Dans une époque où la connexion numérique s’impose comme une norme indiscutable, où chaque geste, chaque mouvement, chaque intention est
capté, analysé, prédictible, une posture s’impose progressivement : celle du renoncement tranquille. Non pas celui imposé par la force, mais celui adopté par commodité, par les citoyens eux-mêmes.
Car la surveillance n’est plus uniquement l’apanage des États. Elle est désormais distribuée, fragmentée, disséminée dans les objets de notre quotidien : montres intelligentes, enceintes connectées, applications anodines. Ces dispositifs, auxquels nous nous adressons familièrement, deviennent les yeux et les oreilles d’un système qui nous observe, nous catégorise, nous devance. Et que faisons-nous ? Nous acceptons. Un clic suffit. Fatigués de résister, désireux de simplicité, nous sacrifions sans bruit notre intimité.
Ce glissement vers la résignation numérique n’est pas neutre. En choisissant de ne pas choisir, en laissant nos données s’éparpiller sans objection, nous participons à une forme contemporaine de servitude volontaire. La formule s’impose alors : Cowardice comes to mind. Nous savons ce qu’il en est, mais nous détournons le regard. Non par naïveté, mais par peur de l’inconfort, par crainte de sortir de la norme ou de compliquer nos usages.
Hannah Arendt l’avait pressenti : les régimes oppressifs prospèrent autant sur la coercition que sur la passivité. Ce n’est pas seulement la brutalité qui engendre le totalitarisme, mais aussi l’abdication de la pensée critique. Ce qu’elle désignait comme la “banalité du mal” trouve aujourd’hui une résonance dans notre docilité face à l’emprise numérique. En tolérant la marchandisation de nos vies privées, nous devenons, sans l’avoir voulu, les rouages dociles d’un système de contrôle généralisé.
Cette forme de lâcheté collective ne s’exprime pas dans de grandes abdications, mais dans des gestes anodins : ignorer les paramètres de confidentialité, refuser de questionner l’infrastructure numérique qui nous entoure, se détourner des débats éthiques pour privilégier l’instantanéité.
Et pourtant, il n’y a pas de liberté sans courage. Refuser de choisir, c’est déjà perdre sa souveraineté.
Reprendre la main ne consiste pas uniquement à adopter des outils alternatifs. C’est d’abord une démarche éthique : oser le refus, revendiquer la complexité, affirmer sa vigilance. Il s’agit de cultiver un courage discret mais déterminé — celui qui, jour après jour, oppose une conscience éveillée à la facilité ambiante.
C’est par ces choix modestes mais lucides que nous rompons avec la lâcheté. Non dans le fracas des révolutions, mais dans la dignité de nos résistances quotidiennes. À chaque fois que nous disons non, nous nous réapproprions un fragment de notre liberté numérique.