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Lien 16 septembre 2010

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LA JUSTICE MEPRISEE, LA DEMOCRATIE ENCORE PLUS

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a quelques jours, les syndicats de policiers, mais aussi certains ministres et notamment le ministre de l'intérieur, approuvé par la suite par le président de la République, s'en sont pris violemment à une décision du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Grenoble. Ce magistrat avait décidé de ne pas suivre les réquisitions du ministère public, et de placer non pas en détention provisoire mais sous contrôle judiciaire une personne qui lui était présentée comme étant l'un des participants à un braquage qui s'était terminé par un échange de coups de feu entre les braqueurs et les policiers.

Que n'avait-on pas entendu à propos de cette décision. C'était un scandale, une forfaiture (certains ne doivent pas lire très souvent le dictionnaire), c'était en tous cas insupportable et indigne de la part d'une institution judiciaire incapable de protéger les braves citoyens contre les méchants délinquants.

Le procureur de la République ayant, sur instruction de la ministre de la justice, interjeté appel contre la décision du juge des libertés et de la détention, le dossier a été soumis à la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble. Et nous apprenons aujourd'hui que les trois magistrats de cette chambre ont décidé de confirmer la décision du juge. À leur tour, ils ont estimé que le contenu du dossier ne justifiait pas l'emprisonnement immédiat de celui qui était poursuivi. Probablement, comme indiqué dans les medias, à cause, en l'état du dossier à ce jour, d'une faiblesse des charges.

Deux lectures peuvent être faites de ce qui vient de se passer.

On pourrait, dans un premier temps, se contenter d'un haussement des épaules, tellement les aboiements à l'encontre de l'institution judiciaire sont fréquents de la part des pouvoirs. À toutes les époques, et quel que soit leur coloration, les gouvernements ont toujours trouvé insupportable que la justice ne soit pas une administration aux ordres comme les autres, et que des magistrats préfèrent appliquer la loi et respecter les droits fondamentaux des citoyens plutôt que de plaire aux princes. C'était comme cela dans le passé. C'est comme cela aujourd'hui. Et il y a fort à parier que cela sera de la même façon demain.

C'est pourquoi, on pourrait être tenté de regarder les gesticulations des responsables publics avec une certaine indifférence, en considérant que leurs vociférations pitoyables, si elles sont peu flatteuses et si elles les discréditent, ne sont pas des événements suffisamment importants pour que l'on s'y arrête plus longtemps.

Malheureusement, écarter ces gesticulations d'un revers de manche serait sans doute une erreur. Car ce qui est important ce ne sont pas les gesticulations en elles-mêmes, c'est ce qui se cache derrière.

Il est incontestable que la justice, ou plus précisément les magistrats qui la constituent, peuvent commettre des erreurs. Aussi longtemps que le fonctionnement de l'institution judiciaire sera confié à des êtres humains, il ne sera jamais possible d'éviter à un moment ou un autre une erreur d'appréciation. Mais cela ne constitue pas un dysfonctionnement en soi, à la condition, bien sûr, que la décision rendue et qui est discutée ait été prise après un examen minutieux et sérieux du dossier et soit suffisamment et intelligemment motivée.

Ce que l'on constate à propos de l'affaire de Grenoble, c'est d'abord que ceux qui ont critiqué la décision du juge des libertés et de la détention, même dans les termes les plus violents, n'ont à aucun moment donné une quelconque explication sur ce qui a pu motiver ce magistrat. Autrement dit, on a demandé aux citoyens de croire sur parole les responsables politiques qui affirmaient qu'une décision judiciaire était mauvaise, sans jamais donner d'indication sur le contenu de cette décision.

L'objectif poursuivi est alors de dissimuler aux citoyens une partie de la réalité, de tronquer le débat, et au final de les empêcher de se faire leur propre opinion. Au demeurant, quand un responsable politique se comporte de la sorte, c'est qu'il est persuadé que ses concitoyens sont des crétins. On ne peut en effet se persuader que les Français sont capables d'avaler n'importe quelle couleuvre que si en même temps on est convaincu qu'ils n'y verront que du feu...parce que leurs capacités intellectuelles sont modestes.

Ce que l'on constate ensuite, et qui est beaucoup plus préoccupant, c'est que les responsables politiques voulaient que la personne considérée soit immédiatement emprisonnée, non pas parce que le dossier le permettait et je justifiait, mais parce que cela correspondait au scénario qui était présenté aux Français. Autrement dit, après un été qui a vu tomber sur nous une déferlante de propos sécuritaires, il fallait que le gouvernement prouve son efficacité en matière de lutte contre la délinquance. Il fallait prouver que les services de police étaient particulièrement efficaces, pour que le bénéfice des réussites profite en premier lieu aux gouvernements.

Dès lors, puisque la personne arrêtée a été présentée aussitôt, sans la moindre nuance, comme l'un des participants du braquage, il fallait forcément qu'elle soit emprisonnée. C'est pourquoi, en préférant le contrôle judiciaire à la détention provisoire, le juge des libertés et de la détention a brisé le scénario voulu par le ministre de l'intérieur et le président de la République. Et c'est pourquoi ceux-ci, en voyant la vitrine se fendiller, ont, par leur réaction, exprimé - clairement - à quel point il leur était insupportable qu'une institution judiciaire indépendante ose privilégier une lecture pointilleuse du dossier au souci de plaire aux princes.

L'institution judiciaire est l'un des derniers véritables remparts contre l'arbitraire des gouvernants.

Les attaques du gouvernement contre la justice ne sont pas graves en ce qu'elles sont dirigées contre des magistrats. Ceux-ci en ont vu tellement d'autres, et ils savent bien qu'ils en verront encore beaucoup d'autres, ce qui leur permet une relative indifférence vis-à-vis des pouvoirs.

Non. Ce qui est beaucoup plus grave, c'est que chaque attaque contre une décision de justice, de la part du gouvernement, c'est un coup de boutoir en vue de faire s'effondrer le mur qui sépare la démocratie de l'arbitraire et du bon plaisir du pouvoir.

C'est pourquoi quand les ministres du gouvernement et le président de la République s'indignent qu'une décision de justice ne soit pas immédiatement conforme à leurs souhaits, ce n'est pas aux magistrats qu'il s'en prennent, c'est aux 62 millions de Français.

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