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Billet de blog 7 décembre 2024

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Lettre à Kamel Daoud, un « auteur » qui aurait mieux fait de se taire

Voici notre réponse collective à la lettre suivante : https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/le-droit-de-se-taire-pour-trouver-les-mots-les-plus-utiles-par-kamel-daoud-20241119_SW6YIZMBSRAX5NGUEU2IK4U6C4/

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Cher « auteur »,

Non, vous n’auriez pas pu être une autrice.

Vous n'auriez pas pu être une de celles que l’on a réduites des années au silence. Pas pu être l'une de ces autrices afghanes qui n’ont désormais plus le droit de faire entendre leur voix à leurs voisines. Pas pu être l'une de ces autrices Palestiniennes emprisonnées pour avoir prononcé un mot de trop sur le génocide que subit leur peuple. Vous n'auriez pas pu être l'une de celles qui ne peuvent s’exprimer sans voir leur intimité bafouée. Son nom est Saâda Arbane. Il n'a pas été prononcé une seule fois pendant votre intervention. Il aurait pourtant mérité de l'être, le nom de celle qui vous accuse, vous et votre épouse qui était sa psychiatre, d'avoir brisé le secret médical en transcrivant sa vie dans votre dernier livre. Elle y a reconnu ses tatouages, sa cicatrice, son lycée, sa relation avec sa mère, son opération, sa pension en tant que victime. En bref, elle y a reconnu son histoire, elle qui a survécu à un massacre de cette décennie sombre pour les algérien.nes, elle qui y a laissé sa voix suite à une tentative d'égorgement. La voix des femmes sera entendue quand des hommes tels que vous arrêteront d'écouter les victimes dans le seul but de s'approprier leurs traumatismes pour nourrir leur propre gloire.

Quand on clame si haut le droit de se taire, il vaut parfois mieux s’y tenir.

Votre propos est accablant. De deux choses l'une ; ou bien vous faites preuve d'une crédulité grossière en imaginant que votre position vous absout de toute responsabilité politique et vous place au-dessus de la mêlée, ou bien vous avez tout à fait conscience que votre vanité ne sert qu'une chose ; donner crédit à la position réactionnaire de Sciences Po. Vous, qui citez Zweig pour légitimer votre détachement, avez peut-être oublié les atermoiements de ce dernier face à l'arrivée d'Hitler au pouvoir, sa réticence à publiquement se dresser contre le fascisme. Face au génocide en cours à Gaza, votre ni-ni n'a qu'une fonction : dépolitiser le conflit en sombrant dans une neutralité caricaturale et hypocrite, qui ne fait qu'invisibiliser la souffrances des opprimé.e.s et donner crédit aux politiques complices de laisser-faire.

Ainsi, remettez-vous en cause la vérité elle-même en la détachant de l'expérience concrète ? « La vérité n'est pas humaine », chacun possède « des raisons différentes, qui procèdent d'une histoire différente » affirmez-vous. Pour vous, le génocide des Palestiniens n'est-il qu'une vérité subjective tributaire de la perception individuelle ? L'emploi d'armes chimiques, le massacre d'enfants et le déplacement de populations entières ne sont-ils qu'un objet de l'imagination ? Peut-être M. Daoud, dans votre fuite, finirez-vous par nous expliquer que sous une certaine acceptation du concept de vérité, l'Etat génocidaire exerce son bon droit car garanti par sa propre subjectivité ? Quelle autre conclusion tirer de vos propos vides et sans signification qui, en trahissant le concept de vérité, souillent la mémoire de ceux qui se battent pour la faire vivre ?

Car non, la vérité n'est pas « le métier des dieux ». Elle est sensible et observable, produit d'une situation bien réelle qu'il est possible d'analyser au lieu de s'en déresponsabiliser. Ce qui, pour vous, rend un combat noble et victorieux, c'est « quand il est mené non pas pour vaincre l'autre, mais pour le convaincre ». Vous évacuez tout rapport de conflictualité, comme si pour arrêter le massacre et la colonisation en cours, il suffisait au peuple palestinien sous la menace des armes d’ouvrir un dialogue avec l’oppresseur. Vous avez de l’enfant non pas l’innocence mais certainement la bêtise (En exposant cette compréhension idéalisée du monde, vous dépolitisez à nouveau la question). Comment imaginer qu’un quelconque débat puisse exister entre une entité coloniale qui annihile le peuple palestinien et ces mêmes palestiniens qui résistent et luttent pour leur survie ?

De la même manière, pensez-vous que s’il avait suffit de discuter avec nos universités pour leur faire reconnaître le génocide et renoncer à leurs partenariats de la honte, cela n'aurait pas déjà été fait ? Votre éloge de la discussion, de l’apaisement et du débat n’est qu’une façade pour masquer votre attitude profondément dogmatique. Si, vous, nouveau Prix Goncourt, avez accès à une telle plateforme au sein même de
Sciences Po, c'est que vous ne faites qu’alimenter le positionnement politique réactionnaire de l'école qui, en refusant de mettre fin à ses partenariats financiers avec des universités et entreprises coupables du génocide en cours s'en rend complice.

Votre avis importe peu, mais ce qu'il dit de notre école et de notre société est significatif. Comble de l'obscène, Luis Vassy vous introduit en empruntant les mots de Camus : « Nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument raison ». Faudrait-il rappeler à vous et celui qui vous diligente que Camus s'est affirmé comme un grand défenseur de l'Algérie française ? Afin de s'autoriser une critique décomplexée des
mobilisations pour le peuple palestinien qui subit la domination coloniale depuis plus de 76 ans, M. Vassy mobilise un auteur colonialiste, pour introduire un auteur algérien qui, lui aussi, nie la légitimité des mobilisations contre la colonisation en Palestine. Lorsque les masques tombent, les imposteurs se révèlent. Leurs mains sont sales du sang de celles et ceux qu’ils ont ignoré.e.s. Et vos mains à vous, M. Daoud, si vous
les pensiez claires, se noircissent de jour en jour.

Derrière votre prétention arrogante à l'apaisement et au dialogue se cache en réalité la volonté de réduire notre indignation à un caprice passager. Mais nous ne hurlons pas, nous exigeons. Nous attendons de notre école qu’elle agisse en respectant les valeurs qu’elle prétend incarner. Et si nous pleurons celles et ceux qu'Israël a massacré à Gaza, ce n'est pas parce que nos origines nous y attachent. Si nous nous battons contre l'injustice qui leur est faite, ce n'est pas parce que nous venons de là-bas, parce qu'eux seuls seraient les nôtres, mais parce que l'Humanité est nôtre. Jamais nous n'oublierons votre responsabilité et celle de ceux qui comme vous, se rangent du côté de l’oppresseur en relativisant la souffrance du peuple palestinien et la nécessité de lutter pour la liberté. Nous l’avions promis : plus jamais ça. Plus jamais l'indifférence. C’était un serment fait face à notre propre barbarie. Aujourd’hui vos mots le trahissent.

Finalement, votre avis n'a aucune importance. Votre lettre n'a rien de beau. Vos mots n'ont aucune valeur quand les enfants de Gaza écrivent sur les rares murs qu'ont épargnés les bombes : « The students give us hope ».

C'est votre silence complice qui participe à priver les opprimé.e.s de celui de la paix. Le poète palestinien Marwan Makhoul écrit : « Pour écrire une poésie /qui ne soit pas politique /je dois écouter les oiseaux /Et pour écouter les oiseaux /il faut que le bruit du bombardier cesse. »

Nous avons choisi. Nous faisons entendre le silence des cris de celles et ceux que l'on ignore. Pour que leurs derniers mots de vie ne restent pas lettre morte.

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