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Billet de blog 12 octobre 2014

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De la naissance à la mort, la poésie de la vie

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L’enfance

Pour le commun des mortels (c’est-à-dire pour chacun d’entre nous), il n’est guère de plus grand souci ni de plus grand bonheur que prendre soin des enfants (et des petits enfants). C’est la loi de la vie et de l’amour (qui a toujours à voir avec le culte de la vie, sa transmission, sa protection).

De ce point de vue, L’Art d’être grand-père est un livre qui mériterait d’être lu ou relu. Je ne connais pas d’écrivain français qui ait parlé avec tant de justesse, de finesse et de réalisme des enfants. (Et c’est aussi un livre très politique dirigé contre le cléricalisme et la conception réactionnaire de l’éducation.)

« Moi qu’un petit enfant rend tout à fait stupide
J’en ai deux ; Georges et Jeanne ; et je prends l’un pour guide
Et l’autre pour lumière, et j’accours à leurs voix
Vu que Georges a deux ans et que Jeanne a dix mois. »
Auprès des petits, le grand homme rapetisse et rajeunit :
« Oui, devenir aïeul, c’est entrer dans l’aurore.
Le vieillard gai se mêle aux marmots triomphants.
Nous nous rapetissons dans les petits enfants. »

Le babil des enfants qui parlent à peine l’émeut et il saisit ce langage d’avant le langage. « Jeanne parle : elle dit des choses qu’elle ignore. »

La scène aux Jardin des plantes où les enfants regardent l’ours, les singes, le serpent ou l’éléphant, est un sommet de liberté et d’art où le vers rejoint et épouse le langage parlé.

Il est vrai qu’Hugo écrit plus sur les enfants que pour les enfants. (Encore que ses poèmes "marchent" très bien avec les enfants, même tout petits…)

Les poèmes sur les enfants et pour les enfants existaient bien sûr avant lui.

Je pense en particulier aux nombreuses comptines de la poésie populaire, ou au "Rondeau en langage enfançon" de Charles d’Orléans.

« Quant n’ont fait assez dodo
Ces petits enfanchonnés
Ils portent soubz leurs bonnés
Visages plains de bobo. »

Et depuis Hugo, au XXe siècle en particulier, cette poésie pour les enfants a grandi au point de devenir, même si on le méconnait souvent, un grand domaine de la poésie. Soupault, Desnos, Lorca, Prévert, Pierre Gamarra, Gianni Rodari ou René de Obaldia, par exemple, ont beaucoup contribué à cela.

La poésie pour les enfants plaît aux enfants et les rend heureux.

En particulier quand elle transgresse les interdits. Les gros mots y ont leur place. Ce qui est sale et vilain aussi. Mais emporté par le jeu et transporté par le rythme et l’enjouement du poème. Car la beauté des poèmes pour les enfants (où la tendresse a aussi sa part) n’est pas une beauté froide et impavide. C’est la beauté de la vie. Les grincheux trouveront peut-être qu’écrivant pour les enfants, souvent, les poètes bêtifient. (Trop souvent, en effet on réserve aux enfants des poèmes infantilisants et cucul-la-praline, des rimailleries pseudo-pédagogiques. )

Quand les poètes font les idiots, c’est avec intelligence et en respectant les enfants qui ne sont pas des imbéciles.

« Un enfant a dit
je sais des poèmes
Un enfant a dit
ch’sais des poaisies. »

écrivait le très savant Raymond Queneau… mais c’est le privilège de la poésie de maintenir en nous l’esprit d’enfance. Peut-il y avoir poésie sans que se prolonge loin dans l’âge adulte le sens de l’émerveillement de l’enfance ? Et le sens du jeu ?

Bien sûr, la poésie n’est pas qu’un jeu gratuit sur les mots. Mais sans le sens du jeu, il n’y a pas de poésie. Le jeu est précieux. C’est ce qui permet aux enfants de grandir. Et aux adultes de conserver le goût de la liberté et la capacité d’imaginer. Dans toute machine, dans tout système, dans toute société et dans toute pensée, il faut qu’il y ait un peu de jeu pour que les pièces bougent, pour que le mouvement et le changement soient possibles.

La vieillesse et la mort

Les enfants n’ont de cesse de grandir… Et les grands, qui ne grandissent plus mais vieillissent, regardent l’enfance avec nostalgie, sans pour autant désirer "retomber en enfance". Ils ont raison car ils savent que la vie passe vite. La poésie (comme l’art en général) est une entreprise utopique et obligatoirement désespérée (mais pas pour autant désespérante) d’arrêter le temps.

« Ô temps, suspends ton vol ; et vous heures propices
suspendez votre cours.»

écrivait Lamartine dans "Le Lac", son poème sans doute le plus célèbre. Ce pourrait être le mot d’ordre de tout poème car tout poème est une tentative d’arrêter l’instant qui passe, de fixer une émotion, un instant fugitif, d’éterniser la vie.

Les êtres humains se distinguent dans le règne animal par la conscience aigüe qu’ils ont de leur condition mortelle, qui est d’être né, de vivre une histoire et de passer. La mort est évidemment un grand thème de la poésie universelle, particulièrement de la poésie occidentale. Il y a, en particulier depuis la fin du XIXe siècle tout un courant de notre culture qui se complaît dans la contemplation de la mort et du néant où elle croit trouver la profondeur. Sans doute est-ce lié au sentiment exacerbé de l’individu qui voit dans sa propre fin la fin de tout.

 La réponse des religions à la crainte de mourir est la promesse de la vie éternelle. Celle des philosophes est d’essayer de nous apprendre la sagesse, la résignation ou l’indifférence. Épicure disait que la mort ne nous concernait pas car là où nous sommes elle n’est pas et là où elle est nous ne sommes plus.

(Mais les philosophes ne peuvent nous guérir de la crainte de mourir. Tout au plus pourraient-ils nous enseigner la peur de n’avoir pas vécu.)

Pour la plupart des gens, la vie consiste à faire comme si nous ne devions pas mourir. Et comme le notait Lafontaine, devant un danger auquel on ne peut rien, le plus imprévoyant est le plus sage. Pourtant, sans doute est-ce ce qui nous pousse à aimer, à construire, à créer, à donner la vie et à la prolonger.

Éluard achevait une conférence qu’il donnait à Londres, en juin 1946, en affirmant que « La poésie véritable est incluse dans tout ce qui affranchit l’homme de ce bien épouvantable qui a le visage de la mort… »

Pour ma part, je partage cette poétique de la vie. Celle qui animait Brecht, quand près de mourir, dans la chambre blanche de l’hôpital de la Charité à Berlin, il écrivait :

« …Maintenant
Je réussis même à me réjouir
Des chants du merle après moi. »

Car la mort, après tout, ce n’est que la vie qui continue sans nous.

Francis Combes, 10 octobre 2014

Paru dans Cerises n°231

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