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Billet de blog 23 septembre 2016

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Les priorités incomplètes de la France face aux moyens de Daesh

Un important rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les moyens de Daesh est paru. Cerises publie la contribution du député François Asensi, au nom du groupe de la gauche démocrate et républicaine, qui demande un renforcement de la lutte contre le financement du terrorisme et de nouvelles orientations diplomatiques de la France.

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La naissance de la mission d’information, suite aux attentats des 7 et 9 janvier [2015] et du 13 novembre [2015], portait la volonté partagée par l’ensemble de la représentation nationale de mieux mesurer l’étendue des moyens dont dispose l’organisation terroriste État islamique et d’avancer une stratégie globale pour les réduire. Elle marque la place croissante des parlementaires dans la politique extérieure de la France. Les affaires internationales ne relèvent plus uniquement du domaine réservé de l’exécutif, y compris sur un sujet aussi sensible que la lutte contre le terrorisme. Les députés du groupe de la gauche démocrate et républicaine se félicitent de cette avancée pour la démocratie parlementaire.

Dans le cadre de la mission d’information sur les moyens dont dispose Daech, les députés ont interrogé plus d’une trentaine de personnalités susceptibles de répondre aux interrogations sur les moyens humains, matériels et financiers dont dispose l’organisation terroriste. La conduite des travaux par le Président et le Rapporteur a donné toute satisfaction ; la grande variété des intervenants a permis de mener des travaux approfondis et d’obtenir de nombreux éclaircissements à propos de la stratégie mise en place par Daech dans les territoires où l’organisation est présente.

Pour enrichir ce travail, les députés du groupe GDR souhaitent réaffirmer les priorités suivantes, sans lesquelles la lutte nécessaire contre Daech ne manquerait pas d’être incomplète.

Daech, une organisation terroriste
aux moyens financiers hors norme

a) État des lieux

L’organisation terroriste État islamique, installée sur un territoire comprenant l’Irak, la Syrie et la Libye, dispose de ressources annuelles estimées à plus de 2 milliards de dollars. Selon le président du Centre d’analyse du terrorisme Jean-Charles Brisard, l’argent de Daech provient en premier lieu du pétrole et de sa vente, qui représente plusieurs centaines de millions de dollars par an. Les réserves de l’État islamique en pétrole sont très importantes, évaluées à 2000 milliards de dollars. De plus, l’organisation s’appuie sur les taxes et impôts prélevés sur les populations sous contrôle de l’organisation, la contrebande de céréales et de coton, le trafic d’antiquités, ainsi que sur les kidnappings et l’esclavage comme le rapporte l’économiste Christian Chavagneux. Il existerait également des dons transitant par des ONG islamistes.

Pour réduire les capacités de financement de Daech, les seuls bombardements aériens de la coalition internationale ne suffisent pas. Ils n’ont en effet réduit que de 16 % les ressources annuelles de l’État islamique, qui a réussi à s’adapter à toutes ces contraintes. La baisse des revenus liés au pétrole a entraîné de façon mécanique une augmentation des taxes et des impôts, ce qui a permis au groupe de maintenir un budget presque stable, d’après certains experts.

b) Renforcer la lutte contre le financement du terrorisme

Des sanctions économiques ont été mises en oeuvre, afin de réduire les possibilités de financement du terrorisme. Toutefois, malgré les déclarations encourageantes des pays du G20, certains pays continuent à mener un jeu trouble. L’Arabie Saoudite et le Qatar se sont joints à cette volonté, alors que les deux pays seraient soupçonnés de financer le terrorisme. L’État islamique bénéficie de la complaisance de certains pays voisins. Nous devons opposer à ces États la plus grande fermeté. À ce titre, les facilités fiscales accordées en France aux résidents qataris ne sont pas justifiées, à l’heure où le volontarisme de la pétromonarchie sur le plan de la lutte internationale contre le terrorisme reste à prouver. Elles ne sont pas exemptes du risque d’alimenter la nébuleuse financière de ce pays, nébuleuse entretenant des ambiguïtés avec l’organisation Daech. La convention du 4 décembre 1990 a déjà permis d’éviter les doubles impositions pour les résidents et investisseurs qataris en France. À travers sa révision en 2008, la retenue à la source sur les dividendes a été supprimée, les sociétés de l’Emirat perçoivent un nombre croissant de bénéfices et l’avenant exonère d’impôts sur la fortune pendant cinq ans les biens hors de France des qataris résidant dans notre pays. Un texte ratifié par le Parlement et entré en vigueur en 2009 prévoit même une exonération totale des plus-values immobilières réalisées par l’émirat ou par "ses entités publiques" sur les biens détenus en France.

D’autres mesures complémentaires peuvent être mises en place pour réduire drastiquement les moyens financiers dont dispose Daech. Une partie des fonds de l’organisation aurait été délocalisée dans les paradis fiscaux, selon le chercheur irakien Hisham al-Hashimi. Les cadres de l’État islamique auraient réactivé les réseaux utilisés par Saadam Hussein et le parti Baas, en ouvrant des sociétés offshores au Liban, en Turquie, en Malaisie, en Indonésie ou encore à Chypre. Ces pays sont très mal notés par le Gafi (Groupe d’action financière), organisme luttant contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. La lutte contre les paradis fiscaux apparaît comme une mesure sine qua non pour combattre le financement du terrorisme international. Il est nécessaire de supprimer tous les territoires opaques, comme le défend le chercheur Eric Venin. Cela passe par la suppression du secret bancaire de certains territoires et par des échanges d’informations bancaires, comme le réalisent les États-Unis. Ces mesures permettraient de bloquer à la source les réserves financières de Daech. Sur ce terrain, beaucoup trop de temps a été perdu par les principaux pays de la planète et par les gouvernements français successifs. Les députés du Front de gauche regrettent que les propositions qu’ils ont formulées depuis de nombreuses années pour empêcher les transactions avec les paradis fiscaux n’aient pas été entendues. Le chercheur Luc Lamprière estime que « la lutte contre les paradis fiscaux ne fait que commencer et 90 % du chemin reste encore à parcourir ».

Daech se sert des failles de nos économies et de nos institutions. Assécher durablement le financement de Daech réclame inévitablement que les États reprennent la main sur un système capitaliste ultrafinanciarisé qui favorise les circuits de l’argent sale.

c) Comment s’assurer que les entreprises françaises ne commercent pas avec l’État islamique et ne participent pas indirectement à son enrichissement ?

Le 21 juin 2016, le journal Le Monde a affirmé détenir des informations sur le financement indirect de Daech par la cimenterie de la société Lafarge basée en Syrie entre 2013 et 2014. L’entreprise aurait payé des droits de passage afin de franchir les frontières de zones contrôlées par l’organisation terroriste, ainsi que des intermédiaires afin de se fournir en pétrole sur le territoire qu’elle contrôle. L’affaire Lafarge pose question. D’autres entreprises françaises et internationales étaient présentes en Syrie et en Irak. En Belgique, le journal Le Soir indique que 997 entreprises seraient au coeur d’échanges commerciaux avec la Syrie et 865 avec l’Irak. L’organisation terroriste est au coeur du trafic sur le pétrole et sur les matières premières. 90 % des champs de coton en Syrie, l’un des premiers producteurs du monde, sont contrôlés par Daech.

Le chaos régional et la complexité des circuits commerciaux et financiers ne permettent pas de s’assurer que l’activité des entreprises françaises et européennes ne vienne soutenir indirectement l’État islamique.

C’est ainsi qu’il faut comprendre les déclarations de Jana Hybaskova, ambassadrice de l’Union européenne en Irak, affirmant lors du Comité des Affaires étrangères du Parlement européen de septembre 2014 que certains pays européens avaient acheté du pétrole à "l’État islamique" sans même le savoir. Ces transferts s’opèrent en effet par le biais de multiples intermédiaires, notamment sur le sol turc, grâce à la passivité, voire le double jeu des autorités de ce pays ayant rejoint tardivement la mobilisation internationale contre le terrorisme et désormais frappé régulièrement par de sanglants attentats.

Pour mettre fin à ces incertitudes, la lutte contre les pratiques troubles de certains acteurs économiques doit constituer un axe prioritaire des systèmes judiciaires européens. Pascal Saint-Amans, Directeur du Centre de politique et d’administration fiscale de l’OCDE, souligne que la France reste en retard dans le déclenchement d’investigations judiciaires sur les faits de corruption impliquant des entreprises françaises à l’étranger. Aucune impunité n’est acceptable en pareille matière.

Plus largement, les régimes politiques au pouvoir dans la région ont forgé leur développement sur la rente pétrolière. Aujourd’hui, beaucoup sont frappés par le dutch disease ou la malédiction des matières premières. Economies exsangues, clientélisme, corruption, guerres … Le système économique international fondé sur le modèle du tout-pétrole montre ses grandes limites à assurer la paix et le développement sur l’ensemble de la planète.

Daech : un produit des interventions militaires occidentales des années 1990-2000

1) État des lieux

L’État islamique est le fruit des différentes interventions occidentales au Proche et Moyen-Orient (première guerre du Golfe de 1991, guerre d’Afghanistan de 2001). L’intervention américaine en Irak en 2003, sous des motifs fallacieux, a provoqué une onde de choc profonde, disloquant les institutions de ce pays et déstabilisant les pays riverains. La volonté hégémonique et belliqueuse, au coeur de la doctrine de l’OTAN, s’est nourrie de la funeste thèse du "choc des civilisations". Seule la posture de refus de plusieurs pays occidentaux, dont la France rassemblée dans ses différentes composantes autour du choix du Président Chirac, ont permis d’éviter une profonde rupture avec le monde arabe. L’émergence de Daech se place ainsi dans une perspective historique, les facteurs géopolitiques et économiques prédominant largement sur les clefs de compréhension ethnico-religieuses. Le ressentiment hérité des différentes interventions militaires a amené une partie de la population à soutenir l’organisation État islamique.

2) Des interventions qui ont conduit à la dislocation des États

La déstabilisation de la région, à partir de la guerre du Golfe, a conduit à un éclatement des États hérités du vingtième siècle et des accords Sykes-Picot. Les interventions successives n’ont pas permis de promouvoir de nouvelles forces politiques progressistes. En Afghanistan et en Irak, les régimes corrompus ont été remplacés par des régimes confessionnels proches des intérêts occidentaux. En Afghanistan, la politique menée par Hamid Karzai a cristallisé les tensions. En Irak, la politique pro chiite menée par Nouri Al-Maliki a renforcé les tensions confessionnelles et a conduit à la marginalisation des sunnites, tout en continuant de bénéficier du soutien des USA. Les chercheurs Olivier Hanne et Thomas Flichy expliquent que ces tensions grandissantes ont contribué à l’émergence de groupes informels proches du banditisme, et dans certains cas liés au terrorisme. Les groupes sunnites criminels représentent les premiers signes de la concentration des djihadistes du monde entier en Irak. Pour la population sunnite, l’État islamique s’est affirmé comme le porte-voix de leurs revendications, après les humiliations subies lors de ces vingt dernières années.

3) Contre Daech, promouvoir une autre solution politique

L’organisation État islamique ne pourra être vaincue sans qu’une solution politique nouvelle, fondée sur le respect des peuples, s’impose dans la région. Bernard Bajolet, directeur de la DGSE, est intervenu dans ce sens lors de son audition : « Je n’ai pas de doute que Daech sera vaincu un jour ou l’autre. En revanche, je ne peux pas vous dire quand. Ce réservoir de jihadistes dont j’ai parlé continuera à croître tant qu’une solution politique ne sera pas trouvée, en Irak comme en Syrie ou en Libye ».

Les pays occidentaux doivent enfin tirer toutes les leçons des erreurs stratégiques commises depuis plusieurs décennies. L’interventionnisme militaire hors de tout règlement politique global a fait étalage de son efficience limitée sur le court-terme et ses effets dévastateurs sur le moyen-terme. Les violations du droit international commises par les membres permanents du Conseil de sécurité ont durablement affaibli l’ONU, cadre de référence de tout effort diplomatique au Moyen-Orient. Le détournement par les USA du mandat d’intervention contre la Lybie de Mouammar Khadafi, avec l’appui de la France, a créé les conditions de notre propre impuissance. Nous en payons aujourd’hui encore le prix sur le dossier syrien, avec une défiance forte du partenaire russe. Nulle avancée diplomatique sérieuse ne verra le jour sans un rapprochement de toutes les puissances ayant des intérêts au Moyen-Orient, ce qui exige d’approfondir le dialogue avec l’Iran et de reconnaître pleinement l’importance de la Russie dans cette partie du globe.

La France doit clarifier sa réponse diplomatique

1) Les ventes d’armes ou la paix ?

La France doit repenser ses rapports avec le monde arabe afin de développer un discours de paix dans la région. La France a deux discours : d’une part, une volonté de promouvoir le dialogue et la stabilité ; de l’autre, le maintien de liens économiques et diplomatiques avec certains régimes accusés de financer des organisations terroristes. D’abord de manière évidente, certaines décisions déstabilisent la région, et vont à l’encontre des objectifs que nous nous étions fixés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Existe-t-il une logique qui sous-tend par exemple la vente de rafales à l’Arabie Saoudite et plus généralement le commerce d’armes et d’équipements militaires auquel nous participons ? Le discours de stabilité et de paix contraste avec la réalité : plusieurs observateurs, tel qu’Amnesty international, ont évoqué la potentielle utilisation d’armes françaises de l’armée saoudite contre la population yéménite. La France, en 2015, est le deuxième pays exportateur d’armes de guerre dans le monde, le troisième au Proche et Moyen-Orient. Le Proche et le Moyen-Orient représentent, sur la période 2010-2014, 38,1 % des prises de commandes françaises dans le monde, selon les chiffres de la Direction générale de l’armement. Alors que nous promouvons la paix, notre pays tient un double discours sur la vente d’armes et offre un soutien malvenu à plusieurs régimes mis à l’index pour leurs violations des droits de l’homme et de la femme.

Une série de préjugés tenaces à propos des pays arabes hante encore notre vision. Selon les mêmes logiques que Samuel Huntington, il y aurait d’abord une incompatibilité entre Islam et démocratie au motif que les valeurs musulmanes seraient incompatibles avec les valeurs démocratiques. Un autre préjugé, intimement lié au premier, correspond à la regrettable tendance des diplomaties occidentales à penser que le Monde Arabe est soit destiné à un avenir autoritaire, soit à l’islamisme. C’est ainsi qu’elles recherchent davantage la stabilité que la démocratie. Ce discours justifiait et justifie encore le soutien aux pires régimes. Même si nous ne pouvons que constater l’échec total de cet élan vers la stabilité.

2) Réaffirmer une diplomatie indépendante en dehors de l’OTAN et de l’UE

Membre permanent du Conseil de Sécurité, la France a un rôle essentiel dans les équilibres diplomatiques internationaux et une histoire intime avec le destin du Moyen-Orient. Le dialogue équilibré que notre pays a su historiquement promouvoir dans cette région confère une crédibilité certaine à notre diplomatie.

De manière regrettable, l’alignement récent dans les pas de l’OTAN et des USA, amorcé sous la Présidence Sarkozy et parachevé sous la Présidence Hollande a affaibli la voix de la France dans le monde et son message en faveur de la liberté des peuples. L’intransigeance dont nous avons fait preuve face à l’Iran et la Russie, à contretemps de l’évolution géopolitique, a marginalisé la France sans aboutir à une résolution du conflit syrien. Notre pays a vocation à réunir ces partenaires autour de la table des négociations pour obtenir d’eux un engagement sans faille contre le terrorisme.

Cette voix indépendante doit permettre d’avoir une même exigence vis-à-vis de l’ensemble de nos partenaires. Les relations de l’Union européenne à la Turquie doivent à ce titre être clarifiées. Le partenariat sécuritaire honteux noué avec la Turquie, basé sur un contrôle des flux migratoires aux frontières turques en échange de l’ouverture de nouveaux chapitres de négociation en vue d’une adhésion à l’UE, doit être remis en question. Le double jeu de la Turquie est dangereux : le gouvernement turc ferme les yeux sur la porosité de ses frontières et réprime durement le peuple kurde, qui est pourtant le seul rempart efficace à l’avancée de l’État islamique dans la région. Maintenir la coopération actuelle avec le gouvernement turc s’avère impensable si l’on veut affaiblir durablement l’influence de Daech.

Enfin, face au développement de Daech dans de multiples pays, particulièrement sur le terreau des rancoeurs et des oppressions, la fin du conflit israélo-palestinien doit demeurer une priorité de notre diplomatie. Cette tragédie est la mère de tous les conflits au Proche-Orient depuis des décennies. Sa résolution passe par une reconnaissance immédiate de l’État de Palestine, conformément au droit international. La reconnaissance de cet État en 2014 par la représentation nationale doit enfin emporter la reconnaissance officielle par le chef de l’État.

3) Porter une politique d’aide au développement ambitieuse

En Afrique, la France et les pays du Sahel combattent l’implantation d’organisations affiliées à l’État islamique. Les opérations Serval, puis Barkhane, ont circonscrit la menace djihadiste. Cependant, celle-ci s’est adaptée, promouvant la formation de petites unités mobiles difficilement contrôlables. Ce volet militaire seul n’a pas permis d’éradiquer le terrorisme : il doit avoir pour corollaire un volet politique et économique.

Cet effort passe inévitablement par un renforcement de l’aide au développement pour les pays du Sahel. Cette aide a varié entre 350 et 500 millions d’euros par an entre 2004 et 2014 pour six pays : le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad.

La France doit mener une politique ambitieuse d’aide au développement et consacrer 0,7 % de son revenu national brut à l’aide publique au développement, objectif fixé par l’OCDE. Pourtant, depuis 2012, l’aide publique au développement ne cesse de connaître des coupes drastiques et la baisse des crédits est continue, se chiffrant à 500 millions d’euros. À plusieurs reprises, les députés Front de gauche ont déploré ce renoncement et l’incroyable faiblesse de la solidarité envers les pays les plus en difficulté en Afrique sub-saharienne. Cela conduit l’aide publique au développement française à privilégier une stratégie de prêts au détriment de dons, plus à même d’aider les États les moins développés d’Afrique, où l’État islamique prospère. Daech s’étend là-même où les logiques de développement ne fonctionnent pas et où l’humain est abandonné. Les conclusions du rapport "Sahel : repenser l’aide au développement" publié par le Sénat le 29 juin, plaçant comme priorité la lutte contre la corruption pour une aide plus efficace tout en doublant l’aide bilatérale apportée, vont dans le bon sens.

Dans la lutte contre le terrorisme, si la recherche de sécurité est importante, elle n’est pas efficace sans la recherche de développement. L’absence de reconstruction ou de consolidation des structures régaliennes a conduit les pays du Sahel dans une impasse sécuritaire, économique et sociale. L’enjeu, comme le souligne l’ancien directeur de la Banque mondiale et de l’Agence française de développement Serge Michailof, est « de répondre au désespoir d’une jeunesse sans capacité d’insertion économique ou sociale, travaillée par un islam rigoriste, et dont les meilleures perspectives se situent, objectivement, non dans une agriculture marginale, mais dans les trafics illicites contrôlés par des groupes armés ».

Une politique d’aide au développement ambitieuse serait un contrepoids efficace au discours employé par Daech pour séduire des jeunes, indignés par leurs conditions de vie et séduits par le discours profondément hostile aux pays occidentaux de l’organisation terroriste. En France comme dans le reste du monde, des politiques économiques inclusives, basées sur une meilleure redistribution des richesses à l’ensemble des couches de la société, permettraient de déconstruire l’attrait qu’exerce Daech.


La France, complaisante avec le Qatar et l’Arabie saoudite, défaillante sur le règlement des conflits

Si le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les moyens de Daesh a été adopté à l’unanimité de ses membres, issus de tous les groupes parlementaires, la contribution du groupe Gauche démocrate et républicaine que nous publions souligne plusieurs priorités « sans lesquelles la lutte nécessaire contre Daech ne manquerait pas d’être incomplète ». 

Il s’agit tout particulièrement de rompre les liens avec certains régimes accusés de financer des organisations terroristes. La contribution évoque notamment les privilèges exorbitants accordés par la France aux Qataris, alors que l’implication du Qatar dans la lutte internationale contre le terrorisme « reste à prouver ». Elle met en cause ainsi des cadeaux fiscaux accordés par la France : exonération d’impôts sur la fortune, exonération totale des plus-values immobilières… Elle pointe aussi la vente de Rafales à l’Arabie saoudite et, plus largement, la politique commerciale de la France dans le champ militaire.

Ce texte aborde aussi de multiples sujets minorés ou ignorés par le rapport parlementaire, qui constituent pourtant la trame de fond de l’influence de Daesh. Il en est ainsi, par exemple, du fait que les interventions militaires successives dans la région ont conduit à la dislocation des États, à partir de laquelle l’organisation terroriste a pu tisser sa toile. Enfin, les parlementaires soulignent qu’une solution durable et solide nécessite de résoudre les grands conflits historiques et de soutenir par l’aide au développement la mise en œuvre de « politiques économiques inclusives, basées sur une meilleure redistribution des richesses à l’ensemble des couches de la société ».

* Cerises

Le rapport intégral Les moyens de Daesh est disponible ici.

Dossier de Cerises n°298, 16 septembre

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