Tribune 8 juillet 2025

Loi Duplomb : l’obscurantisme au détriment du courage - À l’attention des Député·es

[Rediffusion] Alors que les pollinisateurs, impliqués dans la production de trois quarts des types de cultures sur la planète, sont en grave déclin, nous, membres du Conseil Scientifique du Plan gouvernemental en faveur des pollinisateurs, sollicité·es par le gouvernement pour notre expertise sur le sujet, souhaitons par la présente interpeller les député·es sur l’incohérence du projet de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ».

À l’attention des Député·es de France

Nous, membres du Conseil Scientifique du Plan gouvernemental en faveur des pollinisateurs, sollicité.es par les Ministères de l’Environnement et de l’Agriculture pour notre expertise sur le sujet, souhaitons par la présente interpeller une nouvelle fois les député·es de l’Assemblée Nationale sur l’incohérence du projet de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur’ vis-à-vis de la nécessaire préservation de l’environnement et en particulier des pollinisateurs, auxiliaires essentiels à une agriculture productive, résiliente et durable. 

Pour rappel, les pollinisateurs sont impliqués dans la production de trois quarts des types de cultures sur la planète, représentant en quantité le tiers de l’alimentation humaine et assurant la quantité, la qualité et la diversité d’un régime alimentaire sain (IPBES 2018).

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Nous savons que les pollinisateurs sont en grave déclin et pas seulement les espèces rares, mais également celles autrefois les plus abondantes (Van Klink et al. 2023) depuis plusieurs décennies, non seulement sur notre continent (Biesmeijer et al. 2006), mais aussi au niveau mondial (Zattara et al., 2021). Ce déclin joue contre les agriculteurs, car il entraîne des manques à gagner documentés pour certaines cultures, voire parfois des pertes de rendements massives comme pour la culture patrimoniale du cassis en Bourgogne (Anstett et al. 2019, cf. aussi le reportage dans Le Monde du 23/06). 

Nous savons également que ce déclin résulte en grande partie de pratiques agricoles néfastes pour l’environnement, dont dépend directement l’agriculture elle-même, et notamment de l’usage des pesticides, dont les néonicotinoïdes qui comptent parmi les plus toxiques (p. ex. Woodcock et al. 2016). 

Enfin, nous savons que ce déclin n’est qu’une facette d’une crise plus générale de la biodiversité, malmenée par des décennies de pratiques humaines, notamment agricoles, dont le déclin catastrophique va directement affecter les populations humaines.

C’est dans ce contexte que la réglementation européenne sur la restauration de la nature, votée notamment par l'État français, impose la mise en place dans les années à venir de toute une batterie de mesures pour soigner et restaurer nos écosystèmes, dont font partie les pollinisateurs. Ainsi la France devra, dès 2030, démontrer la bonne santé de ses populations de pollinisateurs sauvages.

Que ce soit dans le passé comme dans le futur, la France et son gouvernement se sont affichés comme des soutiens aux pollinisateurs, en s’appuyant sur des faits démontrés par des études scientifiques synthétisées par des conseils scientifiques comme le nôtre. Ce projet de loi, lui, prend le contrepied de ces connaissances, de ces constats et de ces engagements. Il existe une différence entre des ‘contraintes’ suggérées dans le titre du projet de loi, et des garde-fous, qui, bien qu’ils soient contraignants, ont une action de sécurité. Or le projet de loi ne concerne pas qu’une levée de contraintes, mais aussi de garde-fous. Ainsi, nous, membres du conseil scientifique du plan gouvernemental en faveur des pollinisateurs, souhaitons vous informer : ce texte de loi n’est pas compatible avec la vision d’une agriculture française durable et respectueuse de ses pollinisateurs et de l’ensemble des espèces sauvages dont elle dépend au quotidien, de son environnement et, par extension, des citoyens dont la santé et l’alimentation dépendent des deux. 

Ainsi le vote d’un texte aussi rétrograde revient à choisir le répit de l’obscurantisme au détriment du courage de la transition. D’un côté, soutenir ce projet de loi signe le maintien d’un modèle agricole non durable et donc, par définition, éphémère, dont nos connaissances suggèrent que les complications se feront ressentir de plus en plus fortement dans un futur proche. De l’autre, refuser ce projet de loi laisse de la place à l’espoir de développer un modèle d’agriculture qui soit satisfaisant à la fois pour la majorité de ses acteurs directs et pour l’ensemble de la société et de ses fondations environnementales. Les pistes d’un tel modèle ont déjà été largement posées, et ce dont ont le plus besoin aujourd’hui nos agriculteurs et paysans, ce ne sont pas des n’est pas d’avancées scientifiques, mais d’un soutien politique et financier solide, des décisions courageuses pour l’avenir

Votre choix de vote nous paraît donc tout particulièrement capital.

Le conseil scientifique du plan gouvernemental est à votre disposition pour répondre à vos interrogations et vous fournir toutes les sources scientifiques dont vous auriez besoin.

Sincèrement,
 

Le conseil scientifique du plan gouvernemental en faveur des pollinisateurs représenté par :

Bertrand Schatz, Directeur de Recherche, CNRS

Hugues Mouret, Naturaliste et Directeur scientifique, Arthropologia

Adrien Perrard, Maître de conférences, Université Paris Cité

Isabelle Dajoz, Professeure des Universités, Université Paris Cité

Benoît Geslin, Maître de conférences, Université de Rennes

Nina Hautekèete, Professeure des Universités, Université de Lille

Quentin Rome, Ingénieur d’études, PatriNat (OFB, MNHN)

Colin Fontaine, Chargé de recherche, CNRS

Marie-Pierre Chauzat, Ingénieure de recherche, ANSES

Violette Le Féon, Écologue Indépendante

Jérôme Millet, Chargé de recherche, OFB

Nathalie Escaravage, Maîtresse de conférences, Université de Toulouse

Emmanuelle Porcher, Professeure du MNHN

Anne Bonjour-Dalmon, Ingénieure INRAE

Véronique Sarthou, Experte syrphes, ingénieure agronome, SYRPHYS Agro-Environnement 

Axel Decourtye, Directeur de l’ITSAP-Institut de l’abeille

Arzhvaël Jeusset, Chef de projet Conservation des espèces, PatriNat (OFB, MNHN, CNRS, IRD)