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Billet de blog 19 mars 2023

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La transformation de l’école en entreprise

En ce moment précis où tout le monde pense « réforme des retraites », à juste titre, Emmanuel Macron poursuit ses réformes tous azimuts. L’ Éducation Nationale est une des priorités de son deuxième quinquennat comme il l’a dit et répété. Et pour cela, la Cour des Comptes, une institution à droite sur l’échiquier politique, lui vient en aide.

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La transformation de l’école en entreprise au travers du dernier rapport de la Cour des Comptes. 

En ce moment précis où tout le monde pense « réforme des retraites », à juste titre, on constate que le "en même temps" de Macron tourne à plein régime, et qu’il poursuit ses réformes tous azimuts. L’ Éducation Nationale est une des priorités de son 2ème quinquennat comme il l’a dit et répété. Et pour cela, la Cour des Comptes, une institution bien à droite sur l’échiquier politique, lui vient en aide. La tâche est déjà bien avancée de démantèlement/transformation de l’Éducation Nationale et du Statut des fonctionnaires. En clair le gouvernement remet tous leurs droits en cause. Et la Cour des Comptes n’a d’autre objectif que d’aider le gouvernement Macron/Pap N’diaye dans sa tâche. Son rapport à charge contre le Service Public, utilise des arguments fallacieux pour imposer coûte que coûte la réforme du projet d’école. C’est l’objectif de son rapport d’analyses de 120 pages intitulé : "Mobiliser la communauté éducative autour du projet d’établissement", le même que celui du ministre Pap N’Diaye explicité dans sa "Réponse" au rapport en 14 pages.

Le contexte dans lequel ont été faites les analyses, et des méthodes qui ne sont pas crédibles

Ce rapport est basé sur des études faites dans des établissements scolaires au sortir du covid. Or ce contexte plus qu’exceptionnel n’est jamais mentionné dans le rapport. Il est pourtant légitime de mettre en doute tous les résultats, toutes les statistiques effectuées en 2021, au sortir de cette période covid où personnels et élèves ont pâti gravement des manques d’enseignement. Il est aussi légitime de se poser des questions sur nombre d’assertions de ce rapport. Elles sont avancées comme des conclusions de démonstrations mais de fait elles n’en sont pas car elles court-circuitent toute analyse. Ci-après, trois exemples, censés "démontrer" que les évaluations sont indispensables et que la centralisation actuelle de la FP est la cause des inégalités à l’école, et donc, qu’il faut délocaliser ou décentraliser pour résoudre les problèmes et utiliser les évaluations nationales pour agir localement. Des réponses simplistes à des problématiques multifactorielles, dans un style alambiqué, ça aide ! Page 12, "l’institution scolaire (celle qui est centralisée, la mauvaise ndlr) tend, en réalité, à ne pas suffisamment corriger les inégalités existantes. Pour contrecarrer cette situation, la Cour estime que l’efficience des moyens alloués aux établissements serait mieux assurée si les modalités d’allocation prenaient davantage en compte les résultats des évaluations et les contraintes pesant sur le lieu d’implantation (donc la gestion locale ndlr) de l’EPLE, et si elles étaient mieux coordonnées avec les interventions des collectivités territoriales". Page 15 (les) "établissements locaux … bénéficient de capacités d’agir leur permettant de s’adapter à leur environnement pour mieux contribuer à la réussite scolaire de leurs élèves."

Ou plus loin (p15), "S’il a longtemps été considéré que l’échelle nationale était la seule compatible avec les objectifs d’égalité du système éducatif, la réalité du paysage scolaire s’accommode aujourd’hui de larges inégalités de traitement des élèves." Etc…

La CC, avance dans son argumentation selon deux principes qui n’ont rien de scientifiques : « la répétition fait loi », et « quand on veut tuer son chien on l’accuse de la rage ». Ainsi dans son rapport, elle développe une stratégie qui consiste à fatiguer avec des publications kilométriques pour désigner le responsable de tous les maux de l’Éducation Nationale, à savoir la centralisation du Service Public et rajoutons le statut de fonctionnaire qui va avec.

L’entrepreneurisation de l’école

Le gouvernement considère que l’entreprise doit être l’élément de base de structuration de notre société soumise à l’économie néo-libérale. La CC, en accord avec le gouvernement, soumet l’école à ce principe. C’est un peu la loi PACTE en faveur de l’entreprise qui s’applique à l’école, aidé en cela par le Pacte enseignant. Et l’utilisation des mêmes termes n’a rien d’une coïncidence. Ainsi, au travers de ce rapport c’esr l’école qu’on organise, comme une entreprise. Et la terminologie est adaptée, qui prépare les esprits à la transformation.

Le terme "projet" est la clé du rapport et le plus emblématique. Omniprésent, il émaille toutes les réformes gouvernementales. C’est une notion vague à souhait qui, concernant les réformes scolaires a pour objet de se substituer au programme basé sur les savoirs disciplinaires, remplacés eux-même par les compétences. En s’y substituant, il détruit en même temps l’idée qu’il véhicule, à savoir, l’émancipation par le savoir, et redéfinit en passant le métier de professeur car ceux-ci en avait la maîtrise jusqu’ici, en qualité de cadre. Et l’entreprise-école a besoin de professeurs dépourvus de la liberté pédagogique à laquelle l’enseignant-cadre ne pourrait plus prétendre. Elle a besoin de professeurs/ouvriers-spécialisés soumis à sa doxa, qu’on évalue et contrôle en permanence par le biais de la numérisation et de la managérisation dans la gestion des personnels.

En conséquence, la CC se réfère aux professeurs comme de simples "ressources humaines" (p79), jetables et remplaçables en cas de non conformité.

En ce qui concerne les élèves ou les parents d’élèves, ils deviennent usagers (p21) ce qui introduit une notion de domination sur l’institution. Pour preuve, le rapport stipule que l’ Éducation Nationale doit "donner les moyens aux EPLE pour élaborer collectivement un projet correspondant aux besoins de leurs usagers." L’enseignement devient ainsi un service à la carte, au service de l’ usager en tant qu’individu, au service de son projet que l’institution doit prendre en compte. Tout cela s’oppose bien sûr à l’émancipation par le savoir destiné à préparer uniformément la nouvelle génération aux défis d’une société qui nécessite de plus en plus, et non moins, de savoirs.

Et la CC se fait plus précise encore quand elle remplace le terme enseignement par "offre de formation" (p45) qui doit satisfaire (p 16) aux "besoins" de l’usager. De plus, la CC ne manque pas de faire le lien entre besoins de l’élève et spécificités locales. Or au travers de ces spécificités, il faut comprendre économie locale (p 10, 42, 43, 45, 90) car tout est marchand dans la logique du rapport. Et la référence à l’offre et la demande et à l’économie de marché ... de l’enseignement est bien dans l’esprit du texte.

Mais le plus significatif des glissements sémantiques présents dans ce rapport concerne le terme de "valeur ajoutée", c’est à dire la "capacité à obtenir des résultats" pour un établissement (p20 et 22). La logique d’entreprise est bien là qui fait dire à la CC que (p22) "L’essentiel réside alors dans l’identification des grands axes sur lesquels le projet d’établissement repose, c'est-à-dire, d’une part, les efforts que l'établissement choisit de développer pour améliorer sa valeur ajoutée... ". Et la suite, qui justifie qu’il y ait des adaptations du programme et que le parcours d’enseignement s’adapte à la « population » accueillie, confirme le fait que la CC revendique pleinement la nouvelle doxa entrepreneuriale du ministère de l’éducation.

Pour transformer l’établissement en entreprise, il faut transformer son chef en chef d’entreprise

Avec de nouvelles missions managériales

Le nouveau chef d’établissement/entreprise, d’après la CC, doit donc se doter de nouveaux pouvoirs qui (p58) lui "échappe" encore, pour que la transformation soit réelle. Ainsi "il faut qu’il entretienne des relations étroites avec le service public de l’emploi afin de fluidifier la procédure de remplacement d’enseignants absents sur certaines disciplines". Plus loin elle déplore que "Les leviers qu’il possède pour évaluer, récompenser ou sanctionner … soient également restreints". Dont acte, et la CC d’exiger que le nouveau chef puisse attribuer des indemnités, ou des heures et distribuer des avis favorables à qui il veut (p 60), et elle se réjouit que les chefs soient "de plus en plus nombreux à assister aux temps d’observation en classe avec l’inspecteur" (p59). Bref elle préconise de lui attribuer toutes les missions entrepreneuriales qui lui donne la main-mise sur le contrôle et la gestion des personnels. Et elle va jusqu’à déplorer que les chefs ne soient pas assez jeunes (pas assez malléables ndlr), et qu’ils soient recrutés majoritairement chez les enseignants donc qu’ils n’aient pas assez de culture managériale (p65). D’où, comme pour les hôpitaux dont les chefs ne sont plus médecins, il est important de recruter des chefs ailleurs que dans l’enseignement. L’objectif est clair, détruire l’école comme l’hôpital, comme les retraites et comme tous les services publics ... c’est bien là, la vraie priorité de Macron pour son 2ème mandat.

Avec des avantages sonnant et trébuchant

Car de telles missions managériales entraînent que "la question de l’avantage salarial de chef d’établissement se pose." (p65). En concomitance il s’agit de recruter ailleurs que dans l’enseignement mais aussi dans le privé (p66)

Avec des missions pédagogiques spécifiques et des outils contraignants pour poursuivre la décentralisation

L’objectif est d’imposer des méthodes spécifiques aux professeurs. Celles-ci doivent participer à la définition de l’identité de chaque établissement dans le cadre de l’autonomisation et de la grande compétition entre tous que veut imposer le gouvernement. Mais comme les tâches administratives sont reconnues chronophages et parfois inutiles (P61) il s’agit d’en supprimer certaines. À commencer par le contrat d’objectifs (dictés par le rectorat ndlr) (p77 et 78). Boudé de fait par les chefs d’établissement, il est considérés comme un frein pour l’autonomie, dernier étage de la décentralisation. Même le Conseil d’évaluation de l’enseignement (le CEE) le juge inopérant (p21) et veut le remplacer par les évaluations nationales plus contraignantes. Quant à la CC elle préconise que l’instance de ce Contrat d’Objectifs devienne tripartite en incluant les collectivités territoriales dans son fonctionnement en plus de l’établissement et le rectorat. Pour l’autonomie on repassera. Et ce n’est pas la seule ambiguïté.

L’entrepreneurisation des établissements servirait à "améliorer" leur performance selon la Cour

Nous l’avons vu au début de ce propos, que l’analyse sur laquelle se base la CC pour parler d’ "amélioration" nest pas crédible car basée sur des chiffres d’après la pandémie, entre autres. D’autre part, si les enseignants directement concernés par les réformes qu’ils subissent sont de plus en plus écartés des instances décisoires à tous les niveaux, c’est que l’ "amélioration" du système prônée par la CC est à l’opposé de leurs revendications. Il est clair que la CC poursuit un but idéologique de transformation de la société, le même que le gouvernement, et invisibilise toute réalité qui invaliderait son rapport, en 1er ce que disent les personnels concernés.

Ce qu’elle nomme « amélioration » c’est plus de compétition entre les établissements et les personnels, en limitant, dosant et variant les financements, subventions, indemnités et heures sup (p77 et 78). Le but distribuer sélectivement les missions et les subventions.

Ce qu’elle nomme « amélioration », c’est plus de division des personnels, par le biais d’une nouvelle rémunération individualisée, gage de succès pour les réformes du gouvernement.

Ce qu’elle nomme « amélioration », c’est plus de décentralisation, jusqu’à l’autonomie qui ouvre la voie à la privatisation, en décidant de tout localement, même de financement.

Ce qu’elle nomme « amélioration », c’est plus de contractuels à tous les niveaux et en finir avec le statut de fonctionnaire et les droits collectifs qui vont avec.

Ce qu’elle nomme « amélioration » enfin, c’est plus de contrôle. Contrôler et contrôler encore tous les personnels à tous les niveaux, via les évaluations nationales et la gestion managériale, et supprimer tous les droits syndicaux.

Une conclusion à l’opposé du projet d’établissement et des évaluations défendues par la CC :

L’émancipation par le savoir passe par une autre forme d’amélioration du système scolaire ; par la liberté pédagogique individuelle de cadre qu’il est, retrouvée ; par la refonte et la simplification des programmes basés sur des savoirs disciplinaires ; par l’éradication de la notion de compétences dans ces programmes. Mais l’émancipation par le savoir passe également par la sérénité du professeur dans l’exercice de son métier, la conservation du statut et tous les droits qui vont avec, entre autres la grille indiciaire, l’avancement par ancienneté et le concours d’accès au corps.

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