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Billet de blog 28 mai 2012

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L’impôt universitaire additionnel: une piste de compromis?

Cette après-midi, les négociations reprennent entre le Gouvernement et les étudiants. La pression est désormais à ce point intense que les conditions requises pour qu’un compromis puisse être dégagé semblent peu à peu apparaître. Encore faut-il parvenir à faire émerger une proposition qui permette à chacun de garder la tête haute.

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Cette après-midi, les négociations reprennent entre le Gouvernement et les étudiants. La pression est désormais à ce point intense que les conditions requises pour qu’un compromis puisse être dégagé semblent peu à peu apparaître. Encore faut-il parvenir à faire émerger une proposition qui permette à chacun de garder la tête haute.

Le Gouvernement met l’accent sur le remboursement de prêts étudiants proportionnels au revenu (RPR) : afin que l’accessibilité à l’éducation supérieure soit préservée, la hausse des droits d’inscription serait complétée par un renforcement des bourses, mais également par la mise en place d’un système de prêts dont le remboursement serait dépendant de la hauteur des revenus futurs. Les étudiants, de leur côté, plaident, outre des économies dans la gestion des universités, pour un renforcement de la progressivité de l’impôt sur le revenu. Essayons donc d’imaginer une proposition qui, à défaut d’être idéale, se situe à mi-chemin entre ces deux positions : l’impôt universitaire additionnel.

Il s’agit d’un impôt additionnel (par exemple de 0,25% par session d’étude) sur le revenu que paieraient les personnes ayant été à l’université. Le principe d’un impôt additionnel, c’est qu’il ne s’applique pas directement sur le revenu, mais sur l’impôt payé. Par exemple, quelqu’un qui aurait fait huit sessions d’études universitaires, qui disposerait d’un revenu de 100 000$ et serait soumis à un impôt moyen de 40%, paierait un impôt de 40 000$ + 2% (8*0,25%) de 40.000$, soit un total 40 800$. Par contre, la même personne, si elle n’avait que 60.000$ de revenu et un impôt moyen de 20%, devrait payer un impôt de 12 000$ + 2% de 12 000$, soit 12 240$. Comme l’additionnel s’applique sur l’impôt payé, même si le pourcentage est identique pour tout le monde, il correspond à une augmentation progressive de l’impôt. Ainsi, celui qui était soumis à un impôt de 40% verrait son taux d’imposition passer désormais à 40,8%, tandis que celui qui ne payait que 20% d’impôts voit son taux  s’élever à 20,4%.  L’additionnel permet donc de renforcer la progressivité globale de l’impôt sur le revenu, comme le souhaitent les étudiants, mais cette augmentation ne concernerait que les seuls universitaires, comme le souhaitent le Gouvernement. 

Cette proposition, inspirée par l’idée de « graduate tax » défendue par mon collègue Peter Dietsch dans un article de 2006[1], constitue une position d’intermédiaire entre le RPR et le renforcement de la progressivité de l’impôt. La principale différence avec le RPR, c’est qu’il ne s’agit pas d’un prêt que l’on rembourse et dont on est débarrassé une fois le total remboursé, mais d’un impôt dont on doit s’acquitter à hauteur de ses revenus jusqu’au terme de son existence. Cette différence s’explique par le fait que l’impôt additionnel ne se justifie pas sur base du principe « utilisateur payeur », mais de celui « bénéficiaire payeur ». On ne rembourse par des droits d’inscription de manière différée, mais on contribue à proportion des bénéfices retirés d’un service public. Par contre, l’impôt additionnel, comme le RPR, permet de prendre en compte les bénéfices privés retirés de l’enseignement supérieur puisqu’il n’est payé que par les universitaires. Les étudiants paieraient ainsi la « juste part » qui leur est réclamée.

Personnellement, je considère que l’accès à l’enseignement supérieur est un bien public offert à tous et qu’il est légitime qu’il soit financé uniquement par une combinaison de droits d’inscription relativement faibles et d’un financement public payé par tous[2]. Pour le dire de manière un peu trop simpliste, ce n’est pas, selon moi, parce que quelqu’un renonce à son droit de fréquenter l’enseignement supérieur qu’il peut s’affranchir du financement de celui-ci. Je crains aussi que faire reposer le financement d’un service public sur ceux qui en bénéficient directement puisse être un précédent dangereux. Demain n’exigera-t-on pas que ceux qui ont bénéficié de l’assurance emploi s’acquittent ensuite d’un impôt spécifique pour son financement ? Néanmoins, dans le contexte actuel, le recours complémentaire à un impôt universitaire additionnel pourrait constituer un bon compromis entre les positions en présence.

Plusieurs questions resteraient bien entendu à trancher. Quelle serait la hauteur exacte de l’impôt additionnel ? Serait-il payé uniquement par les nouveaux étudiants (ou les nouveaux diplômés) ou par tous les universitaires ? Les recettes de cet impôt seraient-elles affectées à l’ensemble du budget provincial ou spécifiquement dédicacées au financement de l’enseignement supérieur ? Rien d’insurmontable toutefois. Plus crucial, à mes yeux, serait que la mise en œuvre de l’impôt universitaire additionnel soit doublée d’une réforme des différentes tranches d’imposition afin que la progressivité de l’impôt pèse davantage sur les hauts-revenus.

Laurent de Briey est professeur de philosophie à l’Université de Namur (Belgique) et chercheur invité au Centre de recherches en éthique de l’Université de Montréal.


[1] P. Dietsch, « Financing Higher Education: the Case for a Graduate Tax” in Les Ateliers de l’éthique, 1 (1), 2006, 88-102.

[2] Une contribution de l’usager d’un service public est justifiée non en raison du bénéficie retiré, mais dans un souci de responsabilisation lorsqu’un comportement négligeant de l’usager – en l’occurrence un manque de sérieux dans ses études – pourrait augmenter le coût pour la collectivité. La combinaison de droits d’inscription relativement faibles et du coût d’opportunité (le salaire que les étudiants ne gagnent pas lorsqu’ils étudient) me semble représenter une contribution suffisante.

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