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Billet de blog 23 juillet 2012

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La loi, l'ordre et la justice: portrait du juriste Me Rémi Bourget

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Maître Bourget est l’un des avocats qui ont organisé la Marche silencieuse des juristes togés à l’appui le 28 mai dernier. Quelques jours avant la publication récente du rapport de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse condamnant la loi spéciale, le Collectif 22 a rencontré le juriste dans son bureau, logé à un des étages supérieurs de ces hautes tours du centre-ville situées sur la rue Sherbrooke ouest.

Me Bourget est un jeune avocat, diplômé de l’Université de Montréal et de l’École du Barreau du Québec en 2008. À l’âge de 27 ans, il suscita un certain intérêt dans son milieu en fondant son propre bureau. « C’était des années particulièrement difficiles pour les jeunes juristes en quête d’emploi, j’ai donc pris les choses en main. J’ai peut-être été un des avocats les plus jeunes à monter mon propre cabinet seul. En revanche, mon cabinet a peut-être été celui qui a connu la plus courte existence », explique-t-il l’œil souriant. Son entreprise autonome ne dura qu’un mois au terme duquel il fut embauché par un cabinet bien établi en droit corporatif et litiges civils et commerciaux pour lequel il travaille toujours. La personnalité enjouée du juriste laisse paraître une intelligence incisive, un esprit pragmatique manifeste alliés à des convictions intimes profondes et, on devine, une certaine fougue.

Ayant connu des problèmes de santé qui ont nécessité beaucoup de soins dès sa naissance, Me Bourget estime « être un pur produit de la social-démocratie et un exemple vivant de la mobilité sociale ». Né à Lavaltrie, une petite ville en périphérie de Montréal, « où il n’y a pas beaucoup d’universitaires », il a conscience des obstacles sociaux qu’il a pu surmonter grâce aux systèmes publics de la santé et de l’éducation au Québec. Ayant épousé une avocate d’origine haïtienne, Me Bourget est également très sensible à la condition des immigrants et particulièrement vigilant contre toutes les formes de discrimination insidieuse. Ce lecteur avide de Anne Hébert, admirateur de Camus et amateur de littérature russe, en particulier Crime et Châtiment, a toujours été passionné par les questions de justice sociale. Lors de ses études collégiales au Cégep du Vieux-Montréal (bastion légendaire de l’activisme étudiant au Québec), Rémi Bourget fut nommé responsable général de l’association étudiante et joua un rôle actif dans le cadre de la mobilisation étudiante lors du Sommet des Amériques (à Québec, avril 2001) et contre la « taxe à l’échec ». Cette dernière mesure instaurée par Pauline Marois, alors Ministre de l’éducation du Parti Québécois en 1997, consistait à imposer des coûts supplémentaires à tout étudiant cégépien ayant échoué deux cours ou plus. Elle fut effectivement abolie en janvier 2002 par le Parti Québécois, dont le ministère de l’éducation était alors confié à François Legault, dans la foulée de la contestation étudiante. Me Bourget rappelle que cette mesure représentait à l’époque, aux yeux des étudiants mobilisés, une politique discriminatoire à l’égard des plus défavorisés et une forme de dissuasion injuste contre le décrochage scolaire qui, dans les faits, avait entraîné un taux d’abandon plus important.

Toutefois, « la question de la hausse des frais de scolarité doit être clairement distinguée de la mobilisation des juristes contre la loi spéciale » selon Me Bourget, puisque cette position agnostique concernant la hausse des frais de scolarité permet précisément de rallier un plus grand nombre de juristes, qu’ils soient en faveur ou non au mouvement étudiant, autour d’une autre cause commune importante. Au lendemain du dévoilement du projet de loi 78 le 17 mai 2012, la société québécoise qui était alors demeurée divisée au sujet de la contestation étudiante s’est mobilisée plus massivement contre la loi spéciale proposée par le gouvernement du Parti Libéral de Charest. Le bâtonnier du Barreau du Québec, Louis Masson, avait été l’un des premiers à réagir publiquement pour exprimer ses inquiétudes. La manifestation nationale du 22 mai 2012 organisée par les trois associations étudiantes (la FEUQ, la FEEQ et la CLASSE) fut une des plus importantes dans l’histoire du Québec (les estimations de la foule variant de 100 000, selon les sources les plus conservatrices, à 250 000 personnes). Défiant une des dispositions du projet de la loi 78 interdisant les manifestations au parcours non annoncé, une portion substantielle des manifestants avait pourtant suivi l’itinéraire non prévu tracé par la CLASSE. Parmi les citoyens rassemblés, bon nombre d’entre eux n’appuyaient pas nécessairement la contestation étudiante, mais bon nombre d’entre eux ont également fini par arborer le carré rouge et appuyer le mouvement étudiant contre un gouvernement perçu injuste.

Le 28 mai 2012, près de 700 juristes revêtus de leur toge se sont rassemblés au Palais de Justice pour dénoncer le projet de loi 78 et ont défilé, en silence, jusqu’à la Place Émilie Gamelin, un lieu symbolique du mouvement étudiant et le point de départ habituel des manifestations nocturnes. Bien que toutes les dispositions contenues dans le projet de loi 78 avaient été respectées, incluant l’obligation de fournir l’itinéraire et de prévenir le corps de police desservant le territoire 8 heures en avance, l’organisation spontanée et discrète de la manifestation a surpris toute la population québécoise, le gouvernement libéral de Charest en premier lieu « L’idée a germé lors d’échanges entre confrère et consoeurs et je ne peux pas m’attribuer seul l’originalité de la symbolique frappante d’une marche silencieuse de juristes en toges. Certains collègue et moi avons assumé l’organisation rapide de cette manifestation et je fus moi-même surpris de la participation aussi nombreuse de nos collègues. » Me Bourget explique que le monde du droit est un milieu plutôt conservateur, mais force est de constater que l’esprit autoritaire et la démesure de certaines dispositions du projet de loi 78 ont été perçus par nombre de juristes comme un affront à la noblesse de leur fonction. « C’est donc dans le désir de réaffirmer la dignité du système judiciaire dans un état de droit que les avocats ont décidé de manifester revêtus de leur toge et de défiler dans un silence solennel. »

L’action des juristes suscita de fortes réactions de la part du gouvernement libéral. Le ministre des Transports Pierre Moreau demanda des sanctions contre un avocat employé de la SAAQ (Société de l’assurance automobile du Québec) et le ministre Bachand menaça de réprimandes tous les avocats ayant participé à la marche. Dans un article publié dans le journal Voir le 30 mai 2012, Me Véronique Robert expliquait dans quel climat oppressant elle décida d’arrêter de bloguer temporairement, de peur d’encourir les menaces de sanction brandies, tout en citant un extrait de l’arrêt de la Cour Suprême du Canada (mars 2012, Doré c. Barreau du Québec) : «On ne peut s’attendre à ce que les avocats se comportent comme des eunuques de la parole. Ils ont non seulement le droit d’exprimer leurs opinions librement, mais possiblement le devoir de le faire». En dépit de ce contexte d’intimidation virtuelle ou effective, Me Bourget persiste et signe en accordant des entrevues aux médias locaux et internationaux pour expliquer le sens de leur démarche et les vices du projet de loi 78, « devenu loi 12 depuis son adoption, ce qui atteste d’ailleurs du maigre bilan législatif de ce gouvernement » ajoute-t-il. Bien que son implication personnelle dans ce débat social n’interfère aucunement avec sa pratique professionnelle, le jeune avocat souligne sa gratitude envers ses patrons qui, loin de partager ses positions, respectent néanmoins la liberté d’expression de leur jeune collègue.

Interrogé sur sa conception de la relation entre la loi, l’ordre et la justice, Me Bourget affirme que « les officiers de la justice qui contestent un projet de loi n’exhortent pas à la désobéissance civile pour autant, mais exercent plutôt leur fonction critique cruciale au sein d’un état de droit. La dignité du système juridique consiste notamment à garantir la séparation des pouvoirs. Ce que certaines dispositions de la loi matraque révèle, en ce qui a trait en particulier au jugement discrétionnaire de la Ministre de l’éducation, Michelle Courchesne, qui n’est pas soumis à l’Assemblée nationale dans l’application de la loi spéciale, est précisément la confusion des pouvoirs législatif et exécutif contre laquelle Locke nous mettait en garde. Le but de la marche silencieuse des juristes consistait à restaurer le lien de confiance entre les citoyens et les institutions judiciaires que le gouvernement actuel a passablement miné en instituant cette loi que nous, juristes, contestons. »

Selon Me Bourget, l’esprit de la loi spéciale visant à forcer le retour en classe va à l’encontre des libertés d’expression, d’association et de manifestation pacifique. Les articles 16 et 17 restreignent le droit de manifester de manière indue en rendant potentiellement illégal tout regroupement de plus de 50 personnes n’ayant pas annoncé aux services policiers le lieu de rencontre 8 heures en avance et en transférant une responsabilité juridique excessive aux représentants des associations étudiantes qui sont désormais imputables des actions de tous leurs membres individuels. « Il est évident que dans le contexte de la prochaine campagne électorale, la loi matraque qui musèle la contestation étudiante, mais potentiellement toute forme de protestation sociale également, est politiquement motivée », selon Me Bourget. Les articles18 à 21 constituent, aux yeux de Me Bourget, une atteinte directe au droit d’association des étudiants en octroyant le pouvoir au Ministre de l’éducation d’obliger un établissement d’enseignement de cesser la perception et le versement des cotisations financières et de refuser de fournir les locaux ainsi que le mobilier et l’équipement aux associations étudiantes considérées délinquantes. L’ensemble des dispositions relatives auxdits articles 18 à 21 n’offrent aucune garantie procédurale pour contester et se défendre contre l’application de la loi spéciale. « Il faut être prudent quand on parle d’autoritarisme et se rendre compte que la situation au Québec n’est jamais aussi dramatique que dans d’autres pays du monde. Mais il y a certainement des relents d’autoritarisme qui émanent de la loi matraque et qu’il faut dénoncer comme tel dans le contexte de notre démocratie. »

La loi spéciale contient une clause crépusculaire fixée pour juillet 2013 (article 36). Me Bourget partage en commun avec les 140 requérants et avocats impliqués qui ont déposé les deux recours devant la Cour supérieure du Québec, pour demander la suspension de la loi spéciale en vertu de son caractère inconstitutionnel, l’avis que la loi 12 sera éventuellement renversée. Toutefois, en attendant que les démarches juridiques suivent leur cours, le mal est en quelque sorte déjà fait, selon Me Bourget qui invoque le « chilling effect ». « En contexte de campagne électorale, la loi spéciale risque de produire l’effet nécessaire pour refroidir les ardeurs et minimiser les actions de contestation politique, même celles qui sont reliées à des dossiers controversés autres que celui de la hausse des frais de scolarité, contre le gouvernement en place. »

Ne rejetant pas la pertinence juridique et la légitimité morale des injonctions en général, Me Bourget affirme toutefois que le recours aux injonctions individuelles qui ont permis à des étudiants de franchir les piquets de grève pour assister à des cours individuels en vue de casser le mouvement étudiant n’était pas la meilleure manière politique de gérer ce conflit. La judiciarisation des conflits sociaux est certes un problème et un risque réel, mais l’instance judiciaire et le recours juridique à la Charte des droits et libertés représentent parfois « le seul véritable contre-pouvoir aux gouvernements en place, particulièrement lorsque l’on craint une confusion des pouvoirs législatif et exécutif ». « À cet égard, il faut aussi comprendre que les injonctions individuelles ne devraient pas aller à l’encontre du droit d’association qui repose également sur la reconnaissance de libertés individuelles ». Selon Me Bourget, la Charte des droits et libertés (1982) demeure le socle le plus ferme de la constitution juridique canadienne. « La loi spéciale ne résistera pas à son épreuve. »

Entretien avec Me Rémi Bourget, propos recueillis par Ryoa Chung, professeure agrégée, philosophie, Université de Montréal.

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