Rien ne diffère en l’homme actuel de son lointain aïeul : l’homme de Cro-Magnon. Du point de vue anatomique, même capacité crânienne, même structure du visage, même angle facial. Zoologiquement parlant, c’est le même animal que nous. Les différences ne sont pas d’ordre chromosomique, mais par le développement de la conscience réfléchie. C’est l’intelligence qui est l’originalité de la branche humaine.
Contrairement à bon nombre d’espèces animales, l’homme n’est organiquement lié à aucun milieu. Toute spécialisation devient sans objet. Par sa culture et sa technologie, l’homme a brisé la sélection naturelle et crée une nouvelle pression sélective, lié à l’intelligence. Cependant si l’innovation organique est inscrite dans le génome, l’innovation culturelle ne l’est pas. C’est ce qui permet à l’homme de s’inventer sans cesse comme nouvel être culturel pour perpétuer sa branche.Le langage ou parole, phonétique, gestuel participe de la même mécanique psychologique, que la réalisation d’outil. Comme le mot, l’outil traduit un concept, il implique un certain pouvoir d’abstraction. Le langage humain, pour important qu’il soit ne constitue pas une innovation radicale. Mieux vaut considérer le langage comme le développement, dans une voie originale et particulièrement favorable, d’une fonction préexistante (de la biologie à la culture J.Ruffié). Sans moyens d’intégration adéquate, la société du type humain aurait disparu. Du langage gestuel au langage parlé, l’apparition de l’écriture, la diffusion, l’audio visuel, la communication informatisée participe à l’équilibre du groupe humain. Je reprends J.Ruffié : « Ils assurent l’unité culturelle de l’humanité. » Avec les mêmes capacités du cerveau, l’homme domestique le feu, façonne des outils de plus en plus complexes, et abstrait sa pensée et son langage pour l’inscrire dans une structure linguistique et culturelle.
L’écrit vit le jour entre 3300 et 3100 avant notre ère. Combien de chemin parcouru avant qu’il n’arrive sous la forme d’une succession de bits, décodés par nos machines, en temps réel et sans limite de diffusion. Emergence d’une nouvelle culture, où la communication recrée un nouveau tissu d’intégration. Cela re-dimensionne le rapport à l ‘écrit, dans sa diversité, son pouvoir de pénétration et de diffusion, son rôle régulateur des tensions. Autrefois l’apanage des scribes, de moines et d’une poignée d’érudit, il devient par l’apprentissage obligatoire, d’une grande partie de pays, la possession de tous. Bien entendu, je ne nie pas que l’écrit possède des codes d’appartenance soit sociale, culturelle ou professionnelle, que les catégories cherchent à correspondre perpétuant leur appartenance, mais il se dessine en dépit de cela, une avancée humaine. Dans cette innovation, l’information tient un rôle prédominant par de nouvelles conceptions, la diffusion et les prolongements. Les frontières de l’écrivant aux lecteurs, de l’informant a l’informé sont plus perméables, voire parfois terriblement minces.
Je me souviens d’un temps pas si lointain, ou je contemplais au marbre, la dextérité d’un typographe, assemblant, calant les minuscules signes qui devaient donner une page du journal France Soir. C’était l’époque du conflit du Parisien Libéré, nous parlions de métiers de la presse, dont le journalistes étaient un maillon. Le signe et la lettre se transmettaient par l’encre. Les rotatives scellaient l’opinion sur le quotidien, le temps des grands quotidiens. Victimes des crises, des coûts une partie de la presse disparaît ou est en voie, quelques journaux je l’espère survivront, mais combien de cadavres de ces grands témoins des siècles de l’écrit journalier. Place au temps réel, l’information en continue par l’écrit. Des temps fort, des multitudes relais, ses prolongements en reprise, ses retombées. De ce nouvel état de l’homme culturel, notre espèce se re-perpétue, développe un nouveau tissu qui place l’écrit comme élément fondateur d’un nouveau développement humain. (J’accorde peu de place à l’audiovisuel, bien qu’étant lui aussi, dans ce développement. Je pense qu’il n’y pas d’antagonisme entre l’écrit et l’oralité, l’audiovisuel à plus un rôle de témoignage).
La faiblesse du système est l’archivage, le potentiel de la méga bibliothèque à léguer aux générations. Il me paraît impossible de chiffrer, l’énorme quantité de documents qui ont été mis en circulation sur la Toile, depuis sa création. Sera t- il possible demain de constituer un fonds mondial des écrits, qu’elle en sera le classement, les index. Sur quels critères seront constitués les écrits majeurs ? Lorsque je consulte les archives des vieux papiers, ils sont pleines pages recelant une multitude d’informations, sur le jour et l’époque. Je peux regretter l’archivage plus formel des nouveaux médias : Un sujet, un article. De toute cette immense somme de documents, sortira-t-il tel ou tel écrit, référence d’une époque, comme ont put l’être les textes fondateurs des différents mouvements des générations papier. Autant de questions qui montre l’enjeu de cette nouvelle société des humains.
Je conclurais par un extrait de l’excellent livre de clarisse Herrenschmidt « Les trois écritures » : « La Toile nous entoure d’une mémoire flottante imaginaire, plus profonde que celle d’un ordinateur puisqu’elle la démultiplie, comme elle fait de « l’espace » du bureau de l’écran. Elle figure une gigantesque halle où accéder à tout, pour le meilleur et pour le pire. Le pire ? Sites de propagande d’idéologie de destructions bien connues, de haine raciale et politique ouverte, site pornographiques, sites pseudo-savants diffusant des sottises ou des monstruosités, blogues bavards, voire mensongers. La Toile existe sans contrôle -ce qui est souhaitable-, elle est - « le lieu de l’excès », comme le dit Roger Chartier – ni la beauté ni l’humour ne constituent ses qualités majeures. Et pourtant elle évoque cette Bibliothèque universelle dont ont depuis longtemps rêvé lecteurs et savants, illustrée par l’antique Bibliothèque du roi Assyrien Assurbanipal(669-630 avant notre ère) réunissant à Ninive des milliers de tablettes cunéiformes, par la Bibliothèque d’Alexandrie du temps des princes hellénistisques où peut-être 490 000 rouleaux furent entreposés, étiquetés, rangés et conservés, avec des index pour les retrouver … -