Parce que la grève étudiante a été initiée par la hausse des frais de scolarité et qu’à ce jour la question du financement des universités québécoises n’a toujours pas reçu de solution politique acceptable, il reste d’actualité d’approfondir la réflexion sur les options de financement qui pourraient être discutées par les partenaires politiques et sociaux, gouvernement et associations étudiantes.
Parce que la grève étudiante a été initiée par la hausse des frais de scolarité et qu’à ce jour la question du financement des universités québécoises n’a toujours pas reçu de solution politique acceptable, il reste d’actualité d’approfondir la réflexion sur les options de financement qui pourraient être discutées par les partenaires politiques et sociaux, gouvernement et associations étudiantes. La situation des universités québécoises a certes ses spécificités, mais les problèmes du financement des études supérieures sont communs aux sociétés démocratiques contemporaines et l’expérience québécoise est une source d’enseignements. A ce titre, nous publions les arguments défendus par Jocelyn Maclure (professeur à l’Université de Laval) en faveur d’un remboursement proportionnel aux revenus qui a été expérimenté selon des modalités différentes en Australie.
Réponses aux objections contre le mécanisme de remboursement proportionnel aux revenus
Ces remarques ont d’abord été formulées dans des échanges avec ma collègue Ryoa Chung (professeur, Université de Montréal), échanges auxquels se sont joints Jean-Philippe Royer (doctorant, Université de Montréal) et Laurent de Briey (professeur, Université de Namur). Je les remercie tous les trois d’avoir permis de pousser un peu plus loi la réflexion sur le financement de l’université dans la perspective de la justice sociale. L’arrière-plan du présent commentaire est donc le texte que j’ai publié dans Options politiques (http://www.irpp.org/po/archive/may12/maclure.pdf) et les billets de Ryoa et de Laurent sur ce blogue.
1. Si je comprends bien, les réserves au sujet d’un mécanisme de remboursement proportionnel aux revenus (RPR) sont des variations de l’argument de la pente savonneuse. Lorsque l’on mise sur une augmentation des prêts aux étudiants, ainsi que sur le RPR, l’État tend à se désengager du financement des universités. De plus, comme Ryoa le fait bien ressortir, comme l’excellence est l’une des visées de l’université, les administrations universitaires peuvent toujours dépenser davantage. Les risques sont donc sérieux, et l’expérience des autres pays est éclairante. L’avantage du RPR, dans notre contexte, se comprend par rapport au statu quo. Pour l’instant, le remboursement des prêts n’est pas proportionnel aux revenus; le médecin et le philosophe sont soumis au même régime de remboursement. Est-ce préférable? Si oui, quels sont les arguments? Même si les frais de scolarité étaient abrogés, plusieurs étudiants auraient toujours recours à l’aide financière aux études pour les frais de subsistance. Le RPR serait encore un pas dans la bonne direction, il me semble.
Cela dit, le RPR est intéressant, mais seulement dans un contexte de droits de scolarité relativement bas et de maintien ou, mieux encore, d’augmentation des bourses pour les moins bien nantis, y compris la classe moyenne inférieure.
2. Une des questions intéressantes que le présent débat a permis de faire ressortir est le rapport entre l’impôt progressif et une tarification progressive. Il semble clair pour plusieurs à gauche que la façon acceptable de répartir la richesse est un schème progressif d’imposition sur le revenu. Par opposition, une tarification (même tout compte fait progressive) de certains services publics apparaît suspecte. Dans un texte par ailleurs très bon écrit par un collectif de professeurs, on trouve l’assertion suivante :
Si l'enjeu est de faire participer davantage les classes supérieures au financement de l'université, pourquoi ne pas les imposer directement ? C'est au niveau de l'impôt et de sa répartition que se fabrique la solidarité nationale, pas dans la variation du coût du service pour ses usagers ! (http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/05/30/le-quebec-entre-colere-et-espoir_1709331_3232.html)
L’argument soutenant cette proposition n’est malheureusement pas explicité, mais il s’agit sans conteste d’une position crédible à laquelle plusieurs se rallient.
En ce qui me concerne, si je me donnais le projet d’élaborer de toute pièce la structure sociale de base d’une communauté politique, ma position serait peut-être différente que j’ai défendue jusqu’ici. Avant toutefois d’accepter l’idée que l’imposition progressive justifie l’exonération des droits de scolarité pour les bien nantis, il me faudrait répondre à une question. L’éducation universitaire engendre des externalités positives « publiques » et « privées ». Lorsque l’on soutient que la progressivité de l’imposition fait en sorte que l’universitaire paie sa juste part, on soutient implicitement qu’il n’y a pas de différence normativement significative entre le diplômé universitaire et celui qui gagne un bon revenu sans jamais avoir mis les pieds à l’université (un entrepreneur, par exemple). Contrairement à Peter Dietsch (qui nous manque beaucoup cette année!), si je l’ai bien compris, je considère que l’éducation universitaire à tous les niveaux engendre des externalités positives pour la collectivité dans son ensemble. C’est pour cela que l’État doit continuer de financer très lourdement les études universitaires, et que les droits doivent demeurer bas. Celui qui ne va pas à l’université mais qui parvient quand même à s’enrichir doit contribuer au financement de l’université. Mais doit-il le faire exactement à la même hauteur que celui qui bénéficie directement des études universitaires? L’étudiant doit-il payer 0%, 13% ou 17% du coût de ses études? Comme ma réflexion ne se situait pas sur le terrain de la théorie idéale, je n’ai pas encore cherché à répondre à cette question. Mais les arguments de Peter doivent à mon avis absolument être pris en considération. (Tout comme la question de l’émigration postuniversitaire, que je n’ai pu aborder dans mes textes pour des publications non universitaires; si l’impôt progressif est la réponse à la question de la juste part dans un régime de gratuité scolaire à l’université, que fait-on de ceux qui vont travailler ailleurs après avoir obtenu leur diplôme? Jacob Levy a abordé cette question récemment sur son blogue : http://jacobtlevy.blogspot.it/ )
3. Un dernier point : Notre système d’imposition est déjà progressif. Il pourrait l’être davantage. Mais je pars de la prémisse voulant que tous les modèles concrets ou pratiques de justice fiscale seront hybrides. Luc Turgeon, un politologue spécialiste des politiques sociales, me disait dernièrement qu’en Suède, certains services publics sont gratuits, mais d’autres sont tarifés, que les taxes à la consommation sont élevées et que l’imposition est progressive, mais moins qu’on le laisse souvent entendre. Je ne crois pas que l’on devrait exclure a priori l’outil qu’est une tarification ciblée et progressive. Dans le cas qui nous occupe, du moins sur le terrain de l’analyse normative contextuelle et appliquée, une politique de hausse des frais de scolarité, combinée à une augmentation des bourses pour les moins favorisés et à l’introduction du RPR ou d’un impôt postuniversitaire, me semble clairement plus satisfaisante d’un point de vue égalitariste que le statu quo ante. La social-démocratie progresse généralement de façon graduelle (souvent par gains imparfaits ou modestes). Nous avons présentement la possibilité de bonifier la social-démocratie québécoise. Pourquoi ne pas profiter de cette occasion, ce qui nous ne nous empêche évidemment pas de continuer à défendre des réformes plus ambitieuses?
Jocelyn Maclure, professeur de philosophie à l’Université de Laval.