la justice ordinaire.

En octobre 2012, condamnation du conseil de l’ordre de Paris, par la cour d’appel, pour avoir couvert les agissements d’un gynécologue pendant plus de 20 ans, considérant que son "inertie fautive avait fait perdre toute chance aux patientes d'échapper aux agressions sexuelles du docteur A.H »

Première plainte en 1988, suivie d’autres en 1990, 1995 et 2004, traitée pour la 1ere fois en 2006. Sa radiation n’a été prononcée qu’en 2013.

(à noter que dans cette situation un élu ordinal en charge de cette affaire était également poursuivi pour des plaintes à caractères sexuels)

En 2014, après une longue procédure, il a été condamné à 8 ans de prison par la justice ordinaire.

Dans le Centre de la France la justice ordinale est intervenue 16 ans après la justice ordinaire, après une récidive d’agression sexuelle. Début 2000, interdiction d’exercice pour 6 mois pour un médecin généraliste du Centre de la France par le tribunal correctionnel pour agression sexuelle. Le conseil de l’ordre n’a décidé de poursuivre au disciplinaire qu’en mai 2016, après avoir été informé d’une récidive en 2015.

A Cayenne, la justice ordinale s’est saisie d’une affaire d’agression sexuelle sur mineure 3 ans après la justice ordinaire.

2014, condamnation d’un médecin par le tribunal correctionnel de Cayenne pour des faits d’agression sexuelle sur mineur par personne ayant autorité, le conseil national s’est saisi de l’affaire 3 ans plus tard.

A la Réunion (1)(4), il aura fallu trois ans à l’ordre des médecins pour étudier la compatibilité entre l’exercice et la possession d’images à caractères pédopornographiques. Condamné par la justice ordinaire, le généraliste n’a reçu qu’un blâme par le conseil de l’ordre et a continué d’exercer pendant 3 ans ; jusqu’à une nouvelle plainte qui a conduit à sa radiation. 

En parallèle, en soutien au pédocriminel, le conseil de l’ordre à porter plainte pour « non confraternité » contre les médecins qui l’avaient alerté de cette situation. 

En 10/2010, à la Réunion, un médecin a été condamné à 6 mois de prison avec sursis, 2 ans de mis à l’épreuve par le tribunal correctionnel pour consultation d’image pédopornographique. En 09/2013 le conseil départemental l’a condamné à un blâme, tout en continuant à lui apporter son soutien et en portant plainte pour « non confraternité » contre les médecins qui avaient alerté le conseil de l’ordre. En 03/2015 le conseil national et le Procureur de la République ont alourdie la sanction à 6 mois d’interdiction d’exercer dont 4 avec sursis. Nouvelle plainte en 2016 entraînant une radiation définitive

A la Réunion (1), le conseil de l’ordre a autorisé l’exercice d’un médecin en dépit d’un jugement le condamnant pour agression sexuelle à une interdiction temporaire d’exercer.

En 2005, condamnation au tribunal correctionnel de Mayotte à 2 ans de prison avec sursis assortis d’une interdiction temporaire d’exercer de 3 ans pour agression sexuelle par personne abusant de son autorité. En 10/2006, le conseil départemental de Mayotte lui refuse l’inscription au tableau. En 12/2006, le conseil départemental de la Réunion lui accorde et autorise donc le médecin à exercer en dépit d’un jugement. Suite à une récidive il a été radié définitivement en 03/2015

L’affaire le SCOUARNEC (3)(5), en 2020 procès d’un chirurgien pédocriminel : 312 personnes victimes sont enregistrées, dont 265 ont moins de 15 ans, pour des agressions sexuelles ou viols survenus entre 1986 et 2014. 

Condamné une première fois en 2005 par le Tribunal Correctionnel pour détention d’images pédopornographiques. A l’époque « Au niveau de l’Ordre, il n’y a pas eu de sanction disciplinaire ».

Il a été condamné, en 12/2020, pour le 1er volet de cette affaire (4 victimes), à 15 ans de réclusion criminelle (il a fait appel)

Affaire SOUBIRAN (3)(6), en cours d’instruction pour “viols sur mineurs” à l'encontre de l'ancien président du conseil départemental de Polynésie Française. 

En parallèle de ces affaires sordides, l’ordre des médecins a condamné plusieurs médecins « lanceuses.rs d’alerte » sur des situations de maltraitance, d’agression sexuelle ; pour « faux certificats », « non confraternité », « immixtion dans les affaires de famille » :

En 1998, le docteur Catherine BONNET (7), pédopsychiatre a été condamnée à 9 ans d’interdiction d’exercer par l’ordre des médecins pour rédaction de faux certificats pour enfants maltraités. Depuis, après un parcours personnel et professionnel difficile, elle a été réhabilitée par l’ordre des médecins et est reconnue par de nombreuses institutions nationales et internationales. 

Elle milite depuis des années pour l’obligation de signalement(8) ; l’ordre des médecins n’y est « pas favorable »(9) malgré les préconisations du rapport récent de la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (Ciivise) (10).

En 2021, en Occitanie, le docteur Eugénie IZARD (11)(12), pédopsychiatre a été interdite d’exercer par le conseil national de l’ordre après avoir dénoncé des maltraitances sur une fillette. Le Conseil d'État a suspendu cette interdiction en jugeant que : « la décision de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins est entachée d’inexacte qualification juridique des faits ».

Une autre pédopsychiatre, le docteur Françoise FERICELLI (12)(13) a été condamnée par l'ordre des médecins pour "immixtion dans les affaires de famille" ; après avoir fait un signalement pour maltraitance sexuelle. Le frère de 10 ans, du patient qu’elle suivait, s’est suicidé après avoir subit les même sévices que son frère.

A noter que le jeudi 24 novembre 2022, ces deux pédopsychiatres, Eugénie IZARD et Françoise FERICELLI, sont convoquées devant la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins, à cause de leurs signalements de suspicion de maltraitances à enfants. (14)

A quoi sert le conseil de l’ordre ???

A protéger les médecins ou a garantir la qualité des soins pour la population ?

Pourquoi les médecins, par rapport aux autres professions ont-ils besoin d’une instance pour défendre leurs pratiques ? Serait-ce parce que certaines seraient indéfendables devant la justice ordinaire ? 

Ne peuvent ils pas comme tous les citoyens français avoir recours à la justice ordinaire et aux moyens pour se défendre ?

Ont ils un statut particulier qui fait qu’ils ne peuvent pas se payer l’aide d’un avocat et/ou des syndicats ?

Quel est cet ordre qui préfère protéger les prédateurs sexuels en s’appuyant sur des notions déontologiques d’un autre temps que sont, entre autres, « la confraternité » et « l’image d’une profession »… plutôt que nos valeurs républicaines et solidaires d’assistance à personne en danger et de dénonciation de malversation ?

Ces différents éléments prouvent l'inutilité de l'ordre puisqu'il se montre incapable de réaliser les missions qui lui sont confiées (voire qu'il s'est arrogées lui-même), et qu'il existe déjà des institutions (ou des organismes publics) pouvant les assurer, sous réserve de leur donner les moyens humains et financiers à la hauteur. Nous insistons sur le fait que l’ordre des médecins protège des professionnel·le·s de santé corrompu·e·s et maltraitant·e·s, tout en maltraitant des usager·e·s du système de soin et des professionnel·le·s qui tentent de respecter leur éthique professionnelle. Les personnes qui ont à se plaindre de médecins ont donc tout intérêt à se tourner vers la justice de droit commun et non vers cette justice d’exception qu'agite l'ordre des médecins.

Nous demandons donc la dissolution immédiate de l’ordre des médecins. (15)

Par cette opposition à l’ordre, nous ne réclamons pas une dérégulation complète de l’exercice médical, ce qui serait préjudiciable à la santé publique. Nous demandons en revanche un contrôle plus démocratique et plus juste du pouvoir médical. Il existe déjà des institutions et organismes publics pouvant assurer ces missions, sous réserve de leur donner les moyens humains et financiers à la hauteur, comme :

- le Comité Consultatif National d’Éthique, les associations de patient.e.s et de professionnel.le.s et les syndicats pour l’élaboration à plusieurs voix du code de déontologie

- et bien sûr la justice commune avec ses valeurs républicaines et solidaires (assistance à personne en danger tout en préservant la présomption d’innocence) avec des juges professionnel.le.s qui peuvent s’appuyer sur des avis d’expert.e.s, pour un suivi, sans conflit d’intérêt, de plaintes contre les professionnel.le.s

L’argent des cotisations ordinales (79 millions d’€ encaissées en 2019₎ pourrait être ré-orienté à bonne escient vers ces institutions.

1) Rapport de la Cour des comptes sur  L’ordre des médecins - décembre 2019

https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lordre-des-medecins

dont Le traitement des plaintes pour des faits à caractère sexuel (p105-108)

https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-12/20191209-rapport-Ordre-des-medecins.pdf

2) Procès Hazout : le conseil de l'ordre des médecins présente ses "excuses" aux plaignantes ; le Monde 02/2014

"désastre déontologique" Pf FRYDMAN

« le 29 octobre 2012, la cour administrative d'appel avait condamné le conseil départemental de l'ordre en considérant que son "inertie fautive avait fait perdre toute chance aux patientes d'échapper aux agressions sexuelles du docteur André Hazout". »

https://www.lemonde.fr/justice/article/2014/02/18/proces-hazout-le-conseil-de-l-ordre-des-medecins-presente-ses-excuses-aux-plaignantes_6002293_1653604.html 

3) MIOP Mouvement d’Insoumission aux Ordres Professionnels

https://miop-sante.fr/ 

4) Le sort du médecin possesseur d’images pédopornographique devant le conseil de l’ordre ; France TV info / la Réunion / 09/2013

https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/2013/09/12/le-sort-du-medecin-possesseur-d-images-pedopornographique-devant-le-conseil-de-l-ordre-69229.html 

5) Pédophile assumé, comment le chirurgien Joël Le Scouarnec a-t-il pu passer sous les radars pendant trente ans ? ; France info :

https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/affaire-le-scouarnec/pedophile-assume-comment-le-chirurgien-joel-le-scouarnec-a-t-il-pu-passer-sous-les-radars-pendant-trente-ans_3863427.html

6) Nouvelles révélations sur l'affaire Soubiran ; Tahiti info 04/2021

https://www.tahiti-infos.com/%E2%80%8BNouvelles-revelations-sur-l-affaire-Soubiran_a200084.html

7) La Légion d'honneur au Dr Catherine Bonnet ; le quotidien du médecin ; 01/2001

https://www.lequotidiendumedecin.fr/archives/la-legion-dhonneur-au-dr-catherine-bonnet

8) Obliger à signaler : 20 bonnes raisons ; Pratiques, 10/2016

https://pratiques.fr/Obliger-a-signaler-20-bonnes-raisons

9)Inceste : l’ordre des médecins n’est « pas favorable » à une « obligation de signalement » des médecins ; le Monde 03/2022

https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/03/31/inceste-l-ordre-des-medecins-n-est-pas-favorable-a-une-obligation-de-signalement-des-medecins_6120027_3224.html 

10) Rapport de la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (Ciivise).

Conclusions intermédiaires mars 2022: P 35 à 39 : 

https://www.ciivise.fr/wp-content/uploads/2022/03/CCl-inter_2803_compressed.pdf 

11) Le Conseil d'État suspend l'interdiction d'exercer d'une pédopsychiatre ayant dénoncé des maltraitances sur une enfant ; France tv info 04/2021 

https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/le-conseil-d-etat-suspend-l-interdiction-d-exercer-d-une-pedopsychiatre-ayant-denonce-des-maltraitances-sur-une-enfant-2070940.html 

12) Enfants maltraités : les pédopsys sous pression ; podcast Radio France/France culture/les pieds sur la terre :

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-pieds-sur-terre/enfants-maltraites-les-pedopsys-sous-pression-1097593

13) Une pédopsychiatre condamnée par l'Ordre des médecins après avoir fait un signalement ; France TV info 04/2022

https://www.francetvinfo.fr/societe/video-une-pedopsychiatre-condamnee-par-l-ordre-des-medecins-apres-avoir-fait-un-signalement_5070262.html 

14) communiqué de presse du collectif MEDECINS STOP VIOLENCES

https://www.stopviolencesmedecins.com/_files/ugd/6b1b7b_5317a65abcc04c4b897667dc2c879110.pdf

15) Pétition « Dissolution de l’ordre des médecins » :

https://www.change.org/p/emmanuel-macron-dissolution-de-l-ordre-des-m%C3%A9decins

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