CoopCycle-Association (avatar)

CoopCycle-Association

Association des co-fondateurices et militantes à l'origine de la Fédération de coopératives de livraison à vélo écologiques et socialement responsables CoopCycle.

Abonné·e de Mediapart

26 Billets

0 Édition

Billet de blog 21 novembre 2017

CoopCycle-Association (avatar)

CoopCycle-Association

Association des co-fondateurices et militantes à l'origine de la Fédération de coopératives de livraison à vélo écologiques et socialement responsables CoopCycle.

Abonné·e de Mediapart

Vers le dépérissement de l’État Social

Avec le capitalisme, l'État meurt à petit feu. Un "dépérissement" de nos structures sociales encouragées par l'ubérisation.

CoopCycle-Association (avatar)

CoopCycle-Association

Association des co-fondateurices et militantes à l'origine de la Fédération de coopératives de livraison à vélo écologiques et socialement responsables CoopCycle.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans la philosophie communiste, l’État est souvent perçu comme un instrument du capital pour asseoir sa domination sur les travailleurs. Ainsi, l’émancipation des travailleurs ne pourrait advenir sans “dépérissement” de la structure étatique. Paradoxalement, c’est aujourd’hui le capitalisme qui se charge de ce dépérissement de l’État mais d’une façon bien différente de celle chère aux Communistes. Ces derniers prônaient l’organisation démocratique de la production par les travailleurs, par exemple sur le modèle des coopératives. Donc une prise en main du pouvoir sur l’appareil productif par les salariés, un déversement total des droits de gestion de l’entreprise des fournisseurs de capital vers les fournisseurs du travail. La tendance actuelle est malheureusement opposée. Elle est à la disparition de l’ensemble des contraintes légales permettant un rééquilibrage en faveur des travailleurs du rapport de force au sein du collectif de production, à travers le contournement du salariat et la généralisation de l’auto-entreprenariat. Cette mise en perspective nous permet de comprendre que derrière l’aspect de révolution technologique qu’apporte le numérique, l'ubérisation sert de cheval de Troie pour attaquer les conquis sociaux.

MISE EN PERSPECTIVE

La diminution des cotisations et impôts, les revenus principaux de ce que l’on nomme “puissance publique”, n’est pas nouvelle. Les plateformes numériques ne sont que le dernier outil technique permettant une offensive commencée vers la fin des années 90 avec la financiarisation toujours plus forte de l'économie, qui a, par exemple, entraîné une chute du taux d’imposition sur les sociétés dans le monde de 38% à 26% entre 1993 et 2017.

Illustration 1

Les réformes aboutissant à ces chiffres sont défendues comme des nécessitées dues aux tendances de fond de l’économie mondiale. Elles sont systématiquement présentées comme pragmatiques, nécessaires afin de s’adapter à l’évolution du monde et sa tendance supposée naturelle à la mondialisation. Ce discours se doit d’être démonté.

Pourquoi le capital est-il de plus en plus choyé ?

Il n’y a rien de “naturel” dans la mondialisation. Si le développement des techniques de transport est relativement indépendant de la puissance publique, la globalisation économique s’est fondée sur des accords très demandants en volonté politique. Certaines institutions, comme l’OMC (et le GATT avant elle), la Commission Européenne, ou le FMI participent activement à la mondialisation économique à travers la promotion du libre-échange. L’argument économique en faveur du libre-échange est bien connu et plutôt bien documenté: il ferait notamment augmenter la productivité à travers la spécialisation, ce qui augmenterait le bien-être en général.

Le souci avec ce raisonnement purement économique c’est qu’il oublie tout ce qui sort du strict fonctionnement de marché (ce qui est une tare systémique de l’économie néoclassique). Sont donc laissées de côtés, entre autre, les rapports de force politique. Pourtant, le rapport de force politique est le déterminant principal de la distribution de la valeur ajoutée, entre la part revenant au travail et celle revenant au capital. Prenons un exemple: lorsqu’une entreprise qui vend des pommes gagne 10 euros, nous parlons ici de quelle part revient au cueilleur et quelle part revient au propriétaire du pommier. Aucun mécanisme de marché ne gère cette question. Seul le rapport de force entre travail et capital détermine cette distribution.

Parallèlement, l’intégration des marchés ne s’accompagne pas d’une intégration politique. Or, les marchés ont des impacts concrets et décisifs sur les sociétés sur lesquelles ils existent. Que ce soit au niveau politique, social ou écologique, nous sommes directement aux prises avec les conséquences du libre échange économique, mais n’avons pas les armes aux niveaux nationaux pour lutter contre un marché qui est lui globalisé. Lorsque les gouvernements plaident pour une réduction de la protection du travail afin que la France soit compétitive, l’argument se justifie car nous sommes devant le fait accompli: un marché dont la taille dépasse notre puissance politique.

Rien de nouveau donc à ce que la puissance publique se mette au service de la destruction des acquis sociaux en “accompagnant” l’ubérisation du travail. La réalité actuelle donne si nécessaire une justification empirique à la phrase finale du manifeste du parti communiste: la défense des intérêts du travail doit s’internationaliser pour lutter contre le capitalisme mondialisé.

Ce qui est nouveau, c'est que la puissance publique nationale organise désormais d’elle-même et à l’intérieur de ses propres frontières le dumping social qui existe avec la concurrence internationale. Les acquis des défenseurs du travail, comme la protection sociale, les droits attachés au salariat et la taxation du capital, sont ainsi explicitement visés par les nombreuses “loi travail” avec l’inversion de la hiérarchie des normes et la passivité face à la montée en puissance des nouvelles formes de salariat déguisé. Ces réformes structurelles organisent un rapport de force défavorable aux travailleurs afin de réduire le coût du travail et augmenter compétitivité et emploi. Là encore le choix politique qui nous est laissé via cette logique est celui entre chômage et précarité.

Faire grandir l’assiette de travailleurs… que l’on sert au capital

L’argument de ceux qui défendent le recours à l’auto-entreprenariat est plutôt rationnel en apparence : l’accès au statut d’auto entrepreneur permet à des personnes exclues du marché du travail d’y accéder, élargissant ainsi l’assiette des cotisations sociales pour remplir les caisses d’un régime de sécurité sociale mis en péril par la montée du chômage. Le Conseil d'État lui-même présente cet élargissement de l’accès au travail comme le principal point positif de l'ubérisation.

Bien que le taux de cotisation salariale des auto-entrepreneurs (hors ventes au détail mais plutôt pour les services ubérisés) soit équivalent à ceux des salarié.e.s avec contrat de travail classique (soit entre 22 et 23% du salaire brut) cet argument est pourtant difficile à accepter pour plusieurs raisons.

Premièrement, rappelons que l’ensemble des cotisations pour un emploi salarié sont de 57% du salaire brut (salariales et patronales, respectivement 21% et 36%). Un chiffre bien au dessus des 21% appliqués au chiffre d’affaire d’un auto-entrepreneur.

Deuxièmement, l’existence du statut d’auto-entrepreneur entraîne un effet d’aubaine pour les entreprises. Des travailleurs qui auraient été engagés en tant que salariés vont se retrouver contraints d’accepter un statut d’auto-entrepreneur. L’existence de ces transferts de statuts sont signalés par un autre document officiel émanant de la DARES ; Document d’études - 2017- L’économie des plateformes : enjeux pour la croissance, le travail, l’emploi et les politiques publiques.

« La proportion de travailleurs indépendants sans salarié est orientée à la hausse depuis le début des années 2000 en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Aux États-Unis l’évolution du nombre de travailleurs concernés par un contrat alternatif au contrat de travail salarié a connu une augmentation significative de 10,1 % début 2005 à 15,8 % fin 2015. Plus spécifiquement en France  le nombre d’auto-entrepreneurs (ou « micro-entrepreneurs » selon la nouvelle dénomination depuis 2014) a fortement augmenté entre 2006 et 2013 (+184 %). »

Si au niveau macroéconomique cet effet d’aubaine est difficilement mesurable « l’économie des plateformes est un phénomène avéré si l’on regarde au bon endroit », comme le souligne Ian Hathaway dans une étude menée en 2015 : « Entre 2010 et 2013, à San Francisco, dans les secteurs du transport individuel de voyageurs et de l’hébergement touristique, l’emploi a progressé plus vite dans les entreprises sans salarié que dans les entreprises avec salariés, et moins vite dans les entreprises « traditionnelles » (taxis, hôtels…) que dans les autres entreprises du secteur ».

De la même manière en France, les statistiques de l’Insee sur les créations d’entreprises montrent depuis deux ans une forte hausse dans la catégorie « transport et entreposage ». Les créations d’entreprises dans ce secteur, qui inclut les VTC, ont ainsi augmenté de 45,8 % en 2015 ( + 48,6 % pour les micro-entreprises ) et de 35,2 % en 2014, contre respectivement -4,7 % (2015) et + 2,3 % (2014) pour l’ensemble de l’économie marchande non agricole. Cette hausse des VTC au détriment des taxis, pour la plupart salariés d’entreprises qui achètent et concentrent les licences, est une preuve de ce report de statut.

Enfin et surtout, le recours à ce statut entraîne aussi une concurrence salariale entre deux types de travailleurs. Cette concurrence implique une baisse de la rémunération pour un service. Or cette rémunération quelque soit sa forme, salaire ou prix (pour un auto-entrepreneur), est la base sur laquelle les cotisations salariales et patronales sont prélevées en pourcentages. Cette concurrence de statuts peut avoir un effet négatif sur les recettes fiscales ou les comptes des régimes sociaux bien que l’assiette des travailleurs soit élargie. Ce risque est renforcé par l’atomisation des travailleurs permise par la généralisation du statut d’auto-entrepreneurs. Cette forme de travail ne possède pas de représentations ni de négociations collectives pour établir un rapport de force un peu plus équilibré et ainsi assurer un prix de vente de service compensant l’absence de cotisations patronales.

Ce rapport de force défavorable pour les auto entrepreneurs isolés face au donneur d’ordre fait que même si le prix des prestations semble supérieur au salaire net, le niveau de cotisation salariale sur ce revenu plus élevé ne compense pas l’absence de cotisation patronale. 

Les cotisations patronales et le lien juridique entre travailleur et employeur, que formalise le contrat de travail salarié, impliquent également une responsabilisation de l’employeur concernant les risques sociaux liés à la production. C’est par ce lien juridique qu’est posé un cadre dans lequel se jouent les luttes concernant l’encadrement des risques au travail. Rendre moins risqué le travail de ses salariés est un coût pour l’entreprise qu’elle ne paiera pas si la menace financière liée à un accident du travail n’est pas à sa charge. Le développement du statut d’auto entrepreneur supprime ce lien de responsabilisation tout en gardant, de manière masquée, la subordination qui limite la capacité à refuser une course trop dangereuse, à refuser de monter sur un échafaudage mal sécurisé etc. Ce lien de responsabilité permet donc de rééquilibrer un rapport de force lorsque l’on entend des phrases du type « si je met un coup de pied dans une poubelle y en a dix comme toi qui sortent pour prendre ta place ».

Accentuer la précarisation des travailleurs pour combattre le chômage revient peut-être à élargir l’assiette des travailleurs… mais pour la servir au capital.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.