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Billet de blog 22 mars 2024

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Solidarité universitaire avec la Palestine

À Sciences Po, un rassemblement pro-Palestine dénonce l'épistémicide et la complicité institutionnelle. Il revendique la solidarité, appelant à l'action pour la justice et la mémoire des victimes. Tribune du Comité Palestine Sciences Po.

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Journée européenne de solidarité universitaire avec le peuple palestinien © Comité Palestine de Sciences Po

Le matin du 12 mars 2024, le Comité Palestine a investi l'amphithéâtre le plus symbolique de Sciences Po de 8 heures à 12 heures pour parler de la Palestine. Plusieurs présentations, émanant notamment de doctorant·es à Sciences Po ou encore d’un réfugié gazaoui qui s'est récemment enfui en Égypte, ont abordé divers sujets comme celui des réfugiés palestiniens ou du judaïsme et de l'antisionisme. Les présentations ont été suivies d'un vote pour rejoindre le « walkout » organisé par d'autres associations étudiantes, aboutissant à une manifestation devant le bâtiment emblématique du 27, rue Saint-Guillaume. À son apogée, environ 300 étudiants se sont mobilisés en solidarité avec la cause palestinienne.

Cependant, sans aucun fondement légitime, cet événement largement repris par la presse a été dépeint par certains comme un foyer supposé d'antisémitisme. Aurore Bergé l'a jugé intolérable et illégal, tandis que Sylvie Retailleau a déclaré qu'une ligne rouge avait été franchie. Gabriel Attal s’est rendu à Sciences Po pour exercer une pression, dépassant les procédures administratives en saisissant le procureur de la République. Emmanuel Macron, quant à lui, a condamné les propos rapportés dans les médias comme « inqualifiables et parfaitement intolérables ». Néanmoins, dans les jours qui ont suivi, les témoignages ont commencé à évoluer et des clarifications ont été apportées. Malgré ces précisions, qui excluent toute forme d'antisémitisme et reflètent notre solidarité avec la cause palestinienne, nous avons injustement subi les répercussions de ce déferlement médiatique.

Les événements qui ont suivi le 12 mars à Sciences Po ne sont pas une exception, mais des révélateurs de la manière dont nos sphères de pouvoir - qu'il s'agisse des médias ou de la politique - déforment quelconque volonté d’exprimer notre solidarité avec le peuple palestinien en un champ de bataille d’une guerre culturelle, servant d'allégorie aux problèmes franco-français. Ce cadrage a transformé une mobilisation étudiante visant à exercer une pression sur notre institution académique par le biais d'une action directe en un récit sensationnaliste - un avertissement pour l'avenir de la France si « l’islamo-gauchisme » et le « wokisme » ne sont pas arrêtés. Cependant, nous n'avons pas passé des semaines à organiser cette action pour alimenter une sociologie de comptoir souvent entendue chez les chroniqueurs de plateau, et qui est depuis longtemps dépassée. Ces accusations d'antisémitisme à l'encontre du mouvement de solidarité avec la Palestine sont intolerables. Nous refusons d'être instrumentalisés par quiconque et voulons reprendre le contrôle du récit de notre action. Tout d'abord, nous souhaitons réitérer nos demandes. 

Nous demandons :

  • Une minute de silence en hommage aux plus de 30 000 palestinien.ne.s tué.e.s dans la campagne de bombardement systématique menée par Israël depuis le 7 octobre.
  • Une condamnation publique des actions du gouvernement israélien et un appel à un cessez-le-feu permanent, accompagnés de la fin de l'occupation illégale des territoires palestiniens.
  • La rupture de tous les liens et partenariats avec les universités israéliennes et toutes les entreprises complices dans le financement, l'armement ou le soutien de l'agression continue d'Israël contre Gaza, reconnue comme posant un risque plausible de génocide par la Cour Internationale de Justice.

Notre réponse à l'appel lancé par la Coordination Universitaire Contre la Colonisation en Palestine (CUCCP) pour la Journée Européenne des Mobilisations Universitaires est totalement cohérente avec la manière dont Sciences Po souhaite être perçue : une institution de renommée internationale avec une compréhension profonde du droit international et des droits de l'homme, tant sur le plan intellectuel et académique que pratique. La raison d'être de Sciences Po choisie en 2023 est de "comprendre notre temps pour agir sur le monde", un principe fondamental de notre lutte pour une Palestine libre.

Au cœur du malaise que notre action a provoqué, il y avait le fait de voir des étudiant.e.s principalement racisé·es - censé·es accepter leur admission à Sciences Po avec une gratitude indéfectible - mener cette mobilisation en soutien au peuple palestinien. Mais la France a changé. Ce mouvement marque une mutation des forces qui composent l’école qui forme ses futurs dirigeants. Dans sa richesse, elle est en effet maintenant aussi composée d’étudiant.e.s d’origine algérienne, malienne, vietnamienne ou pakistanaise.

Bien que cela ait pu être représenté de cette manière, soutenir la libération palestinienne n'est pas réservé aux Arabes, aux musulman·es, aux immigré.e.s ou à d'autres personnes racisé·es. S'opposer à un génocide n'a comme prérequis que la dignité humaine, mais notre engagement politique dans le contexte universitaire ne découle pas uniquement d'une préoccupation humanitaire. C'est parce que nous comprenons que le crime de génocide va bien au-delà du simple coût humain des vies perdues. La bande de Gaza abritait 12 universités, toutes réduites en cendres. La bande de Gaza abritait l'une des populations les plus instruites au monde, dont les 2 millions de personnes font désormais face à une famine imminente. Dans la bande de Gaza, les palestiniennes étudiaient, allaient à l'école, obtenaient des diplômes, débattaient sur des théories académiques, menaient des recherches et partageaient leurs connaissances, non seulement entre eux, mais avec le reste du monde. En ce moment même, des milliers de nos collègues et camarades ont été tués par les bombes israéliennes, la maladie et maintenant la famine.

Ce processus porte un nom : l'épistémicide. En Europe, nous pouvons tenter de l'ignorer sous le prétexte de la neutralité dans le milieu universitaire, mais l'annihilation d'un système de connaissances entier est un prix bien trop colossal à payer pour notre silence. Cela ne peut pas être uniquement le fardeau des palestinien.e.s, car le génocide vole à l'humanité toute entière. En tant que membres de la communauté universitaire, bénéficiant du privilège d'être situé.e.s au cœur de l'impérialisme, notre devoir est de soutenir nos collègues et camarades palestinien.ne.s. Ceci n’est pas un acte de charité, mais une solidarité fondamentale. La position de Sciences Po en tant qu'institution de renom dans les domaines des affaires internationales et des sciences sociales souligne davantage son rôle central dans cette lutte. Nous serons là pour le leur rappeler, autant de fois que nécessaire.

Nous assistons à une levée progressive du silence et de l'autocensure. En réagissant ainsi, Sciences Po et le gouvernement ont involontairement suscité un élan de solidarité parmi les étudiant·es, les professeur·es, les doctorant·es et les travailleur·euses. Au lieu de nous décourager, leurs actions nous ont incité.e.s à nous rassembler, à nous organiser et à nous mobiliser pour provoquer un changement au sein de notre institution. Unis dans notre détermination, nous sommes résolus à exiger que cette institution cesse toute complicité avec un État risquant, selon la Cour internationale de Justice, de se rendre coupable d'un génocide contre le peuple palestinien. Nous espérons que d'autres universités se joindront à notre combat.

- Comité Palestine Sciences Po

En mémoire du Professeur Sufyan Taya, du Professeur Said al-Zebda, du Professeur Muhammad Shabir, du Professeur Ibrahim al-Astal, du Docteur Khitam el-Wasife, du Professeur Omar Ferwana, du Professeur Nismah Abu Sha’ira, du Professeur Fadel Abu Heen, du Professeur Mohammed al-Nabahin, du Professeur Refat al-Areer, du Professeur Ezzo Afana, du Professeur Mohammed Abu Amara, du Professeur Amin al-Bahtiti, du Professeur Said al-Dahshan, du Professeur Salem Abu Mokhdeh, et des 80 autres professeurs, 231 enseignants et 4327 étudiants tués par les bombes israéliennes. Ce nombre continue d'augmenter chaque jour.

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english version

On the morning of March 12th 2024, the Comité Palestine occupied Sciences Po's most symbolic amphitheater from 8 am to 12 pm to talk about Palestine. Various presentations covered topics ranging from Palestinian refugees to Judaism and anti-Zionism, featuring speakers from doctoral students at Sciences Po to a Gazan refugee who recently fled to Egypt. The presentations were followed by a vote to join the walkout organized by other student associations, which culminated in a protest outside the emblematic 27 St. Guillaume building. At its peak, around 300 students were mobilized in solidarity with the Palestinian cause.

However, despite lacking any proven basis, this event was picked up by the press and depicted as a cesspool of antisemitism. Aurore Bergé deemed it intolerable and illegal, while Sylvie Retailleau stated that a red line had been crossed. Gabriel Attal came to Sciences Po to pressure the administration into surpassing internal disciplinary procedures by involving the public prosecutor. As for Emmanuel Macron, he condemned the remarks reported in the media as "unfathomable and utterly intolerable." In the days that followed, however, testimonies began to change and more details surfaced. Despite these clarifications, which exclude any form of anti-semitism and simply reflect our solidarity with the Palestinian cause, we have unfairly suffered the repercussions of this media frenzy.

The events following March 12th at Sciences Po are not an exception but indicative of how our spheres of power — be it the media or politics — distort any discourse, mobilization, or action in solidarity with the Palestinian people into a battleground of the ongoing culture war, serving as an allegory for Franco-French issues. This framing turned a student mobilization aiming to pressure our academic institution through direct action into a cautionary tale – an omen for France’s future if “islamo-leftism” and “wokeism” are not stopped. Yet, we did not spend weeks organizing this action for it to be used to try and reinvigorate some television panelist’s attempts at armchair sociology which has long gone stale. These accusations of antisemitism against the Palestinian solidarity movement are intolerable. We refuse to be instrumentalized by anyone and want to regain control of the narrative of our action. To begin this endeavor, we would like to reiterate our demands. 

We demand:

  • A minute of silence for the more than 30,000 Palestinians killed in Israel's systematic bombing campaign since October 7th.
  • A public condemnation of the actions of the Israeli government and a call for a permanent ceasefire, alongside an end to the illegal occupation of Palestinian territories.
  • Severing all ties and partnerships with Israeli universities and any companies complicit in funding, arming, or providing discursive support for Israel's ongoing assault on Gaza, recognized as posing a plausible risk of genocide by the International Court of Justice.

Our response to the call issued by the University Coordination Against the Colonization of Palestine (CUCCP) for the European Day of University Mobilizations is entirely consistent with the way that Sciences Po wants to be perceived by the public: an internationally renowned institution with a profound intellectual, academic and practical understanding of and commitment to international law and human rights. Sciences Po's raison d'être is to "understand our time to act on the world," a principle central to our struggle for a free Palestine.

The core of the distress caused by our action stemmed from the sight of predominantly non-white students – expected to accept their admission into Sciences Po with unyielding gratitude –  taking the lead in this mobilization in support of the Palestinian people. France is only now realizing that the future of her political landscape is changing as the school where her future leaders are educated now also includes students of Algerian, Malian, Vietnamese or Pakistani descent. 

While it may have been depicted this way, supporting Palestinian liberation is not reserved for Arabs, Muslims, immigrants or other racialized persons. Standing against a genocide has no prerequisite other than that of human dignity, but our political engagement in the university context does not solely emanate from a humanitarian concern. This is because we understand that the crime of genocide extends so much further than the sheer human cost of lives lost. The Gaza strip was home to 12 universities, all of which have been razed to the ground. The Gaza strip was home to one of the most literate populations in the world, all 2 million of which are now facing imminent famine. In the Gaza strip, Palestinians studied, went to school, got degrees, debated on academic theories, conducted research and shared their knowledge, not just with each other, but with the rest of the world. Right now, thousands of our colleagues and comrades have been killed by Israeli bombs, disease, and increasingly famine. 

This process has a name: epistemicide. In the West, we may attempt to ignore it under the guise of "neutrality" in academia, but the annihilation of an entire knowledge system is too colossal a price to pay for our silence. This cannot be solely the Palestinians' burden, because this is what genocide robs from humanity as a whole. Our role as an academic community with the privilege of being situated in the imperial core is to support our Palestinian colleagues and comrades, not out of charity, but as a fundamental act of solidarity. Sciences Po's position as a leading institution in international affairs and the social sciences makes its role in this struggle even more obvious. We will be here to remind them of that, as many times as it takes. 

We are starting to see the veil of silence and self-censorship lifting. By reacting the way that they did, Sciences Po and the government have inadvertently sparked a groundswell of support from students, professors, doctoral candidates, and workers. Instead of discouraging us, their actions have inspired us to unite, organize and mobilize for change in our university. Together, we are determined to compel this institution to end its complicity with a state which, according to the International Court of Justice, faces a plausible risk of committing genocide against the Palestinian people. We hope that other universities will join our fight. 

- Comité Palestine Sciences Po

In memory of Professor Sufyan Taya, Professor Said al-Zebda, Professor Muhammad Shabir, Professor Ibrahim al-Astal, Doctor Khitam el-Wasife, Professor Omar Ferwana, Professor Nismah Abu Sha’ira, Professor Fadel Abu Heen, Professor Mohammed al-Nabahin, Professor Refat al-Areer, Professor Ezzo Afana, Professor Mohammed Abu Amara, Professor Amin al-Bahtiti, Professor Said al-Dahshan, Professor Salem Abu Mokhdeh, and the 80 other professors, 231 teachers and 4327 students killed by Israeli bombs. This number continues to grow each day. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.