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Billet de blog 28 mai 2012

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Pourquoi le RPR n’est pas une solution miraculeuse, par Ryoa Chung

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Note préliminaire de l’auteure au sujet du Collectif 22

Ce blog est né d’un sentiment d’urgence pour dénoncer les dérives autoritaires de la loi 78. Mais les membres du Collectif 22 ont également adopté ce nom en hommage aux manifestations des 22 mars, avril et mai 2012. En dépit de la diversité des points de vue qui caractérise l’ensemble des auteurs, pluralité qu’il faut par ailleurs valoriser sur la place publique comme un gage de la liberté d’expression et du débat démocratique, les textes publiés sur ce site partagent toutefois en commun un intérêt évident à réfléchir sur le mouvement étudiant québécois. Dans l’anticipation, le souffle coupé, de la reprise des négociations entre les représentants des associations étudiantes et le gouvernement qui reprendront aujourd’hui, lundi le 28 mai à 14h00, j’aimerais profiter de l’occasion pour revenir sur un point plus précis des nombreux débats au sujet de la hausse des frais de scolarité qui ont marqué ces derniers mois et qui risque de revenir à la page dans les prochains jours. Je parle ici seulement en mon nom propre et n’engage nullement une position commune de la part du Collectif 22.

Point de départ : la proposition préconisée par le gouvernement (Remboursement Proportionnel au Revenu)

Je me permets ici d’exprimer quelques remarques critiques au sujet d’une des propositions préconisées par le gouvernement et défendue par plusieurs concitoyens et collègues (dont le fiscaliste Luc Godbout et le philosophe Jocelyn Maclure) concernant les mesures de remboursement des prêts étudiants proportionnels aux revenus (RPR). Ces commentaires ne diminuent en rien le respect et l’estime que l’on doit à tout interlocuteur sérieux et informé ayant le droit le plus légitime d’exposer ses positions sur la place publique avec, par ailleurs, beaucoup plus de nuances que je ne pourrais rendre ici (ces auteurs auront certainement l’occasion de présenter la finesse de leur position dans d’autres publications). Mais il importe sans doute d’émettre également quelques réserves critiques afin de clarifier les termes d’un débat collectif au sujet du financement de nos universités et de l’accessibilité aux études supérieures. En effet, dans la mesure où le gouvernement présente auprès de l’opinion publique la solution du RPR comme une solution miraculeuse et comme la seule avancée progressiste à laquelle on peut aspirer en les présentes circonstances, il y a lieu de préciser que le RPR, en soi, n’est pas la panacée à tous les obstacles limitant l’accessibilité aux études supérieures.

Certes, l’offre gouvernementale implique une bonification du régime des prêts et bourses, comportant un élargissement des critères d’éligibilité aux bourses ainsi qu’à l’obtention de prêts. Ce qui signifie, en somme, que si beaucoup plus d’étudiants auront droit à des bourses, beaucoup plus d’étudiants auront également droit à des prêts – et s’endetteront - pour financer leurs études, bien que ceux-ci pourront les rembourser dans une certaine échelle temporelle, à un certain pourcentage de leur dette, à une certaine proportion de leur revenu. Comme on peut le constater, telle que présentée par le gouvernement, la proposition est d’une clarté inouïe. En vérité, le RPR ne peut, en soi, être une solution complète et idéale, même s’il s’agit d’une proposition importante qui mérite sérieusement d’être discutée (précisément, dans le cadre d’une consultation publique et démocratique sur l’avenir de l’éducation supérieure au Québec que le gouvernement refuse obstinément de tenir). La proposition du RPR doit absolument être accompagnée d’une réflexion approfondie au sujet des balises normatives et des mécanismes publics de contrôle de l’augmentation des frais de scolarité et ne peut être présentée de manière indépendante et suffisante.

Une corrélation troublante entre l’augmentation de l’endettement étudiant et l’augmentation des frais de scolarité. Leçons à tirer de l’hypothèse Bennett.

À cet égard, nous pouvons beaucoup apprendre de l’expérience d’autres pays en analysant les forces et les faiblesses des modèles respectifs de financement de l’éducation supérieure (ce qui ne sera toutefois pas possible ici). Un angle d’analyse intéressant à approfondir concerne le débat au sujet de l’hypothèse Bennett aux Etats-Unis. En 1987, sous la présidence du gouvernement républicain de Reagan, le secrétaire fédéral à l’Éducation William Bennett formula l’hypothèse selon laquelle existait une corrélation troublante entre l’augmentation de l’endettement étudiant et l’augmentation des droits d’inscription. L’hypothèse de Bennett a été discutée pendant 25 ans, et sa plus récente formulation, baptisée Gillen’s Bennett Hypothesis 2.0, est certainement une des contributions les plus intéressantes à ce jour (notamment en raison de l’introduction de la règle de Bowen, dont il sera question ci-dessous). L’hypothèse Bennett fait également l’objet d’interprétations allant dans plusieurs sens (soit pour conclure que la contribution financière de l’État est plus ou moins inutile, soit pour conclure que la bonification des prêts étudiants n’améliore pas l’accessibilité). Je n’offrirai certainement aucune réponse définitive à cette discussion, mais ce qu’il importe de retenir est qu’une des lectures cohérentes et prudentes de ce débat conduit à (1) la nécessité de mettre en place des balises pour limiter l’augmentation sans contrôle des frais d’inscription - incluant l’augmentation des frais afférents; (2) la nécessité de mettre un frein à la course à l’abîme entre les universités en quête de « prestige et d’excellence » ; (3) et la nécessité de ne pas envisager l’augmentation des prêts étudiants comme une compensation et une solution simples à l’augmentation effrénée des frais de scolarité.

Un des aspects les plus importants des modèles US et UK à étudier est l’augmentation phénoménale du taux d’endettement étudiant qui représente, selon certains économistes américains, la prochaine bombe à retardement après la crise des hypothèques. En effet, représentant plus de $1 trillion, la somme totale de l’endettement étudiant aux États-Unis est plus importante que la somme totale des prêts automobile, plus importante que la somme totale des dettes sur cartes de crédits. Par conséquent, la conclusion provisoire la plus probante qu’il faut en tirer, à mon avis, est celle-ci : augmenter les frais de scolarité sous prétexte qu’on va bonifier le régime des prêts n’est pas une solution. Une importante leçon provisoire à tirer pour le Québec : mieux vaut prévenir que guérir.

En fait, selon les recherches menées par l’IRIS, l’augmentation effrénée des droits d’inscription a eu lieu dans divers pays, tels aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, en dépit du RPR…et peut-être même facilitée par le RPR. Selon Éric Martin : 

« Il faut rappeler que le RPR a été conçu par l’économiste Milton Friedman en 1955 avec comme objectif explicite de « dénationaliser (…) l’industrie (sic) de l’éducation », ce qui veut dire diminuer, voire abolir, le financement public de l’éducation pour la financer plutôt par des prêts, c’est-à-dire par l’endettement personnel.

C’est la tendance qu’ont suivi l’Angleterre et l’Australie après l’instauration du RPR. Initialement, il s’agissait de rendre une première hausse des frais de scolarité acceptable en pelletant le problème en avant sous forme d’une dette à rembourser après les études. Rapidement, cependant, les universités et le gouvernement ont profité de l’existence de ce mécanisme pour augmenter à répétition les frais de scolarité. En 1998, la Grande-Bretagne pratiquait la gratuité scolaire ; plus tard, en 2012, les frais atteignent près de 15 000$ par année, et l’endettement étudiant moyen est passé de 26 000£ à 54 000£, c’est-à-dire environ 84 000$. En Australie, l’initiateur du RPR, Bruce Chapman, s’est lui-même plaint de ce que les autorités ont abusé et dépassé depuis longtemps le seuil d’endettement initialement fixé. »

 http://www.iris-recherche.qc.ca/blogue/rpr-et-assurance-qualite/

L’augmentation des frais de scolarité au nom de l’excellence académique : une course à l’abîme ? La règle de Bowen.

La proposition, certes très intéressante, du RPR mérite en soi un débat et des études approfondis afin d’identifier les effets positifs, de même que les conséquences potentiellement perverses qu’elle pourrait entraîner si le RPR n’est pas assorti d’une formulation de principes publics clairs au sujet des mécanismes pour limiter l’inflation des droits d’inscription. Surtout dans le contexte mondial de la compétition universitaire qui entraîne présentement une course à l’abîme en raison des frais directs et afférents invoqués au nom de l’excellence académique. À ce sujet, il faut reconsidérer la formulation de la règle de Howard R. Bowen, un économiste américain qui connut une carrière administrative importante à titre de président de collèges, ayant énoncé en 1980 les cinq lois réglant les coûts de l’éducation supérieure :

1. “The dominant goals of institutions are educational excellence, prestige, and influence.”

2. “In quest of excellence, prestige, and influence, there is virtually no limit to the amount of money an institution could spend for seemingly fruitful educational needs.”

3. “Each institution raises all the money it can.”

4. “Each institution spends all it raises.”

5. “The cumulative effect of the preceding four laws is toward ever increasing expenditure.”

Une autre leçon importante à retenir consiste donc à réfléchir sur les conditions de possibilité saines et équitables du financement nécessaire pour promouvoir l’excellence des universités québécoises sur les plans de la formation et de la recherche académiques, en vue de les distinguer plus clairement des dérives entrepreneuriales vers lesquelles bon nombre d’universités à travers le monde se tourne au nom de l’excellence académique dans un contexte de compétition internationale néo-libérale sans merci. Une réflexion collective au sujet du rôle et de l’avenir de nos universités devrait donc toujours être menée à l’aune de trois principes cardinaux qu’il faut tenter d’équilibrer et de justifier sur la place publique : 1) accessibilité 2) efficience 3) excellence.

Plusieurs critiques du mouvement étudiant affirment que les étudiants idéalisent une certaine conception de la justice sociale qui se paiera au prix de l’excellence des universités québécoises. Le problème du financement des universités soulève évidemment une question fondamentale au sujet des besoins réels et des ressources nécessaires pour garantir la qualité de la formation et de la recherche. Mais la notion d’excellence peut également être rapidement confondue au critère de compétitivité purement économique. Sous cet angle, la nécessité de définir ensemble, collectivement, ce que nous comprenons pas excellence académique s’impose. Cette question ne peut être simplement laissée entre les mains d’une élite au pouvoir dont les intérêts économiques sont également en jeu. Au sujet de la notion d’efficience, je dirais simplement que cette notion n’est jamais axiologiquement neutre et doit être pensée à l’aune d’un principe prioritaire, soit celui de l’accessibilité qui consiste à privilégier une certaine conception de la justice sociale et de l’égalité des chances. Il s’agit là d’une position idéologique, certes, mais de même qu’une position soi-disant réaliste (à la faveur du plus petit réaménagement possible du statu quo, sous prétexte que ce statu quo serait moralement neutre ?!) est une position idéologique conservatrice qui s’ignore.

RPR à l’aune de 3 principes : 1) accessibilité 2) efficience 3) excellence

Une solution non-idéale ou une position de principe ?

Il est possible que le RPR puisse être considéré comme une mesure efficiente raisonnable favorisant l’accessibilité. Certains interlocuteurs crédibles et éclairés considèrent que le RPR est une proposition intéressante introduisant, dans les faits, des mesures raisonnables et ciblées rendant la fiscalité québécoise plus progressive. Mais alors, une question plus philosophique persiste,  est-ce donc une proposition qui doit être accueillie au nom d’une certaine conception de la théorie non-idéale (qui consiste à introduire un progrès en fonction des limites factuelles présentes – électorales, économiques, politiques) ou est-ce une position de principe qui reconnaît que l’éducation supérieure n’est pas entièrement un bien public et que les individus qui bénéficient des externalités positives à titre privé doivent, d’une certaine manière, contribuer davantage au financement des universités ?

Doit-on plutôt soutenir une réforme fiscale plus fondamentale, i.e. imposition progressive à plusieurs paliers (plus progressive que notre régime fiscal actuel à 3 paliers) qui dans les faits ferait en sorte que les mieux nantis (diplômés ou non) contribueraient toujours davantage au financement de l’éducation supérieure, considérée comme un bien public en partie, dont les externalités positives bénéficient à l’ensemble de la société ? Ma position penche davantage pour cette dernière position (viser directement, à plus ou moins court terme, une réforme fiscale pour introduire carrément et directement une plus grande imposition progressive + financement collectif de l’éducation supérieure + bonification du régime des prêts et bourses pour les « frais de subsistance » reliés aux études + RPR seulement sur les prêts de subsistance, le cas échéant). Bien qu’il soit nécessaire de présenter l’option du financement collectif des universités par le biais de l’imposition progressive comme une alternative beaucoup plus plausible dans les faits et plus équitable pour tous qu’on ne peut le croire à première vue, je me contenterai simplement ici d’exprimer mes réserves critiques face au RPR.

RPR : un des points de départ d’un débat nécessaire mais pas la réponse ultime d’une crise sociale profonde

Mais il se peut que j’aie tort, qu’il faille reconnaître des gains réels tout aussi éloignés soient-ils de nos aspirations idéales, en ce sens, je reconnais que la proposition du RPR est un pas intéressant vers la bonne voie. Mais il se peut aussi que les solutions proposées par le gouvernement, et celles proposées en toute bonne foi par d’autres acteurs contiennent des vices cachés à défaut de précisions cruciales en ces temps de confusion et de flou périlleux. Force est de constater que notre gouvernement actuel n’inspire pas la plus grande confiance en sa capacité de comprendre, d’anticiper et de bien gérer les enjeux fondamentaux qui préoccupent notre société. À défaut du contraire, je doute que le gouvernement actuel ait réellement réfléchi à toutes les implications complexes inhérentes à la proposition du RPR et à la nécessité de prévoir une consultation démocratique au sujet des principes normatifs et des mécanismes de contrôle de l’augmentation des frais de scolarité dont il est question - si l’on veut réellement arrimer le RPR au principe de l’accessibilité universelle sans courir le risque, avéré dans d’autres pays, d’une augmentation effrénée des frais de scolarité et d’un endettement étudiant proportionnel croissant.

En somme, la tentation de concevoir le RPR comme une solution optimale parce que cette proposition représente, en effet, une avancée progressiste par rapport au statu quo est grande. Mais le défi de réfléchir de manière plus posée, critique et approfondie sur toutes les implications que cette proposition entraîne, AVANT de se limiter à elle, est encore plus important. Bref, le RPR n’est qu’un des points de départ d’un débat nécessaire et ne peut certainement pas être la conclusion ultime d’une des crises sociales les plus importantes de l’histoire contemporaine du Québec.

Ryoa Chung, Professeure agrégée, Département de philosophie, Université de Montréal

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