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Billet de blog 16 décembre 2019

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Community managers à Mediapart, nous sommes en grève!

Nous sommes community managers et nous sommes en grève. Mardi 17 décembre, nous ne travaillons pas. Mais comment exercer son droit de grève quand on est travailleur du web ? Ce weekend, on a réfléchi, et on s’est dit qu’on allait essayer quelque chose : utiliser nos outils de travail, les réseaux sociaux.

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[Petit compteur de nos journées de grève :]

  • 5 décembre
  • 17 décembre
  • 9 janvier
  • 15 janvier
  • 16 janvier
  • 24 janvier…

Nous sommes Cécile et Gaëtan, deux community managers, salariés à Mediapart en charge des réseaux sociaux. Lors de nos premiers jours de grève (jeudi 5 et mardi 12 décembre), nous avons fait le constat qu'arrêter le travail n’avait aucun effet. Et nous ne sommes pas seuls à Mediapart : on compte 25 salariés grévistes sur 90 depuis le début du mouvement, c’est beaucoup ! Pourtant, presque personne ne l’a vu. Cette réflexion, on sait qu’elle a lieu partout. 

Ajoutons que, dans le privé, la mobilisation est extrêmement difficile. Dans les métiers du web, du digital, de la tech, c’est pire : la grève est tellement inenvisageable qu’on n’en discute même pas, on ne la pense même pas. 

En cessant de travailler, le CM peut être immédiatement remplacé par un autre, un « mouton à cinq pattes », une « licorne », un chargé de com polyvalent (et puis, Facebook, tout le monde peut s’en occuper, pas vrai ?). Quand ce ne sont pas les humains, ce sont les machines, les bots, les flux automatisés – que nous avons nous-mêmes mis en place pour nous libérer des tâches les plus fastidieuses – qui nous remplacent. Cette automatisation est a priori pleine de promesses : permettre de réduire le temps de travail ou avancer l’âge de départ à la retraite, comme le rappelle cette excellente tribune de #OnEstLaTech, signée par plusieurs salariés du service technique de Mediapart. Cependant aujourd’hui, un peu comme la ligne 1 ou 14 du métro de Paris qui continue à tourner pendant la grève des agents RATP, on a l’impression que tout fonctionne tout seul. Comment envisager cesser le travail et faire pression sur le gouvernement dans ces conditions ?

Sur internet aussi, nous devons pouvoir arrêter de travailler 

À Mediapart, quand nous nous mettons en grève, nos posts Facebook et nos tweets continuent d’être publiés automatiquement. Même si nous décidions d’interrompre ce flux automatisé, les algorithmes continueraient à faire circuler nos publications pendant plusieurs jours, et aucun internaute ne serait impacté par cette interruption. Il faudrait s’arrêter plusieurs jours d’affilés – et avoir l’œil ! – pour commencer à s’apercevoir de quoi que ce soit. Comme pour les autres métiers de l’économie du numérique, l’arrêt du travail n’a pas d’effet. L’efficacité de la grève, cet outil démocratique majeur, devient quasi nulle.

Nous sommes des travailleurs du web, nous refusons la réforme des retraites et nous voulons le faire entendre en exerçant notre droit de faire la grève. Nous voulons que cette grève ait aussi un impact sur l’économie du numérique. Nous savons que c’est difficile, que cela peut nous mettre en difficulté avec notre employeur, que cela a un coût et que chaque jour de grève est une perte de salaire supplémentaire. C’est pourtant notre seul moyen de pression, nous n’en avons pas d’autre, et nous trouvons insupportable de ne pas pouvoir l’exercer correctement. Alors ce weekend, nous avons réfléchi à des solutions pour pallier l'inefficacité de la grève. 

Occuper les réseaux sociaux pour exister

Nous allons utiliser nos outils de travail, les réseaux sociaux, pour communiquer sur notre statut de gréviste. Concrètement, chaque publication ou tweet prévu normalement pour renvoyer vers un article sera remplacé par un message indiquant que l’équipe CM est en grève. Ça restera automatique, on ne travaillera donc pas, et on ira manifester IRL*.

Point important : nous ne souhaitons pas léser la diffusion du journal ni la couverture du mouvement social, nous laisserons donc les articles passer normalement (là encore en ajoutant une mention sur la grève). Les autres articles attendront le lendemain, quand nous reprendrons le boulot. On espère ainsi que ce qui était jusque là un frein à la grève deviendra un appui.

Nous ne menons pas une opération de communication ni une campagne, nous ne cherchons pas à réaliser une opération virale. Nous ne sommes même pas en train de « soutenir » une grève. Nous SOMMES en grève. 

Illustration 1

Étendre la grève

Ce questionnement sur la façon de se mobiliser efficacement entraîne forcément une réflexion plus globale. 
Nous espérons aussi faire émerger un débat en rappelant que, derrière chaque post Facebook ou chaque tweet, il y a toujours une personne qui travaille, qu’on ne voit pas, et qui est pourtant tout autant impactée par la réforme.

Nous espérons que cette initiative sera relayée, qu’elle fera parler chez les CM, et plus largement dans les métiers du web ou « uberisés ». Comment faire valoir ses droits à l’ère de l’économie du numérique et de la précarisation des emplois ? Comment participer à la démocratie quand on est travailleur du web ? Comment faire vivre la grève à l’heure du télétravail, de l’uberisation, de l’automatisation ?

C'est toute l’économie du web et des algorithmes qu'il faut questionner. Nous y sommes continuellement soumis dès lors que nous sommes connectés, au travail ou pas. Non seulement le grève n'est plus visible, mais nos données continuent d'être aspirées par les réseaux sociaux et plates-formes d'achat en tout genre.  En clair, même pendant la grève, nous continuons à enrichir les bases de données des GAFA, à commander sur Amazon, à prendre un Uber ou une trottinette électrique, et à utiliser des lignes de métro automatisées. Pourquoi pas discuter d’une grève « de la connexion » ou d’une « grève de nos données » ?

Community managers, rejoignez-nous ! 

Nous avons besoin de temps pour réfléchir. Dans cette société du flux, du clic, du calcul, il ne suffit pas de couper ou d’arrêter : il faut occuper les circuits, les canaux, les espaces, il faut prendre la place. C’est en tout cas une piste. On a pensé à l’analogie avec l’antenne de Radio France, qui dispose d’une jolie playlist quand les salariés sont en grève. L’antenne n’est pas coupée, elle est « occupée » différemment. À ce sujet, l'initiative du collectif Radio Dedans Dehors, qui veut remplacer la playlist de grève par des podcasts, est une vraie pépite. Eh bien, faisons pareil, occupons les réseaux avec une autre musique.

Nous savons que cela pose beaucoup de questions. Comment exercer une grève du community management quand on est seul ? Quand on risque d’être remplacé par un autre ? Quand on n’a pas l’accord de son employeur ? Comment protéger les accès de ses réseaux sociaux pour protéger ma cessation du travail ? Il y a urgence à faire émerger ces questions : les travailleurs du web peuvent aussi bloquer l’économie.

Community managers, rejoignez-nous !

Cécile & Gaëtan

* In real life ;) (dans la vraie vie)

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