On a avec raison beaucoup insisté sur les violations à la liberté d’expression, à la liberté d’association et à la liberté de manifester contenues dans la loi 78. Mais une limitation extrême à la liberté d’association est passée sous silence, et c’est un peu comme si elle devait désormais être concédée, depuis qu’un juge de la Cour supérieure a choisi d’adopter une interprétation étroitement juridique du mot « grève ». La suspension des cours et l'établissement d'un calendrier pour une reprise en août et septembre peuvent à première vue paraître comme des mesures modérées et raisonnables, mais elles cachent en fait un déni de la démocratie étudiante.
Il est affirmé à l’article 3 que «tout établissement, ses dirigeants et ses représentants doivent prendre les moyens appropriés pour que soient dispensés, ou continuent de l’être, les services d’enseignement à l’ensemble des étudiants qui y ont droit. Cette obligation vaut à l’égard des cours visés au premier alinéa de l’article 2 ». En l’occurrence, il s’agit des cours ayant été interrompus au cours des sessions d’hiver ou d’été et qui l’étaient toujours au moment de l’entrée en vigueur de la loi. Ces directives semblent s’appliquer autant pour les universités que pour les collèges. Ce faisant, le Gouvernement consacre la validité des injonctions autorisées par le juge Rolland. Il met un terme au droit de grève des étudiants.
Dans les collèges
La chose est on ne peut plus claire dans les collèges. Le gouvernement suspend tout d’abord les cours de la session d’hiver jusqu’à la fin du mois d’août. (article 2) Les injonctions en vigueur ne valent donc plus. Mais il impose du même coup un retour en classe à la fin du mois d’août, que la grève perdure ou non. Les directions des collèges doivent envoyer au MELS leur plan de reprise des cours au plus tard le 1er juin. (article 4) Les étudiants des collèges ont jusqu’au 15 juin pour décider s’ils poursuivront ou non leurs cours, mais les cours se donneront quand même, y compris dans les unités affectées par la grève. (article 5)
Les étudiants ont le droit de continuer à «boycotter» leurs cours, mais ils ne pourront pas compléter leur session plus tard. On comprend, en effet, que les cours donnés en août et en septembre ne seront pas repris plus tard pour les étudiants qui voteraient à la rentrée pour la poursuite de la grève.
La loi 78 équivaut donc à une vaste injonction. Pour ne pas encombrer le juge Rolland, le Gouvernement a décidé de prendre sur lui la tâche d’imposer à tous les étudiants du collégial la même médecine, sans tenir compte des décisions majoritaires prises dans les assemblées étudiantes.
Dans les universités
La situation est moins claire au niveau universitaire où les cours reprennent à la date fixée par l’établissement. Il semble donc à première vue qu’il y ait une plus grande marge de manœuvre dans les universités. Par exemple, en dépit de l’article 3 qui prescrit à tout établissement de prendre les moyens nécessaires pour que tous les cours interrompus soient repris, l’Université de Montréal a apporté des précisions qui pourraient laisser croire qu’elle ne reprendra pas les cours interrompus dans les unités où les associations d’étudiants se prononcent pour la grève. Dans un communiqué émis le 17 mai dernier, la direction affirmait que «les cours qui ne pourront pas être complétés d'ici le 22 juin seront suspendus sans être annulés et, advenant qu'un retour en classe soit voté par ces associations au cours de l'été, ils [les étudiants] bénéficieront d'une période de rattrapage allant du 27 août au 28 septembre 2012.» (Je souligne) Ici, il semble que les cours suspendus ne seront repris en août et septembre que si les étudiants décident majoritairement d’interrompre la grève. La direction de l’Université n’a pas modifié ce mot d’ordre par la suite.
Toutefois, en plus de l’article 3, la loi 78 stipule à l’article 7 que l’université doit «prendre toute mesure générale de son ressort visant à ne pas pénaliser, au regard de leur admission à l’université pour la session d’automne de l’année 2012 ou d’hiver de l’année 2013 les étudiants ayant fréquenté un établissement dont la session d’hiver de l’année 2012 a été interrompue ou suspendue». En clair, les étudiants qui auraient repris et terminé leurs cours au mois de septembre 2012 et qui voudraient s’inscrire à l’université à l’automne devraient pouvoir le faire. Cela contraint fortement les directions universitaires à imposer la reprise des cours, et ce même dans les unités où la grève serait toujours en vigueur.
Notre Gouvernement
Il semble donc que le Gouvernement ait choisi de faire fi de la démocratie étudiante et de leur nier le droit de grève. Ceux-ci n’ont que le droit de «boycotter» leurs cours. Ce n’est plus seulement la position du juge Rolland. C’est maintenant la position du Gouvernement.
Il y a quelque chose de paradoxal dans la loi 78. Celle-ci traite les représentants des associations étudiantes comme des chefs syndicaux et leur impute la responsabilité pour les gestes posés par leurs membres, mais elle ne leur reconnait pas le droit de grève. Les associations étudiantes ont beaucoup d’obligations mais pas beaucoup de droits. En leur niant le droit de grève, le gouvernement commet un outrage à la démocratie étudiante.
On peut certes évoquer les violations nombreuses des droits et libertés contenues dans la loi 78. Mais son plus grand tort juridique est d’interpréter de façon étroite la notion de grève pour la restreindre à son emploi dans le code du travail. Ce faisant, notre Gouvernement judiciarise un conflit éminemment politique et crée un précédent grave. C’est l’une des raisons majeures pour lesquelles il faut contester et combattre cette loi bâillon.
Michel Seymour, Département de philosophie, Université de Montréal