En examinant les actions des corps policiers depuis les derniers mois, la population québécoise a été en mesure de constater plusieurs manquements à la déontologie policière et la violation de droits et libertés des citoyens. Les vidéos qui circulent sur Internet et les témoignages publiés dans les différents médias le montrent de façon éloquente : insultes, intimidation et menaces, propos sexistes ou racistes, refus de s’identifier, fouilles abusives, profilage politique, arrestations de masse, préventives et arbitraires, détentions illégales, utilisation abusive de la force, vols, attaques contre les journalistes, etc.
«Prenez-les, vos notes, pour la déontologie pis toute », a répondu un policier à des journalistes du Devoir à la suite d’une arrestation arbitraire. « Vous appellerez mon patron, monsieur Simoneau, il va être content de vous entendre dire que je fais une bonne job. » C’est à croire que les policiers peuvent agir en toute impunité, au vu et au su de tous, sans craindre de représailles. Pourtant, le fait de porter l’uniforme ne devrait pas les placer au dessus de la loi.
Or, en l’absence d’un organisme de surveillance indépendant qui pourrait agir comme réel contrepouvoir, il faut reconnaître que les forces de l’ordre peuvent se comporter comme bon leur semble puisqu’elles sont placées de facto en position de juge et partie. Malheureusement, il n’existe aucune volonté politique de mettre en place des mesures de surveillance et de contrôle du travail des policiers. Au contraire, plusieurs ministres ont plutôt loué le « travail exemplaire » des policiers, faisant fi des vives critiques des organisations internationales (Comité de l’ONU pour les droits de l’homme, Amnistie internationale) à l’égard des forces policières depuis les dix dernières années.
Le premier ministre Jean Charest s’est même permis de déclarer qu’il n’y a pas eu de profilage politique dans les arrestations préventives effectuées au Grand Prix de Montréal. Mais comment peut-il se permettre d’en juger? L’ironie, c’est qu’en niant le profilage politique, il s’est trouvé du même coup à reconnaître implicitement qu’il y a eu des arrestations préventives, ce qui est pourtant tout aussi illégal, à moins d’un « risque réel de préjudice imminent ».
Pour l’instant le citoyen qui se sent lésé peut en référer à la déontologie policière. Mais personne ne prend ce moyen au sérieux : le fardeau de la preuve semble reposer sur le plaignant, les procédures sont complexes, le taux de rejets des plaintes élevés, les sanctions rarissimes et ridicules. Et bien sûr, il y a l’apparence de conflit d’intérêt.
Pour un réel bureau de surveillance civil
Seule la création d’un bureau de surveillance indépendant pourrait redonner confiance à la population et mettre fin à l’impunité. En s’inspirant de ce qui s’est fait en Ontario, ce bureau devrait être outillé pour mener des enquêtes et détenir l’autorité nécessaire pour sanctionner les agents fautifs. Toutes les plaintes des citoyens à l’endroit de la police seraient acheminées à ce bureau et traitées de façon totalement indépendante.
Attention, cet organisme n’aurait rien à voir avec le projet de « bureau de surveillance civil », mis timidement de l’avant par le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, et qui vise à superviser les enquêtes que les corps policiers mènent sur leurs camarades lorsqu’il y a un décès résultant d’une action policière. Comme l’explique Jocelyn Caron, ce projet est a été à ce point dilué « qu’il est devenu une coquille vide ». Le bureau de surveillance, tel que nous le concevons, aurait des pouvoirs d’enquête beaucoup plus étendus et bénéficierait d’une pleine autonomie. Il n’aurait à rendre des comptes qu’à une commission parlementaire sur la sécurité publique.
Certes, la mise en place d’un tel bureau ne se fera pas facilement. D’abord, le gouvernement n’y voit aucun intérêt et les corps policiers privilégient l’autorégulation, pour des raisons évidentes. Ensuite, l’expertise dont aurait besoin ce bureau de surveillance se retrouve presque exclusivement au sein des corps policiers. Afin de préserver son indépendance, il faudrait donc former ex nihilo des enquêteurs civils, ce qui n’est pas une mince affaire.
Mais ces difficultés ne devraient pas décourager les gens épris de justice, qui reconnaîssent que nous avons besoin de nous sentir en sécurité, mais que nous devons, avant tout, être libres et protégés contre l’arbitraire et les abus de pouvoir.
Échec politique et répression
Les manquements à la déontologie policière et la violation de droits et libertés des citoyens n’auraient pas pu avoir lieu à une aussi grande échelle si le gouvernement en place n’avait pas laissé pourrir la crise sociale au Québec. En refusant de considérer ses opposants comme des interlocuteurs valables, en adoptant une loi « matraque » et en refusant la dernière offre des étudiants en grève, pourtant à « coût nul » pour l’État, le gouvernement a fait le choix de la répression au détriment de la délibération démocratique.
Cette décision a eu pour effet de placer les policiers dans une situation intenable qui a permis à certains agents aux motivations ordinaires, c’est-à-dire ni particulièrement vertueuses, ni particulièrement mauvaises, d’abuser de leur pouvoir et de commettre des gestes illégaux en toute impunité. Ainsi, s’il faut blâmer sévèrement les corps policiers pour leurs fautes, il faut surtout condamner le gouvernement pour sa mauvaise gestion de la crise.
Martin Leblanc, Professeur de philosophie au Collège Montmorency, Laval