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La révolution numérique et le retour des communs
La révolution numérique est à l’origine de deux phénomènes : d’une part, l’avènement de l’économie de plateformes ; et de l’autre, le retour des communs.
L’économie de plateformes consiste pour un intermédiaire – la plateforme – à mettre en relation acheteur.euse et vendeur.euse. Particulièrement développée dans le secteur de la livraison de repas à domicile, ce modèle repose sur le recours à des livreurs.se.s sous statut d’auto-entrepreneur.euse.s, à la protection sociale minime.
Quant aux communs, il s’agit de ressources détenues collectivement par une communauté qui en fixe les règles de gouvernance, autour de la notion-clé de « faisceau de droits » : la propriété du commun n’est pas un droit unique, mais un faisceau de droits distribués entre les membres de la communauté. Cette notion séculaire été réactualisée par l'économiste Elinor Ostrom dans les années 90, qui s’est d’abord intéressée aux ressources naturelles, puis a développé une réflexion sur les ressources numériques et informationnelles
Le mouvement des communs a connu un vif regain d’intérêt grâce au succès de projets tels que Linux ou Wikipédia ; toutefois ces projets doivent faire face à des critiques, car ils n’ont pas permis le développement d’une économie des communs - nous y reviendrons. Au contraire, ils sont autant d’exemples de l’appropriation des communs par l’économie capitaliste.
Comment protéger un commun numérique de la prédation capitaliste ?
Dans le cas de CoopCycle, si le logiciel est bien conçu comme un commun, cela n’est pas une fin en soi, mais un moyen de parvenir au développement et au maintien de conditions de travail décentes pour les livreurs.euse.s.
En ce sens, placer le logiciel sous une licence libre ou open-source aurait été à l’encontre de cet objectif, qui est au fondement même du projet. En effet, nous ne souhaitons (évidemment!) pas qu’il soit utilisé par une entreprise capitaliste employant des auto-entrepreneur.euse.s.
Le projet CoopCycle a donc beaucoup à apprendre des initiatives que sont Wikipédia et Linux, mais se refuse d’autoriser une réappropriation de la valeur créée par les acteur.rice.s de l’économie traditionnelle, qui font peu de cas de la situation des livreur.euse.s. Contrairement à la liberté totale d’utilisation, à la base de la philosophie libriste, nous souhaitons restreindre l’utilisation du logiciel.
De ce fait, il a été envisagé de le protéger par une licence à réciprocité, qui subordonne l’octroi des 4 libertés traditionnelles des licences libres – étude, modification, copie et redistribution – au respect de certaines conditions devant permettre la valorisation du commun et le développement d’une économie des communs, que nous allons à présent détailler.
La réponse
Or à l’heure actuelle, les licences à réciprocité – dites également licences copyfarleft – ne sont pas satisfaisantes d’un point de vue juridique, comme a pu l’exposer Lionel Maurel, juriste particulièrement intéressé par la question des communs, dans l’un de ses billets, car elles constituent plutôt des prises de positions politiques que des outils juridiques efficaces et facilement insérables et opposables dans le système juridico-légal actuel.
C’est pourquoi, nous avons fait le choix de rédiger notre propre licence, dont l’objectif est d’encourager la contribution au commun que constitue le logiciel tout en le préservant d’un usage qui serait en contradiction avec notre objectif de protection sociale des livreurs.euse.s, mais aussi de gouvernance réellement démocratique, permise par l’organisation de la communauté en coopératives. En d’autres termes, il fallait rédiger une licence ouverte qui réserve l’usage commercial du logiciel aux structures coopérativistes. Nous avons donc cherché à reprendre des critères préexistants et dotés d’une force juridique suffisante.
Concernant l’usage commercial, nous nous sommes référé.e.s à un accord conclu entre la SACEM et la fondation Creative Commons (comme quoi la SACEM est parfois utile), tandis que pour définir les structures autorisées nous nous sommes basé.e.s sur la loi relative à l’économie sociale et solidaire de 2014.
Les clauses issues de ces recherches ont ensuite été incorporées à une licence s'inspirant de celle d'Affero General Public Licence, car celle-ci présente l’avantage – indispensable dans notre cas – de faire peser une obligation de partage à l’identique des versions modifiées du logiciel dès lors que celui-ci est distribué, mais également utilisé dans le cadre d’une prestation de service (Software as a Service).
Le résultat en est donc une licence autorisant l’étude, la modification, la copie et la redistribution à tous, mais réservant l’usage commercial de ces libertés aux seuls acteur.rice.s des communs poursuivant un but autre que le partage des bénéfices.
Cette condition est nécessaire d’une part à la naissance d’un écosystème des communs informationnels, ; mais surtout au développement et à la pérennisation d’une alternative économique aux plateformes de livraison à domicile.
Le texte de la licence est disponible sur le wiki de CoopCycle
N.B. : la licence actuelle est le fruit d’un travail de fin d’étude, donc limité dans le temps, et ne constitue donc qu’une étape de la réflexion, à laquelle vous êtes invité.e. à vous joindre si le sujet vous intéresse. Une version 2.0 est déjà en cours d’élaboration.