J'aime Paris, j'aime pas Paris, j'aime plus Paris.
Savez-vous qu'il y a 28 places assises dans un wagon de métro ? Et au minimum une quarantaine en horaires d'affluence ?
Y avez vous déjà vu des gens qui se parlent ? Je veux dire des gens qui ne se connaissent pas au préalable ? C'est rare.
Je me posais la question depuis longtemps.
Aujourd'hui je l'ai fait. J'ai parlé à mes métro-collègues. Je n'étais pas dans un état second, j'étais juste épuisée de ma journée passée à parler à l'ordinateur.
A une dame obèse à la fermeture du pantalon ouverte, j'ai dit qu'elle était belle et qu'elle avait l'air d'une de ces déesses de la fécondité préhistoriques.
A une jeune fille qui sentait la vanille et le patchouli, j' ai demandé d'où venait son parfum.
A un vieux bonhomme, j'ai échangé des cachous contre une cigarette.
Et vous, mademoiselle au sac de thés Mariage et aux beaux yeux mouillés, qui avez l'air vieillie avant l'heure, que faites-vous ce soir à part vous pelotonner devant des séries idiotes ? Vous êtes trop jolie pour votre canapé, quand même !
Et toi, camarade, avec ton bouton de fièvre sur la tempe, ta main calleuse qui masse ton épaule endolorie, tu es du bâtiment ? Ca te plaît, camarade ? Encore des heures sup ? Parfois mieux vaut penser à aujourd'hui qu'à demain, mais ton patron, il se fait combien...?
Et toi, grand costaud si balèze qu'on dirait un flic en civil, il ne te manque que l'oreillette et on y croirait, tu fais quoi ce soir ? Surgelés party dans ton 25 m 2 ou quoi ? On peut venir ?
Et toi, le maigrichon qui me regarde bizarrement depuis que je cause, ça te paraît bizarre que les gens dans le métro te parlent ? Désolée, je ne suis pas un écran Samsung qui bouge mais se tait. Ne te cache pas derrière ton caban, je ne suis pas folle, et même si je l'étais tu ne risques pas grand-chose, tu peux toujours descendre à la prochaine.
Et vous, la miss cachée dans votre poncho péruvien, ça vous inquiète, qu'on discute le temps du trajet ? Non ? Si ?
Et toi, cousin, avec ton petit costume sans plis et tes gros sacs Tati, tu ne te sens pas trop à l'étroit ? Tu rentres pépère chez toi, tu as des enfants ? Deux ? Tu peux parler tu sais, personne ne te reverra... Tu vas chercher ta fille ? Elle revient de vacances, elle aurait bien aimé y rester, non ? Moi aussi, tu m'étonnes...
Salut à toi camarade qui ne m'écoute pas et qui danse sur ta musique dans ton casque, tu bouges bien, ça sent le pro du hip hop sauvage.
Salut à toi, mademoiselle-très-soignée qui me regarde à la dérobée comme on observe les subterfuges du renard vers le poulailler. Je ne chasse que les regards et les esprits farceurs, aujourd'hui, ne t'inquiète pas !
Salut à toi, môme avec ta valoche plus grosse que toi. Tu sais, le plan que tu surveilles à chaque station c'est toujours le même, le métro ne fait jamais de détours. Il n'y a que les détours qu'on fait ensemble qui valent le coup.
Et toi, mams'elle qui souris avec ta baguette ? Tu fais quoi dans la vie, raconte...
Salut à vous, passagers de ma ligne, à cette heure. Vous pouvez vous regarder dans les yeux, les risques sont minimes.
Vous êtes tous seuls, vous êtes tous différents, vous êtes tous uniques.
Vous êtes fatigués, vous êtes beaux, vous êtes peut-être mes voisins, au moins pour un quart d'heure.
J'aimerais qu'on se connaisse. Pas vous ?
Au-dessus de nous, la peau lisse, blanche, brillante, du serpent mécanique.