Quel ministre de l’Intérieur de la Ve République vénère à ce point les juges qu’il désigne un coupable alors que l’enquête a à peine débuté ? Quel ministre de l’Intérieur donne son verdict avant l’ouverture d’un procès, considère que la police a toujours raison et s’honore d’être l’ami fidèle et le conseiller très écouté de son Président ?
Brice Hortefeux ? Evidemment. Mais il y a une autre bonne réponse : Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur de Valéry Giscard d’Estaing après l’élection présidentielle de 1974. Poniatowski, dit Ponia, descendant du dernier roi de Pologne et d’un Maréchal d’Empire a été, selon Wikipedia, le principal organisateur de la victoire de Giscard. Mais aussi son conseiller privilégié pour les affaires au grand jour aussi bien que pour celles de l’ombre. Bref, le porte-flingue idéal.
On se gardera ici, faute des compétences nécessaires, d’aller sur le terrain de l’analyse politique. Mais Hortefeux dans le rôle du Ponia de Sarkozy, le parallèle est quand même tentant. Même si Brice a dû attendre plus longtemps que Michel la clé du ministère dont il rêvait. Deux ans : les vrais amis sont parfois durs d’oreille.
En 1974, dès la formation du gouvernement Chirac, le 28 mai, Valéry Giscard d’Estaing a pour sa part décidé que son ami Poniatowski serait ministre de l’Intérieur, mais aussi ministre d’Etat, c'est-à-dire le deuxième personnage du gouvernement. Un honneur jusque-là réservé au Garde des Sceaux.
C’est le début de trois années de provocations, dérapages verbaux et transgressions en tous genres. On n’en retiendra que quelques uns. En décembre 1976, quelques jours après l’assassinat de Jean de Broglie, ancien ministre et député de la majorité, Ponia convoque une conférence de presse. « L’affaire est close », déclare-t-il devant les journalistes et les patrons de la police médusés. L’enquête débute, le juge d’instruction n’en encore entendu personne. Mais le ministre d’Etat n’en a pas besoin. En plus de Pierre de Varga, conseiller fiscal du député assassiné, le premier flic de France désigne Patrick Allenet de Ribemont, un conseiller financier international comme commanditaire du meurtre. Ribemont passera deux mois en prison et obtiendra un non-lieu.
En janvier 1977 va s’ouvrir devant la cour d’Assises de l’Aube le procès de Patrick Henri. Celui-ci est jugé pour avoir enlevé et étranglé Philippe Bertrand, un écolier de 8 ans. Henri a avoué. Peu de gens doutent alors du verdict, même si l’accusé est défendu par Me Badinter, qui est déjà le plus célèbre adversaire de la peine capitale.
Cela n’empêche pas le ministre d’en rajouter, devant micros et caméras :
« Si j'étais juré, je me prononcerais pour la peine de mort ».
Peu importe l’indignation, et pas seulement dans les rangs de la gauche. Giscard et son fidèle Ponia considèrent que les Français sont dans une immense majorité favorables à la peine de mort. Et leur électorat de droite (et au-delà), encore plus. Finalement, Patrick Henri sera condamné à la prison à perpétuité.
D’où une question à la réponse évidente : à quoi servent les ministres non politiquement corrects comme Poniatowski ou Hortefeux ? A draguer les électeurs les plus conservateurs et ceux d’extrême droite. Il reste qu’en 1981, les précieux conseils de son ami n’ont pas empêché Valéry Giscard d’Estaing d’être battu par François Mitterrand.
En 1983, au crépuscule de sa carrière politique, Ponia ne se cachait même plus. Il applaudit à la fusion des listes RPR-UDF et Front National lors d’une municipale partielle à Dreux. Ce qui marquait le début de l’histoire moderne du FN.
Mais après toutes ces similitudes, il reste quand même une différence de taille entre le ministre de 1974 et celui de 2010. Il ne s’agit pas ici de la silhouette ronde de l’un et du côté plus élancé de l’autre. On veut parler de l’Ami Président. Autant Valéry Giscard d’Estaing se gardait de tout écart de langage, laissant son Ponia faire le job, autant Nicolas Sarkozy ne se prive de rien. Imbattable sur le discours réac et sécuritaire, l’hyper Ponia, c’est souvent lui.
Un vrai problème pour Brice Hortefeux.
Jean-Pierre Robert.