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Billet de blog 9 octobre 2024

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Victimes de violences intrafamiliales : un rapport accablant

Lundi 30 septembre est paru le Rapport sur les familles monoparentales du sénateur Xavier Iacovelli, un ensemble de recommandations visant à améliorer les conditions de vie des familles monoparentales. Force est de constater qu'en matière de « coparentalité », les recommandations qui figurent dans ce rapport ont de quoi inquiéter les enfants et les femmes victimes de violences intrafamiliales.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

     On peut s’étonner que bien que nombre d’associations qui dénoncent le caractère archaïque et patriarcal du système judiciaire actuel aient été auditionnées, les propositions faites par le sénateur Xavier Iacovelli en matière de « coparentalité » dans son Rapport sur les familles monoparentales (paru le 30 septembre 2024) semblent avoir été directement dictées par les sociétés de défense des pères[1]. À savoir un lobby fortement influencé par les courants masculinistes américains qui milite depuis plusieurs décennies pour l’automatisation de la garde alternée et pour la reconnaissance du pseudo « syndrome d’aliénation parentale », qui stipule que toute allégation de violence provenant d’un enfant ou de sa mère est nécessairement un mensonge destiné à éloigner l’enfant de son père[2]

     Il est d’abord surprenant de la part d’un sénateur qui affirme dans son discours de présentation du rapport que « la famille n’est pas un objet figé, mais une réalité en mouvement » de vouloir pour commencer « renforcer la coparentalité ». D’une part, cette préconisation témoigne d’une méconnaissance profonde des décisions de justice familiale, puisque dans les faits, c’est déjà ce qui se passe ! Il est extrêmement difficile de retirer l’autorité parentale à un parent, y compris dans les cas de violence ou de maltraitance avérée, dans la mesure où règne dans les pratiques judiciaires le dogme de l’autorité parentale « conjointe », qui stipule qu’il est dans tous les cas dans l’intérêt de l’enfant de conserver un lien avec ses deux parents[3]. D’autre part, loin d’inciter les institutions à considérer la famille comme « une réalité en mouvement », cette injonction à la coparentalité sonne plutôt comme une réaffirmation du schéma patriarcal traditionnel de la famille biparentale et hétéronormée, d’autant plus choquante à l’heure où vient d’être légalisée la PMA…

     S’agissant de la garde alternée, là aussi on peine à comprendre les raisons pour lesquelles le sénateur propose de rendre systématique cette modalité de résidence de l’enfant. La clause qui précise que « la garde alternée serait exclue d’office dans les cas de violences (conjugales et/ou familiales) ou de troubles de l’enfant ou d’un des parents » n’est en rien rassurante, dans la mesure où le problème majeur de la justice familiale française, soulevé par nombre d’associations et de personnalités, est précisément qu’elle ne dispose pas des outils nécessaires pour distinguer les situations de « conflit » – soit de simple désaccord des parents – des situations de violence, et que les juges peinent à tenir compte lorsqu’ils rendent leurs décisions des formes de violence moins spectaculaires et visibles que la violence physique – violences verbales, psychologiques, économiques, harcèlement moral ou procédural, etc[4].

     Par ailleurs, il est évident que la garde alternée ne constitue un mode de résidence viable et sécurisant pour un enfant que si les conditions matérielles sont réunies – notamment, si les parents résident chacun près de l’école de l’enfant, s’ils disposent chacun d’un appartement adapté – et si les parents entretiennent des relations harmonieuses. Or lorsque ces conditions sont effectivement réunies, c’est donc que les parents sont à même de décider d’une garde alternée à l’amiable, sans avoir à s’adresser à un juge aux affaires familiales ! Le problème que posent les propositions émises dans ce rapport, c’est qu’elles semblent ignorer le fait que si un parent saisit un juge aux affaires familiales, et éprouve le besoin de se lancer dans une procédure judiciaire longue et coûteuse, c’est précisément parce que les choses se passent mal. Sans quoi nul besoin de s’adresser à l’institution judiciaire. Vouloir systématiser la garde alternée, c’est donc inciter la justice à fermer les yeux sur le fait que si des parents s’adressent à elle, c’est bien parce qu’ils n’arrivent pas à établir un mode de relation et de communication sain et sécurisant pour l’enfant.

     Enfin, la jurisprudence montre qu’à l’heure actuelle, lorsqu’un père demande une résidence alternée, dans l’immense majorité des cas il l’obtient[5]. Qu’est-ce à dire, sinon que cette mesure revient à proposer une fausse solution à un faux problème, qui plus est, une solution totalement contraire à l’intérêt de l’enfant ? En effet, nombreuses sont les études publiées par des scientifiques et professionnels de l’enfance[6] – pédopsychiatres, pédiatres – qui montrent que la résidence alternée a des conséquences néfastes sur la sécurité affective de l’enfant avant 6 ans, et que même après 6 ans, elle constitue un mode de résidence qui satisfait davantage les besoins des adultes et donne au juge l’illusion de faire régner à la lettre « l’égalité parentale » plutôt qu’il ne sert l’intérêt de l’enfant[7].

     L’idée d’« affirmer un droit de visite et d’hébergement étendu pour le parent non-gardien » en l’absence de garde alternée n’est pas plus compréhensible et satisfaisante. D’une part, parce qu’en dépit du fait que le sénateur Xavier Iacovelli parle à plusieurs reprises dans son rapport de « droit et devoir de visite », nul part il n’est fait mention qu’à l’heure actuelle, le « Droit de Visite et d’Hébergement » n’est qu’un droit, et justement pas un devoir. Le parent non-gardien l’exerce ou ne l’exerce pas ; et s’il ne l’exerce pas, il n’est passible d’aucunes sanctions, ça n’est pas un délit[8]. En ce sens, la proposition d’extension du droit de visite n’aura que peu d’effet sur la vie de l’enfant si celui-ci demeure un droit que le parent non-gardien est libre d’exercer ou non.

D’autre part, on peut à bon droit se demander si transformer ce droit de visite en devoir – si tant est que ce soit, en dernier lieu, l’intention cachée d’une telle recommandation – serait une bonne idée. Le député républicain Thibault Bazin avait déjà déposé une proposition de loi en ce sens en avril 2024[9], proposition relayée par le président Emmanuel Macron qui avait déclaré dans un entretien paru dans le journal Elle le 7 mai 2024 vouloir sanctionner pénalement les parents qui n’exercent pas leur droit de visite, afin de les contraindre à assumer une présence régulière auprès de leur enfant par delà la séparation[10]. Nombreuses avaient été alors les réactions des associations militant pour la protection de l’enfance ainsi que des professionnels quant à la pertinence de ce projet, dans la mesure où l’on peut à bon droit douter qu’un parent présent uniquement parce qu’il est contraint par la loi d’être présent devienne par la magie du saint devoir un parent aimant et bienveillant…

     Mais c’est sans doute l’ultime recommandation faite par le sénateur Xavier Iacovelli qui paraît la plus inquiétante. En effet, pour finir, le rapport préconise de « permettre à chaque enfant, dès qu’il le peut, de décider au mieux de sa situation ». Proposition qui pourrait sembler extrêmement satisfaisante si elle permettait enfin aux mineur.e.s d’être entendu.e.s, et écouté.e.s par les juges aux affaires familiales, ce qui est loin d’être systématiquement le cas à l’heure actuelle. Or le comble est que tout en se revendiquant de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant de 1989, qui vise en effet à affirmer le droit fondamental des enfants à être considérés comme des sujets de droit, capables de s’exprimer – et non comme de simples objets sur lesquels on exerce une « autorité », autrement dit un pouvoir – le rapport précise immédiatement que l’âge pivot auquel un enfant serait capable de discernement pourrait être fixé à « 14 ou 16 ans » ! Ce qui constituerait en réalité un recul au regard des pratiques actuelles[11], et ce qui fait totalement abstraction des avancées scientifiques en la matière. À titre d’exemple, le National Institue of Child Health and Human Development a mis au point depuis les années 90 un protocole d’audition qui, dans les situations de violences, permet de recueillir la parole d’un enfant dès l’âge de 4 ans.

     Au total, les recommandations qui figurent dans ce Rapport sur les familles monoparentales contribuent une fois de plus à invisibiliser les vrais problèmes que posent les articles du Code civil sur l’autorité parentale conjointe ainsi que les pratiques judiciaires actuelles. À savoir, la tendance à faire prévaloir sur toute autre définition de « l’intérêt de l’enfant » l’intérêt à entretenir coûte que coûte une relation avec ses deux parents, et l’incapacité à faire passer la sécurité physique et morale des enfants avant ce maintien inconditionnel du lien parental…

     Nous, associations engagées pour la protection des enfants et des femmes victimes de violences intrafamiliales, dénonçons ces propositions ouvertement adultistes et antiféministes. Nous réclamons la tenue d’un véritable Grenelle de la Justice aux Affaires Familiales française réunissant élu.e.s, associations, experts et professionnels du droit et de la petite enfance, susceptible de déboucher sur une réforme qui permettrait enfin à la justice familiale de servir réellement « l’intérêt de l’enfant », et de faire passer le droit des mineur.e.s à être protégé.e.s AVANT le maintien inconditionnel de l’autorité de leur parent légal.

Signataires:

Association Protégeons les enfants

Collectif enfantiste

Mouv’enfants (Arnaud Gallais)

Protéger l’enfant

Je te crois, je te protège

3EGALES3

Collectif Médecins Stop Violences

Sarah Legrain (députée LFI)

Catherine Bonnet (pédopsychiatre)

Vigdis Morisse-Herrera (fondatrice d’Opale.care)

Pauline Bourgoin

Et avec le soutien de la sénatrice Laurence Rossignol (PS)

[1] Notamment l’association SOSPapa qui fait partie de la liste des associations auditionnées.

[2] Le sociologue Edouard Leport a consacré une thèse entière à analyser ces mouvements et à montrer comment sous couvert de revendiquer « l’égalité parentale », ces pères ont en réalité pour objectif de renforcer toujours plus le caractère « inaliénable » de l’autorité paternelle et le droit du père à contrôler la vie de la mère et de ses enfants par delà la séparation.

Cf. Edouard Leport, Les papas en danger ? Des pères à l’assaut des droits des femmes. Éditions de la maison des sciences de l’homme, 2022.

[3] À titre indicatif, alors que le Haut Conseil à l’Egalité estime à 398 310 le nombre d’enfants témoins ou co-victimes de violences conjugales en 2020, seuls 58 agresseurs se sont vus retirer leur autorité parentale. Cf. https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_tableau_de_bord_d_indicateurs_politique_de_lutte_contre_les_violences_conjugales.pdf

[4] D’une part, en raison du cloisonnement qui existe en France entre les procédures pénales d’un côté, la protection de l’enfance de l’autre, enfin la justice familiale, qui bien souvent ne communiquent pas ; d’autre part, à cause du manque de formation des magistrats, qui peinent à s’emparer des travaux scientifiques et des concepts qui pourraient leur permettre d’appréhender le caractère multidimensionnel et complexe des violences conjugales et intrafamiliales.

[5] Cf. Rapport publié par le ministère de la justice en janvier 2014 sur la coparentalité, qui met en regard les décisions de justice avec le souhait inital des deux parents. https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/144000021.pdf

[6] Cf. Notamment le Livre noir de la garde alternée, publié par Jacqueline Phélip en 2006, préfacée par le professeur Maurice Berger, qui rassemble des articles et des contributions de fond sur la question.

[7] La pédiatre-pédopsychiatre-psychanalyste Hana Rottman propose de nommer « syndrome de Salomon » cette volonté de vouloir à tout prix couper en deux la résidence de l’enfant sous couvert d’égalité sans se soucier des conséquences pour la vie et le développement de l’enfant. Cf. J.Phélip, Le livre noir de la garde alternée, Dunod, 2006, p.118.

[8] À l’heure actuelle, il faut pouvoir prouver qu’un parent s’est volontairement abstenu d’exercer son droit de visite pendant deux ans consécutifs pour envisager de saisir un juge et demander à ce qu’il revoie les modalités d’exercice de l’autorité parentale en conséquence…

[9] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b2497_proposition-loi#

[10] https://www.elle.fr/Societe/Interviews/Entretien-exclusif-Un-devoir-de-visite-pour-les-peres-Macron-ouvre-le-debat-4233075

[11] L’âge à partir duquel un enfant peut être entendu par un juge aux affaires familiales varie selon les juridictions, et même d’un juge à l’autre, mais se situe à l’heure actuelle aux alentours de 9, 10 ou 11 ans.

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