Nous sommes des officier.es de protection de l’OFPRA, certain.es de nous y travaillons depuis plusieurs années, d’autres plusieurs mois, mais nous constatons tou.te.s l’émergence d’un appareil idéologique xénophobe dans cette institution. Alors qu’un nouveau directeur ou une nouvelle directrice général.e devrait être nominé.e par le président de la République, il importe de souligner les risques que comporte l’extrême-droitisation de ce corps administratif.
L’OFPRA a été créé en 1952 suite à la convention de Genève de 1951 qui définit le statut de réfugié en droit international. Sa mission telle que définie par l’institution est la suivante : statuer en toute impartialité sur les demandes d’asiles qui lui sont présentées.
De manière plus concrète, les agents de l’OFPRA, les Officier.es de protection, vont entendre des personnes étrangères qui ont fui leurs pays, et décider si elles peuvent prétendre au statut de réfugié. Les problèmes éthiques et politiques que cette activité soulève ont été étudiés et critiqués maintes fois, leur réalité n’est donc plus à établir.
Ce dont il sera question ici est une mission de l’OFPRA moins connue, plus discrète car presque officieuse : la vérification du profil sécuritaire des personnes qui peuvent bénéficier d’une protection internationale en France.
Il importe de garder à l’esprit que l’octroi de la qualité de réfugié exprime la reconnaissance par les autorités françaises de risques de persécutions dans le pays d’origine, de traitements inhumains ou dégradants ou d’être soumis à une exécution judiciaire ou extrajudiciaire.
Pour faire un rapide état des lieux juridique, on indiquera que la convention de Genève de 1951 prévoit des « exclusions » de la protection internationale pour un certain nombre de cas, notamment lorsque la personne se serait rendue coupable de crimes contre la paix, crimes de guerre, crimes graves de droit commun ou tout agissements « contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ». Bref, a priori il faut vraiment avoir fait une grosse bêtise.
Par une série de lois dites « asile », la France a accordé une importance croissante à ces exclusions de protection internationale, dont l’acmé, pour notre sujet, se trouve être une loi asile du 29 juillet 2015. Cette loi établie des « clauses d’ordre public » qui rendent impossible la protection de toutes les personnes qui seraient une menace pour la sureté de l’Etat ou une menace pour la « société française ». Toutes les personnes qui se voient accorder une protection internationale font l’objet d’enquêtes de sécurité visant à établir l’existence de telles menaces.
La loi de juillet 2015 a apporté une profonde restructuration au sein de l’OFPRA avec la création de services et de missions spécialement dédiés à la vérification des profils sécuritaires des personnes pouvant bénéficier d’une protection internationale. Car en effet, en théorie, c’est uniquement si une personne peut bénéficier d’une protection internationale qu’un motif d’exclusion peut être soulevé par l’OFPRA afin de lui refuser cette protection.
On comprend alors que ces personnes à qui on refuse la protection ont des risques avérés de subir des persécutions si elles devaient retourner dans leur pays d’origine. C’est donc un problème difficile qui se présente aux agents de l’OFPRA.
Quels motifs justifient qu’on refuse de protéger une personne dont il est établi qu’elle a besoin de la dite protection ? Qu’est-ce qui justifie qu’une personne homosexuelle, qui risque la lapidation dans son pays d’origine ne soit pas protégée ? Qu’un opposant politique, condamné à mort s’il revient chez lui, ne puisse pas être considéré comme un réfugié acceptable ?
La loi se garde bien de répondre à cette question. Derrière l’expression « menace pour la société française » se trouve une réalité dont les institutions se gardent le droit de définir les contours. Il est notamment intéressant de remarquer l’apparition de cette notion juridique de « menace pour la société française1 » qui ne renvoie à aucun concept préalablement établi par la loi ou la jurisprudence mais qui en dit long sur l’esprit d’un texte législatif relatif au traitement des étrangers en France.
L’OFPRA, la CNDA et le Conseil d’Etat se sont donc attachés à lister, hiérarchiser, négocier les motifs permettant de refuser à quelqu’un le statut de réfugié. Question épineuse car empreinte d’arbitraire. En effet, le problème avec les décisions administratives c’est qu’elles sont publiques. On pourrait donc se scandaliser qu’un réfugié afghan, par exemple, ne soit pas protégé des talibans par l’Etat français car il a été surpris en train de vendre des cigarettes à la sauvette.
Face à cette ennuyante transparence des procédures administratives, s’est développée une pratique à l’OFPRA qui consiste à ne pas reconnaitre la qualité de réfugié aux personnes susceptibles d’être une « menace à la société française », sans le préciser dans leurs décisions. Autrement dit, alors que la personne pourrait prétendre à la qualité de réfugiée, on la lui refuse en se basant sur une appréciation arbitraire, unilatérale et subjective de sa dangerosité.
Concrètement, l’OFPRA, pour s’affranchir de toute garantie procédurale, va procéder de facto à une exclusion de la protection sans le mentionner dans la procédure. Les Officier.es de protection, la plupart du temps spécialisé.es en droit international ou droit des étrangers se voient alors dévolu la mission d’Officier de police judiciaire et de juge pénal.
Car il ne faut pas se leurrer, le refus de la protection international pour des motifs d’ordre public est une peine dispensée sans jugement.
Les preuves ? Pas nécessaires. Le contradictoire ? Négociable. La culpabilité au delà du doute raisonnable ? Un soupçon fera l’affaire.
Alors que l’institution se félicite d’avoir exclu de la protection internationale 420 personnes en 20232 (sur 44 000 demandes d’enquêtes de sécurité au SNEAS), ce nombre est très probablement supérieur. Car derrière ces 44 000 demandes d’enquêtes de sécurité on trouve des officiers de protection et leurs hiérarchies qui jouent aux détectives, s’arrogeant le droit de rejeter des demandes d’asiles valables car leurs auteurs n’en seraient pas dignes.
Alors que beaucoup s’inquiètent de l’accession au pouvoir de l’extrême droite et constatent le progrès de ses idées, il faut aujourd’hui admettre que ces dernières sont bien installées dans cette administration. Car le développement des fonctions sécuritaires de l’OFPRA est symptôme d’une seule chose : la réalisation concrète et administrative de l’amalgame entre étrangers et insécurité.
L’indice le plus révélateur de ce phénomène est le traitement réservés aux auteurs présumés de violence sexistes et sexuelles par l’OFPRA. Alors que la lutte contre ce phénomène sur le territoire français est à la peine (peu de plaintes déposées malgré l’existence des faits, peu de plaintes traduites en procédures et encore moins de condamnations) cette dernière est acharnée contre les étrangers qui se rendraient « coupables » de tels faits.
En effet, alors qu’en procédure pénale la parole d’une femme n’est pas un élément de preuve suffisant pour permettre de condamner son agresseur, ce problème disparait lorsque l’agresseur présumé est un demandeur d’asile étranger. Aussi louables soient les intentions de ces agents administratifs aux prétentions féministes, elles n’en demeurent pas moins xénophobes et dangereuses.
Xénophobes car les demandeurs d’asiles étrangers sont traités de manière différentes que des nationaux qui auraient commis les même faits. Dangereuses car en refusant l’asile pour ce type de motif, on ne protège nullement la victime et on rend plus difficile l’arrestation du coupable qui, sans situation administrative, sera par définition plus difficilement appréhendé par la justice.
Devenue une obsession pour la hiérarchie, ces exclusions sont instrumentalisées et dénaturées pour complexifier encore plus la régularisation des étrangers sur le territoire nationale. Au regard de la couleur brunâtre du pouvoir actuel, nous appelons tous les acteurs du domaine de l’asile à lutter pour le respect du droit international et à combattre l’idéologie xénophobe qui se profile derrière l’évolution du droit d’asile en France.
Le Collectif des Officier.es de Protection Inter-division Névrosé.es
1 Notion finalement assimilée à celle de menace à l’ordre public : Conseil d’Etat, 10 juin 2021, n° 440383.
2 https://bpda.assas-universite.fr/sites/default/files/bpda/20240409-bpda-ankri-art-01.pdf